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19 avril 2019 5 19 /04 /avril /2019 06:19

 

 

Par Nicolas Casaux

Sur les illusions renouvelables

À ma connaissance, dans le paysage littéraire francophone, seuls ces trois livres (Le soleil en faceLes illusions renouvelables et Le sens du vent, photo ci-dessus) discutent de l’absurdité selon laquelle les hautes technologies productrices d’énergies dites « renouvelables » ou « vertes » ou « propres » pourraient nous permettre de sortir de l’impasse socioécologique létale dans laquelle nous nous précipitons (ou sommes précipités, c’est peut-être plus correct).

Si je devais n’en conseiller qu’un, ce serait Le sens du vent. Cela dit, les trois sont intéressants et valent la lecture (même si celui de José Ardillo n’est pas brillamment traduit). Mais aucun n’expose, selon moi, le problème de manière optimale. Au plus simple, il me semble que trois points (qui n’en forment qu’un en réalité) permettent d’exposer en quoi les technologies de production d’énergie dite « verte » ou « renouvelable » ne solutionnent strictement rien, au contraire :

1. D’abord, leur conception, leur fabrication et leur déploiement reposent sur la civilisation industrielle capitaliste, c’est-à-dire sur une organisation socioéconomique mondialisée, intrinsèquement inégalitaire, antidémocratique (basée sur l’État, parfois qualifié de « démocratique » dans un bel oxymore, sur l’esclavage salarial), anti-écologique (basée sur la croissance, sur une destruction perpétuelle du monde naturel). Et même si l’on émettait l’hypothèse selon laquelle cela pourrait se faire dans une société autre que capitaliste, celle-ci serait nécessairement très complexe, très hiérarchisée, non démocratique : les technologies de production d’énergie dite « verte », les centrales hydroélectriques, les centrales à biomasse, les centrales solaires, les parcs éoliens, les centrales géothermiques, etc., sont toutes des hautes technologies, des technologies requérant, de leur conception à leur fabrication et à leur déploiement, une société de masse, organisée à une vaste échelle géographique, avec d’importantes division et spécialisation du travail et une hiérarchie tout aussi importante ; des technologies « autoritaires », pour reprendre la distinction proposée par Lewis Mumford entre techniques démocratiques et techniques autoritaires. Des technologies qui reposent sur et appellent des structures sociales autoritaires. Mais admettons que l’autoritarisme ce soit super.

2. Leur fabrication, leur maintenance, ainsi que la construction et la maintenance des infrastructures sur lesquelles ces technologies reposent et de celles auxquelles elles sont connectées, impliquent toujours des destructions du monde naturel. Rien de tout ça n’est soutenable. Toutes ces industries de production d’énergie dite « verte » ou « renouvelable » reposent sur les « industries extractives » (« responsables de la moitié des émissions de carbone et de la perte de plus de 80 % de la biodiversité, selon le bilan environnemental le plus complet de l’exploitation minière et agricole[1] »). Que ce soit pour l’obtention des matières premières ou des matériaux nécessaires à leur fabrication (gallium, indium, aluminium, cadmium, arsenic, bore, molybdène, etc., pour l’industrie du solaire) ou à leur fonctionnement (centrales à biomasse qui dévorent… de la biomasse, par exemple des forêts) ou du fait de leur implantation géographique (les barrages nuisent gravement aux cours d’eau et aux écosystèmes qui leur sont liés, les parcs éoliens impliquent leur lot de nuisances, etc.). En outre, toutes les industries des énergies dites « vertes » ou « renouvelables » sont dépendantes du pétrole, de bout en bout (que ce soit pour l’obtention de matières premières, leur transport, traitement, etc.).

