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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 16:32
L'association Landare d'Iruñea est la première à avoir lancé une coopérative alimentaire.

L'association Landare d'Iruñea est la première à avoir lancé une coopérative alimentaire.

Scandales sanitaires, manque de transparence, dégâts engendrés par la malbouffe, de plus en plus de gens sont prêts à s’investir pour démocratiser l’accès à une alimentation de qualité, tout en créant de nouveaux débouchés pour les paysans locaux. Au Pays Basque, des expériences de coopératives alimentaires ont fait leurs preuves et de nouveaux projets sont en cours.

 

Stéphanie MARIACCIA|05/05/2015|

 

Depuis les années 90, plusieurs groupements d’achats alimentaires se sont créés au Pays Basque. Ils sont difficiles à quantifier, n’impliquant parfois qu’un petit groupe d’amis ayant décidé d’acheter directement aux producteurs des lots qui leur permettent d’obtenir un tarif préférentiel. Loin de se limiter à un avantage financier, ces initiatives de la société civile prônent à la fois l’accès à une alimentation de qualité, bio, la responsabilisation des consommateurs et le renforcement des liens avec les producteurs, locaux de préférence.

 

Au Pays Basque Sud, quelques-uns sont sortis du simple cercle amical pour créer de véritables petits supermarchés coopératifs, proposant une grande variété de produits d’usage quotidien. La participation active de leurs adhérents permet de réduire les frais de fonctionnement et donc, les prix. Une tendance qui gagne le Pays Basque Nord, où deux projets sont en train de se formaliser, au BAB et à Urrugne. Les groupements d’achats seront d’ailleurs le thème du prochain marché équitable de Bayonne, le 16 mai prochain.

 

En Navarre, l’association Landare dispose de deux surfaces de vente réservées à ses adhérents : 350 m² à Pampelune et 200 m² dans sa proche banlieue (Atarrabia). Son aventure a commencé en 1992 à l’initiative de personnes issues du monde alternatif.

 

2 500 produits bio

Aujourd’hui constituée en groupes de travail qui se réunissent régulièrement, elle propose plus de 2 500 produits issus de l’agriculture biologique et locaux, pour l’essentiel. David, directeur de l’association – l’un des salariés sur la vingtaine que compte la structure –  tient à insister sur l’aspect "équitable" de la démarche : "80% de ce que paye le consommateur  revient au producteur".

 

Adjoints à l’espace de vente, une petite cuisine, une bibliothèque et un espace ludique pour les enfants sont à la disposition des 2 300 familles membres. En plus d’une cotisation annuelle de 36 euros, elles sont tenues de participer, quelques heures par mois, au fonctionnement de l’association : de la prise de décisions à la mise en rayon, en passant par la gestion, les contacts avec les producteurs, etc. Selon David, cette contrepartie n’est pas toujours très facile à encadrer. Cela n’empêche pas l’association de répondre présente lorsque des projets similaires ont besoin de conseils.

 

En 2014, suivant le modèle de Landare, qui l’a aidée au départ, l’association Bidazi a ouvert un magasin coopératif de 120 m² entre Lesaka et Bera. Plus petite, mais non moins dynamique, elle comprend actuellement 120 familles membres qui participent au bon fonctionnement de la boutique à raison de trois heures par mois.

 

Le respect des producteurs

Des rencontres mensuelles permettent de discuter du fonctionnement général, décider des achats et déguster de nouveaux produits. Les principaux critères de sélection de l’association sont l’agriculture biologique, le local et le respect des producteurs, "piliers importants du projet", selon Koro, du groupe communication. A travers la distribution de produits sains,  payés au juste prix, son objectif est de créer un "réseau de confiance" entre les paysans locaux et les consommateurs.

 

Bidazi a également mis en place des ateliers participatifs dans des domaines diversifiés comme la fabrication du pain, les techniques de relaxation ou encore l’échange de maisons. Très soucieuse de l’environnement, au-delà des modes de production agricoles, la coopérative privilégie la vente en vrac pour limiter les déchets. Si le profil de ses adhérents est assez varié, les jeunes couples avec deux enfants intéressés par un mode de vie "durable" semblent majoritaires. L’association rencontre parfois quelques difficultés de fonctionnement mais "l’enthousiasme et l’excitation permettent de les surmonter", précise Oier, coordinateur.

