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13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 09:37

 

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En présentant son programme d'investissements d'avenir, mardi 9 juillet, Jean-Marc Ayrault a repris à son compte les préconisations du rapport Mobilité 21, présidé par le député socialiste Philippe Duron et remis fin juin au gouvernement : les projets de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) sont repoussés à après 2030 (à l'exception des quatre projets de lignes déjà engagés et de la ligne Bordeaux-Toulouse) et la priorité est donnée à la modernisation des lignes existantes. D'ici à 2030, 30 milliards d'euros, tous financeurs confondus (Etat, collectivités locales, Union européenne) seront ainsi consacrés à l'amélioration des services et au développement des "transports du quotidien", que François Hollande souhaite privilégier.


Le Monde.fr | 12.07.2013 à 10h20 • Mis à jour le 12.07.2013 à 10h33 | Par Mathilde Gérard


Cette orientation signifie-t-elle un arrêt aux projets de grande vitesse sur le territoire ? "La France ne tourne pas le dos à la grande vitesse", a tempéré Jean-Marc Ayrault en présentant ses orientations. Interrogé par l'AFP, le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, nuance : "Seul le 'tout TGV' est abandonné, c'est-à-dire les annonces de chantiers pharaoniques au mépris des besoins des autres territoires." Une allusion à la politique du précédent gouvernement, dont le Grenelle de l'environnement prévoyait en 2009 la mise en chantier d'une quinzaine de nouvelles LGV en trente ans. Pour un pays dont le réseau ferroviaire a bâti sa fierté sur ses lignes à grande vitesse, la position du gouvernement actuel représente donc bien un tournant.


Un réseau déjà dense 

Avec 2 024 km de lignes à grande vitesse, la France est déjà bien équipée en LGV (voir la carte du réseau ferroviaire sur le site de RFF). Les quatre chantiers de lignes déjà lancés, qui doivent voir le jour d'ici à 2017 (Tours-Bordeaux, Metz-Strasbourg, Le Mans-Rennes et le contournement de Nîmes et de Montpellier) porteront la taille du réseau à 2 794 km. "770 km de chantiers [déjà lancés], nous n'avions jamais connu cela", relativise ainsi le directeur de Réseau ferré de France (RFF), Jacques Rapoport.


En Europe, seule l'Espagne distance la France en matière de grande vitesse avec 3 000 km déjà existants et une dizaine de LGV en construction. Mais seuls 16 millions de passagers empruntent un "AVE" (Alta Velocidad Española) chaque année, un chiffre relativement faible par rapport à d'autres pays. En Allemagne, 1 200 km de lignes sont accessibles en grande vitesse. Outre-Rhin, les investissements prévus concernent essentiellement l'amélioration du confort sur les lignes actuelles, avec une nouvelle génération de trains plus longs et plus spacieux à partir de 2017.


En Grande-Bretagne, la seule LGV existante est celle reliant Londres à Paris. Un projet de "High Speed 2" est en cours de discussion et pourrait, après 2030, connecter Londres, Birmingham, Leeds et Liverpool. Quant à l'Italie, elle dispose d'une ligne à grande vitesse longue de 1 000 km entre Turin et Salerne et de quelques tronçons sur le trajet Turin-Venise. Comparée à ses voisins européens, la France dispose donc d'un solide réseau de lignes à grande vitesse.


Des lignes à la rentabilité incertaine 

Dès 2011, un rapport parlementaire présidé par Hervé Mariton critiquait la fragilité financière des projets de nouvelles lignes, notamment leur "faible niveau d'autofinancement". Il préconisait déjà un rééquilibrage des investissements en faveur de la "maintenance et du renouvellement du réseau existant".


Les lignes les plus rentables, comme Paris-Lyon ou Paris-Marseille, sont déjà exploitées. "Les premiers TGV ont été construits sur des liaisons où il y avait un grand potentiel de trafic, explique Marc Fressoz, auteur de Faillite à grande vitesse (Ed. du Cherche-Midi). Paris-Lyon a été rentabilisé très vite d'autant que les coûts de construction ont été parfaitement maîtrisés." Pour de futures liaisons, les perspectives de trafic sont plus incertaines, à l'exception probable de la ligne Bordeaux-Toulouse, qui relierait les 5e et 4e métropoles de France. Aux doutes sur le trafic potentiel, s'ajoutent de nouvelles normes environnementales et de sécurité qui renchérissent le coût de construction et d'entretien des lignes.


Si les liaisons sont de moins en moins rentables pour le gestionnaire des lignes, Réseau ferré de France (RFF), elles sont de plus en plus chères pour la SNCF, qui exploite les trains. L'entreprise ne cesse ces dernières années de mettre en cause le péage qu'elle paie à RFF pour faire passer ses trains sur ses lignes. L'augmentation de la facture a été de 6 % en moyenne chaque année entre 2007 et 2013, "avec des pointes à + 11 % en 2010 et + 11,7 % en 2011", selon Les Echos. La SNCF paie également une lourde facture énergétique en raison de la hausse des prix de l'électricité.