3. Enfin, le point le plus évident — mais aussi le moins évident, semble-t-il, et pourtant un des plus cruciaux — : l’énergie que produisent ces technologies ne peut servir, par définition, qu’à des usages liés à la société industrielle. Le monde naturel ne bénéficie jamais de l’énergie industriellement produite. L’électricité produite par les centrales solaires alimente des réfrigérateurs dernier cri, des téléviseurs, smartphones, tablettes, chaines Hi-Fi, fours micro-ondes, brosses à dents électriques, des usines de production de divers produits industriels, diverses activités industrielles, etc., elle n’alimente pas la pousse des arbres, n’encourage ni la floraison des fleurs, ni la purification de l’eau et de l’air par les forêts, ni rien de véritablement essentiel — elle n’alimente que des choses qui nuisent à la santé de la biosphère.

Les affirmations selon lesquelles tel ou tel village en France est devenu autonome et écologique parce que ses citoyens ont participé au financement d’une centrale solaire pour l’alimenter en énergie sont insensées. Les panneaux solaires ne sont pas librement fabriqués sur place mais sont des produits du système industriel mondialisé, de ses destructions environnementales et de son esclavage moderne, qui serviront en outre à alimenter d’autres appareils issus de ce même système. Ces prétentions d’autonomie et d’écologie sont donc autant de mensonges grotesques qui témoignent d’une mécompréhension consternante des réalités sociales et écologiques.

Ceux qui promeuvent les énergies dites « vertes » ou « renouvelables » occultent le caractère antidémocratique de la société industrielle, de tout système technologique complexe, le caractère écologiquement nuisible de toutes les industries, y compris des industries de ces énergies dites « vertes » ou « renouvelables » (souvent en réduisant tous les problèmes actuels au seul changement climatique), ainsi que le caractère foncièrement insoutenable du capitalisme.

Ainsi que l’écrit Arundhati Roy :

« S’il reste encore un espoir pour le monde, il ne réside pas dans les salles de réunion des conférences sur le changement climatique, et pas non plus dans les villes et leurs gratte-ciels. Il réside beaucoup plus près du sol, dans celles et ceux qui se battent chaque jour pour protéger les forêts, les montagnes et les rivières, parce qu’ils savent que les forêts, les montagnes et les rivières les protègent en retour.

La première étape d’une réimagination d’un monde qui s’est profondément égaré serait de mettre fin à la destruction de ceux qui possèdent une imagination différente – une imagination en-dehors du capitalisme aussi bien que du communisme. Une imagination qui propose une compréhension entièrement différente de ce qui constitue le bonheur et l’épanouissement.

Pour gagner cet espace philosophique, il est nécessaire de concéder de l’espace physique pour la survie de ceux qui ont l’air d’être les gardiens de notre passé, mais qui pourraient bien être, en réalité, les guides vers notre futur. Pour cela, il nous faut demander à nos dirigeants : pouvez-vous laisser l’eau dans les rivières, les arbres dans les forêts ? Pouvez-vous laisser la bauxite dans les montagnes ? S’ils répondent par la négative, alors peut-être devraient-ils cesser de faire des prêches de moralité aux victimes de leurs guerres. »

Parce qu’en attendant, comme le formule José Ardillo :

« Le débat actuel sur les énergies renouvelables dissimule le fait essentiel que l’utilisation de l’énergie et le rôle du travail doivent être définis par des groupes égalitaires et autonomes, coordonnés au niveau régional, conformément aux orientations fixées par les limites géophysiques et biologiques du milieu. L’appropriation sociale de l’énergie ne vise donc pas à soutenir les technologies renouvelables, qu’elles soient développées par l’industrie ou par l’État, mais à encourager le débat sur les structures politiques qui nous oppriment et sur les caractéristiques physiques et biologiques du milieu qui nous limite. […]

Nous n’avons pas besoin de trouver des alternatives aux énergies conventionnelles, mais de sortir du monde énergétique où elles nous ont conduits. L’avenir radieux promis par les alternativistes est plutôt éclairé par le soleil noir de la défaite sociale. »

 

  1. https://www.euractiv.fr/section/energie/news/resource-extraction-responsible-for-half-worlds-carbon-emissions/ 
  2.  

Et pour aller plus loin :

Confusion renouvelable et transition imaginaire (par Nicolas Casaux)

 

 

Source : http://partage-le.com/2019/03/sur-les-illusions-renouvelables-par-nicolas-casaux/

 

 

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