 

Les expériences de Landare et de Bidazi font figure de modèles pour d’autres initiatives en gestation. A Urrugne, un groupe de personnes est en train de se monter autour du concept de coopérative alimentaire. En mai, elles organiseront une réunion pour mettre en commun les résultats de chacun de ses groupes de travail qui réfléchissent actuellement au montage du projet.

 

Otsokop, le "louveteau"

Au BAB, l’idée de l’ouverture d’Otsokop, un supermarché collaboratif, est née en début d’année. Franck Laharrague, son initiateur, a eu le déclic en découvrant La Louve, un projet parisien inspiré de la Park Slope Food Coop de Brooklyn, l’une des plus anciennes coopératives alimentaires des Etats-Unis. Ouverte en 1973, elle compte 16 000 membres.

 

A l’instar des groupements du Pays Basque Sud, Otsokop va centrer ses activités sur le bio, les circuits courts et l’implication des adhérents : administration, maintenance, transport des marchandises, gestion du vrac… Franck estime qu’il faudra au moins 1 500 membres pour que le système soit viable. L’association des amis d’Otsokop, première entité porteuse du projet, comprend actuellement près d’une centaine d’adhérents. Elle fonctionne en groupes de travail qui envisagent d’avancer pas à pas, du groupement d’achat à l’ouverture du supermarché.

 

Pour commencer à se structurer, éprouver les circuits et tester des produits, une première commande est en cours. Parallèlement, une charte est en cours d’écriture. A terme, d’autres activités, comme des échanges de savoir-faire, pourraient venir se greffer au groupement d’achats. Un groupe permaculture réfléchit notamment au développement d’une agriculture urbaine susceptible d’alimenter en partie les rayons du futur supermarché.

 

Aujourd’hui, quand il évoque Otsokop, Franck le fait en tant que porte-parole, parmi d’autres, d’un groupement qu’il a voulu démocratique : "1 adhésion = 1 vote ! […] Il n y a pas de représentant du peuple. Les décisions importantes sont prises ensemble […] C’est une des plus belles choses d’Otsokop, même si cela implique parfois des débats houleux".

 

Une démocratie qui n’est pas toujours évidente à vivre. Dans le cadre de l’importance qu’il accorde au territoire par exemple, son point de vue est loin d’être partagé par tous. Il estime que "le projet n’est pas indifférent au territoire qui est lié à une culture porteuse de solidarité, à une langue ". Pour convaincre ceux qui s’opposeraient à une omniprésence de cette culture dans le projet, il se dit prêt à partir en croisade idéologique : "Si je n’ai pas à imposer mon point de vue, je ne vais pas hésiter à essayer de persuader le plus grand nombre de sa pertinence". Le projet risque-t-il d’échapper à son initiateur ? "Le but était que les membres s’en emparent. C’est un peu comme s’il s’agissait de mon enfant. Maintenant, je considère qu’il est adolescent, il doit tracer son chemin."

 

Groupements d’achats, magasins bio, marchés, AMAP… concurrents ou complémentaires ?

"Il ne faudrait pas se tromper d’adversaire", prévient Thomas Erguy, coordinateur et animateur filières bio chez BLE (Biharko Lurraren Elkartea). Pour lui, les groupements de consommateurs ne rentrent pas en concurrence avec les circuits déjà existants. Ayant tous leurs spécificités, ils peuvent même s’avérer complémentaires : "ils vont tous dans le même sens". Thomas estime que la menace pour les petits producteurs, "c’est l’omniprésence de la grande distribution qui représente plus de 80% des achats. Il ne faut pas mettre en opposition les initiatives qui diminuent son pouvoir".

En revanche, il considère qu’il faut veiller à ne pas créer de la concurrence entre les producteurs et qu’une concertation est nécessaire dans le cadre de la création des groupements, pour que tout le monde s’y retrouve, en termes de prix notamment. Par ailleurs, il pense que ces projets doivent intégrer un engagement minimum à moyen terme pour ne pas que les producteurs voient leurs débouchés se réduire du jour au lendemain. En ce qui concerne  les initiatives du Pays Basque Nord, il apprécie "leur état d’esprit constructif  […] Il faut voir comment les discours vont se matérialiser".  