A ces charges, s'ajoute une baisse du nombre de passagers transportés sur les grandes lignes (- 0,5 % en 2012) et notamment de la clientèle professionnelle, touchée par la crise économique. En conséquence, le chiffre d'affaires de l'activité TGV France est en baisse (- 2 % sur le premier trimestre 2013 par rapport au 1er trimestre 2012). Même si la SNCF compense en partie ce recul par une hausse de ses activités à l'étranger, le chiffre d'affaires global de sa branche SNCF Voyages (qui regroupe l'ensemble des activités grandes lignes : TGV, Ouigo, Eurostar, Thalys, etc.) n'a progressé que de 2,5 % en 2012 (contre + 5,9 % en 2011), tandis que la marge opérationnelle a reculé de 62 %. Pour 2013, les perspectives s'annoncent mauvaises : au 1er trimestre, le chiffre d'affaires de SNCF Voyages a baissé de - 0,8 % au  par rapport à la même période en 2012.


Lire aussi : "La SNCF baisse ses prix pour faire revenir les voyageurs"


Des trains à plus de 200 km/h sur un réseau modernisé ? 

"L'effort qui a été fait sur le TGV a réduit la part consacrée à la modernisation du réseau et aux trains du quotidien", regrette Philippe Duron dans son rapport Mobilité 21. "Une ligne TGV à 12 milliards d'euros, c'est quatre fois le remplacement de tous les trains Corail de France", a renchéri Matignon pour justifier ses orientations. Le coût de la LGV PACA, écartée des arbitrages, a par exemple été estimé à 14 milliards d'euros pour 200 km de ligne reliant Marseille à Nice. La liaison Lyon-Turin, qui fait l'objet d'une vive opposition citoyenne et d'associations écologistes, a elle été chiffrée à 26,1 milliards d'euros par la Cour des comptes.


Des lignes chères, parfois jugées peu utiles dans les bassins de population concernés, et dont la rentabilité n'est pas garantie... Matignon a donc préféré cibler le confort des lignes existantes dans son programme d'investissements. Alors que les trains Corail du début des années 1980 sont toujours en service, une commande de nouvelles rames d'au moins "500 millions d'euros" sera lancée cet été, a promis Jean-Marc Ayrault. Une deuxième tranche d'investissements sera programmée en 2016 pour finir de renouveler l'ensemble du parc.


En parallèle, la SNCF étudie la possibilité de faire rouler plus vite ses trains classiques. Actuellement, les Corail circulent en moyenne à 160 km/h, tandis que les TGV atteignent 320 km/h par exemple sur la liaison Paris-Strasbourg. Auditionné par l'Assemblée nationale en mars, le président de la SNCF, Guillaume Pepy s'est déclaré ouvert à un modèle de trains intermédiaires, roulant à une vitesse de 220-250 km/h. Un tournant alors que "dans le passé, la SNCF était intellectuellement très fermée à cette idée", expliquait Guillaume Pepy. Mais la réflexion sur ce terrain est encore embryonnaire, notamment en termes de matériel et d'infrastructures nécessaires.


Le défi de la dette 

Le propriétaire des infrastructures, RFF, avait été créé en 1997 pour servir de réceptacle au passif de la SNCF et satisfaire aux exigences de l'Union européenne. Mais il accuse aujourd'hui une dette de plus de 32 milliards d'euros. Cette dette produit chaque année 1,4 milliard d'intérêts à payer. A l'horizon 2020, à l'issue des quatre chantiers LGV en cours, le député Philippe Duron calcule que la dette de RFF pourrait se chiffrer à plus de 60 milliards d'euros. La SNCF cumule, elle, 7,3 milliards d'euros de dettes. Une réforme en cours du système ferroviaire prévoit de rapprocher la SNCF et RFF dans une même structure, avec pour principal enjeu de limiter la dérive de la dette. Revoir à la baisse l'appétit français en matière de grande vitesse est un des premiers ingrédients pour éviter les dérives.


Lire notre analyse : "Guillaume Pepy face au défi de la dette de la SNCF"


La complexité des montages financiers 

Chaque nouvelle construction de ligne nécessite un mille-feuille financier d'une grande complexité : partenariats public-privé, subventions publiques reposant sur trois piliers – l'Etat, l'Union européenne et les collectivités locales. La LGV Tours-Bordeaux (7,8 milliards d'euros) actuellement en cours de construction implique par exemple la participation de quarante-sept collectivités de cinq régions différentes. Le département de Gironde s'est ainsi endetté sur cinquante ans et a dépensé 46 millions d'euros pour ce projet en 2013. La LGV est son principal poste d'endettement. "On en arrive à cette situation assez rocambolesque d'avoir contraint des collectivités à aller financer des 'barreaux' (lignes) qui ne les concernent pas directement, a expliqué à l'AFP le ministre des transports, Frédéric Cuvillier. Pour le moment, c'est vrai que Toulouse paie pour Tours-Bordeaux."


Dans son rapport sur la LGV Est, la Cour des comptes note que"le plan de financement a été long à mettre en place en raison du nombre de collectivités concernées, soit seize dans les régions Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace, auxquelles s'ajoutait la région Ile-de-France. La recherche des cofinancements et la compétition entre les collectivités pour l'accès au TGV ont fragilisé le pilotage du projet. Celui-ci y a perdu en cohérence tandis qu'étaient avalisés des choix d'investissements critiquables." La Cour des comptes émet par ailleurs des doutes dans ce rapport sur les retombées économiques de la ligne à grande vitesse pour les régions traversées. De quoi faire hésiter d'autres collectivités locales à investir dans de nouveaux projets de lignes.


Mathilde Gérard
Journaliste au Monde

 


 

Source: http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/07/12/transports-l-etat-met-un-frein-a-la-grande-vitesse_3445650_3234.html

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