Il n'y a pas besoin d'être océanographe pour comprendre les dégâts que peut provoquer l'exploitation des fonds marins pour en tirer les minerais rares. Cette simple considération illustre toute l'ineptie d'organiser un "one ocean summit" sans discuter d'une interdiction d'une exploitation minière des océans.
Billet de blog 18 févr. 2022
Enfin, on commence à s’intéresser aux océans, pourrait-on croire : en effet, les débats environnementaux nous parlent beaucoup des forêts qui brûlent, en oubliant massivement ce qui se passe au dessous du niveau de la mer. Or, la photosynthèse qui permet de régénérer notre atmosphère en absorbant du carbone pour restituer de l'oxygène dépend aux deux tiers du milieu marin. La majorité des tentatives de compensation carbone se focalise vainement sur la plantation de forêts, ignorant ainsi la réalité d'un océan dont la biodiversité s'estompe du fait de la surpêche et de la pollution marine, qui devient la poubelle grand-format de l'Humanité (une tonne de plastique finit dans la mer toutes les trois secondes, affectant 88% des espèces marines), qui est en cours d'acidification sous l'effet de la teneur croissante de l'atmosphère en CO2, qui est périodiquement soumis à des marées noires provenant de naufrages ou d'accidents sur les plateformes pétrolières offshore. Et le propos tenu naguère par le commandant Cousteau a aujourd'hui franchi l'enceinte de l'ONU : la dégradation accélérée de l'océan est incompatible avec la survie de l'Humanité.
C'est dans ce contexte que s'est tenu à Brest un colloque international pour la préservation de l'océan, en préliminaire de la négociation annoncée par Ursula Van der Leyen d'un traité entre 43 états -dont les 27 de l'Union Européenne. Ce sont treize engagements qui ont été pris, des états un groupe d'armateurs, 22 grands ports, etc. Mais, pris par des groupes et des états minoritaires, on peut légitimement penser qu'ils n'auront pas plus de suites que ceux des accords de Paris ce n'est nullement la garantie qu'ils seront plus respectés que ceux des accords de Paris
Parmi Les différents points qui ont été négociés figurent :
- La lutte contre la contamination par le plastique : un financement, à hauteur de 4 milliards d'euros, est prévu par la banque européenne d'investissement et diverses banques de développement national à l'horizon 2025. La France, pour sa part, s'est engagée à viser 100% de réutilisation des plastiques à l'horizon 2040 et à éliminer complètement sous 10 ans ses décharges littorales. Engagement louable - du moins s'il ne passe pas à la trappe comme beaucoup d'autres sous l'influence des lobbies du plastique - mais probablement insuffisant du fait qu'un déchet plastique, même à l'intérieur des terres, finit toujours par aboutir dans l'océan s'il n'est pas ramassé et recyclé.
- Des aires protégées en augmentation : ainsi Edouard Fritsch, président de la Polynésie Française, annonce la création d'une aire protégée de 500000km2 dans le pacifique. Cet engagement suscite un commentaire venant d'un océanographe : "Jusqu'à présent, on a cherché la quantité, arrivant à un nombre astronomique d'aires marines protégées. Maintenant on demande de la qualité, avec des écosystèmes réellement protégés". Il ne suffit pas de multiplier ces zones protégées, il faut aussi que soient clarifiées les règles auxquelles elles sont assujetties. Il faut aussi que leur répartition soit équitable :
- Un renforcement de la lutte contre la surpêche et la pêche illégale, un engagement qui implique plusieurs mesures : la mise à contribution des marines d'état pour la protection des bateaux de pêche opérant en toute légalité et pour la surveillance de la pêche illégale. Le débarquement dans les ports des navires sui pratiquent la pêche illicite doit également faire l'objet d'une surveillance et de sanctions.
- La cartographie des fonds marins : Toute politique de préservation de la mer sera inopérante sans une connaissance précise des fonds marins. Selon un communiqué de l'UNESCO,"Connaître la profondeur et les reliefs des fonds marins est essentiel pour comprendre l'emplacement des failles océaniques, le fonctionnement des courants océaniques et des marées, comme celui du transport des sédiments." Actuellement, seuls 20% des fonds marins sont cartographiés et l'objectif est d'arriver à 80%, pour un coût évalué à 5 milliards d'euros.
- La création de "jumeaux numériques", c'est à dire de modèles informatiques censés reproduire les réactions de l'océan, sur lesquelles on pourrait expérimenter l'impact des mesures envisagées.
Dans une interview accordée à Médiapart, l'océanographe Xavier Capet se montre très critique sur le déroulement de ce sommet consacré aux océans : il évoque "un imaginaire technocentré où, face à l’urgence climatique, les industriels nous affirment qu’ils trouveront toujours des solutions, malgré l’état désastreux de la nature". On préfère écouter les industriels qui défendent seulement leurs intérêts à court terme plutôt que les scientifiques. Ce pari sur une innovation technologique hypothétique, comme dans le cas de l'aviation civile, revient à jouer notre avenir à la roulette russe.
Il y a aussi le manque de moyens alloués aux mesures mentionnées plus haut : l'élimination des plastiques ? Le budget alloué par banques apparaît dérisoire en face des dégâts déjà constatés sur la vie marine. Et, nous dit l'océanographe, il faut attaquer le problème à la source, en limitant la fabrication et l'usage du plastique plutôt que d'aller le récupérer au fond des océans. C'est un des rares points où la France aille dans le bon sens, mais elle est bien seule. Les zones protégées et la lutte contre la surpêche ? Encore faudrait-il que les moyens de surveillance soient en adéquation avec l'ampleur du problème. Et, là aussi, silence radio. Les "jumeaux numériques" ? c'est une plaisanterie car ils sont basés sur une connaissance limitée des océans. Mais, surtout, il y a un point dont l'absence, à elle seule, suffit à disqualifier ce sommet : il brille par son manque de propositions concernant l'exploitation des fonds marins, à la recherche de minerais rares et il est loin d'être exclu que la cartographie des océans soit, en réalité, un préalable à cette exploitation. Xavier Capet commente : "L’extraction minière en eaux profondes a été mise sous le tapis car elle embarrasse de nombreux gouvernements, et peut-être même la France".
Il n'y a pourtant pas besoin d'être océanographe pour comprendre les dégâts environnementaux que provoquerait le raclage des fonds marins et pourtant, Macron se dit favorable à l'idée. La présence de madame van der Leyen donne toute la mesure de l'imposture quand on sait que l'Union Européenne encourage cette exploitation minière des océans. Ce degré de bêtise est inconcevable, même chez un énarque à courte vue. Il faut donc bien admettre que le Président, une fois de plus, nous ment délibérément et qu'il ne faut voir dans son opération "one ocean summit" qu'une pitoyable tentative d'écoblanchiment de plus.