 

Interrogée également sur une éventuelle concurrence, Isabel Capdeville, présidente de l’inter-AMAP Pays Basque, tient un discours proche de celui de Thomas : "plus les paysans ont de débouchés pour leurs produits, mieux c’est […] A partir du moment où ce système leur permet de valoriser leur travail au juste prix". Elle précise que la logique des groupements d’achats a été abordée par les AMAP, notamment lors de la refonte de leur charte en 2013,  pour trouver des solutions lorsque des artisans ne rentrant pas dans leur charte voulaient proposer leurs produits aux adhérents. Avec EHLG (Euskal Herriko Laborantza Ganbara), elle a également envisagé l’ouverture d’un magasin cogéré par des paysans et des consommateurs. Pour les projets en cours, elle attend également de voir quelle orientation ils vont prendre.


Des groupements d’achats pour une cantine de qualité

Plusieurs établissements scolaires du Pays Basque ont décidé de grouper leurs commandes pour offrir des repas plus sains à leurs élèves. Pour Thierry Pousson, l’intendant du Lycée de Navarre (Saint-Jean-Pied-de-Port) qui gère ces groupements d’achats, "Il s’agissait de mutualiser les besoins et de mobiliser les compétences de chacun pour arriver à obtenir un rapport qualité-prix et des services intéressants. Ainsi, par exemple, un établissement isolé comme le collège de Baigorri, peut être livré plus souvent, même si les volumes sont petits". Trois groupements d’achats ont été mis en place, conformément aux réglementations imposées aux établissements scolaires, qui proscrivent la préférence géographique mais privilégient les circuits courts. "Cela permet de mettre sur un pied d’égalité les petits producteurs locaux avec les gros distributeurs", précise T. Pousson. L’un des groupements concerne une quinzaine de paysans bio qui fournissent des produits frais. Depuis deux ans, un autre groupement d’achats a été mis en place pour la viande bio. Il s’impose un jour de livraison fixe pour, se partager les morceaux d’une carcasse entière. Comme il y a moins de pertes pour le producteur, le prix à l’achat est plus bas. Ce groupement travaille notamment avec l’association de producteurs Biozkarria, à Saint-Palais. "Des liens de solidarité sont nés, ainsi qu’une certaine émulation pour les chefs de cuisine à qui il est proposé des produits de qualité supérieure", conclut T. Pousson.


Valérie : du groupement d’achat informel à Otsokop

Résidant à Boucau, Valérie est une habituée des groupements d’achats. Depuis une dizaine d’années, elle organise des commandes avec un groupe d’amis, motivée par l’assurance de profits directs aux producteurs et la recherche d’un prix plus bas pour des produits de qualité. Elle apprécie également le contact direct avec les paysans bio : "nous sommes toujours très bien reçus, nous sommes dans l’échange à tous points de vue". Elle estime que pour bien fonctionner, un groupement d’achats demande de la rigueur, de l’anticipation, de l’organisation et des liens forts entre membres. Son expérience lui a appris à limiter à un cercle restreint la proposition de produits. Cela n’empêche pas les grosses commandes : "vous prenez celles de quelques personnes que vous connaissez bien, qui elles-mêmes se sont occupées de celles de leurs proches et ainsi de suite. C’est pyramidal".

 

Naturellement, elle s’est rapprochée d’Otsokop, dès son lancement. Aujourd’hui, elle s’interroge quant à l’évolution du projet : "je trouve qu’il manque de simplicité. Pourquoi faut-il d’emblée un grand nombre de participants ? Résultat : on voit passer par mail des échanges parfois conflictuels qui ne font pas avancer les choses et peuvent décourager. Je pense que ça vient du fait que les gens ne se connaissent pas entre eux ; ils sont trop nombreux. Franck a de bonnes idées, des envies très positives, mais la logique d’entreprise qui transparaît dans le projet me pose problème. On veut s’agrandir avant d’exister, avant de partager des choses. Partageons d’abord ; les gens viendront naturellement après. Pour moi, la dimension humaine doit rester l’objectif principal. Je vais toutefois continuer à suivre le projet et si je vois qu’il prend une direction qui ne me correspond pas, je retournerais à mon groupement d’achats informel".

 

Source : http://mediabask.naiz.eus/fr/info_mbsk/20150505/du-sud-au-nord

 

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