LE MONDE | 01.10.2016 à 11h26 • Mis à jour le 01.10.2016 à 12h46 |Par Angela Bolis
C’est une question méconnue, qui concerne pourtant un objet omniprésent : d’où vient le téléphone portable et où finit-il sa (courte) vie ? Une mission d’information pilotée par la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin (Nord) a rendu les conclusions de son enquête, jeudi 29 septembre, dans un rapport qui tente de retracer les étapes du cycle de vie de l’appareil, de l’extraction des matériaux qui le composent au recyclage… ou aux filières d’exportation illégales.
1. Des matières premières problématiques
L’extraction des matières premières qui entrent dans la composition du téléphone portable pose plusieurs problèmes éthiques. Le plus emblématique se résume dans l’expression de « minerais de sang », exploités dans des zones de conflit armé, en particulier l’or, le tantale, l’étain et le tungstène. On estime par exemple que 80 % des réserves de coltan, d’où vient le si rare et cher tantale, se trouvent en République démocratique du Congo, notamment dans la région du Kivu. Leur exploitation, contrôlée par des groupes armés qui captent une partie des revenus au détriment des populations locales, alimente les conflits.
2. Une fabrication sous le sceau du secret des affaires
La phase de fabrication du téléphone, de l’extraction des matières première à l’assemblage, concentre plus de 80 % des impacts environnementaux (étude de l’Ademe, 2008). Les sénateurs n’ont toutefois pas réussi à obtenir le détail de ces matériaux, déplorant l’« opacité » des fabricants et opérateurs. Ces derniers, ayant refusé « de venir aux auditions », se sont « retranchés derrière le secret des affaires », note Mme Blandin. Ce manque de transparence pose problème pour les utilisateurs, mais aussi pour la filière de recyclage, qui doit mener de complexes analyses pour identifier les métaux présents.
3. Une obsolescence programmée multiface
« La conception des téléphones est délibérément défavorable au réemploi et au recyclage », avance le rapport sénatorial, qui pointe une « course à l’innovation » servant à « alimenter leur renouvellement ». Le rapport fait référence à l’obsolescence programmée, qui prend des formes variées.
De plus en plus répandue, l’obsolescence logicielle concerne, elle, ces mises à jour (de logiciels ou du système d’exploitation des smartphones) qui exigent plus de puissance et aboutissent finalement à un appareil plus lent, qui nous semble dépassé. L’obsolescence « marketing », enfin, désigne ces innovations plus ou moins utiles qui poussent le consommateur à l’achat, à coup de campagnes de publicités « agressives ». Conséquence de ces efforts combinés, les Français changent de téléphone portable, en moyenne, tous les deux à trois ans.
Lire aussi : Le téléphone adopte la touche équitable
4. Une collecte insuffisante
Sur les 25 millions de téléphones mis en moyenne sur le marché chaque année en France, environ 15 % seulement sont collectés et rejoignent, à la fin de leur vie, des filières de réparation, de transformation ou de recyclage. Les smartphones en particulier, qui constituent aujourd’hui 84 % des portables vendus, sont quasiment absents des collectes de DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques).
Qu’advient-il de ces téléphones dûment collectés ? Les producteurs passent par un éco-organisme, dont le principal en France s’appelle Eco-systèmes. Depuis 2006, ce dernier livrait les téléphones collectés aux Ateliers du bocage, une entreprise d’insertion liée à Emmaüs, qui les triaient entre les appareils à remettre sur le marché, et ceux à recycler. Depuis quelques années toutefois, ces Ateliers ont vu leurs contrats avec les opérateurs prendre fin, sur un marché très concurrentiel. Bouygues, par exemple, a délocalisé cette activité en Roumanie. Les Ateliers du bocage ont perdu 2 millions d’euros de chiffre d’affaires par an et subi un plan de licenciements début 2016.
5. Une fin de vie peu réglementaire
Le destin des téléphones non collectés est plus obscur. Le rapport estime que 100 millions d’entre eux « dorment dans les tiroirs de nos concitoyens » : par peur de livrer des données personnelles, pour conserver un téléphone de secours, ou tout simplement car ils sont peu encombrants et qu’on ne sait pas où les rapporter. Les opérateurs ont pourtant l’obligation de les récupérer, soit contre l’achat d’un autre téléphone (1 pour 1), soit dans certains cas sans aucune contrepartie (0 pour 1). L’information en la matière est lacunaire et les contrôles insuffisants, estiment les sénateurs.