La préfète de Seine-et-Marne a accordé des autorisations de travaux qui, selon les opposants, ouvriraient la voie à des opérations de fracturation hydraulique. Portée devant les tribunaux, l'affaire donne lieu à une nouvelle QPC.
Décryptage | Energies | 21 juin 2013 | Actu-Environnement.com Philippe Collet
L'interdiction du recours à la fracturation hydraulique n'a pas mis fin aux contentieux liés à l'exploration pétrolière en France. En Seine-et-Marne, un recours porté par la commune de Nonville illustre les craintes des opposants face à un forage d'exploration, accordé dans le cadre du permis de Nemours, et qui préparerait, selon eux, des opérations de fracturation.
Ce permis, qui porte sur l'exploration de 190 km2 répartis en Seine-et-Marne et en Loiret, a été initialement attribué aux sociétés Lundin, Vermilion et Toreador par arrêté ministériel du 3 juin 2004. Par la suite, Vermilion se retire, Lundin est désigné opérateur du permis, Hess Oil fait officiellement part de son intérêt et le permis est prolongé pour cinq ans le 26 juin 2008. Dans la foulée de l'adoption de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, Lundin remettait au ministère un rapport stipulant qu'"en aucun cas [les techniques décrites dans le rapport] ne comportent de forages suivis de fracturation hydraulique de la roche".
Le 10 août 2012, Nicole Klein, préfète de Seine-et-Marne prenait un arrêté donnant acte à ZaZa Energy, le nouveau nom de Toreador, de la déclaration de travaux de forage de recherche d'hydrocarbures sur la commune de Nonville dans le cadre du permis de Nemours. Le texte, qui donne le feu vert à l'entreprise, évoque une possible "reprise des travaux sur le puits pour forer la phase de forage horizontale". Une particularité que ce forage d'exploration partage avec trois autres autorisations accordées à ZaZa Energy en Seine-et-Marne à la même époque.
Un arrêté perçu comme un premier pas vers la fracturation hydraulique
Or, l'exploitation des hydrocarbures de roche-mère associe le forage horizontal à la fracturation hydraulique, notamment pour améliorer le rendement de l'opération en augmentant la surface de contact du forage avec le gisement. Néanmoins, dans un entretien accordé à la presse locale, la préfecture estimait qu'"on peut fracturer dans un puits vertical comme on peut faire un puits horizontal sans fracturer". Toujours est-il que, si la loi de juillet 2011 interdit la fracturation hydraulique, elle reste cependant silencieuse sur les forages horizontaux dans la roche-mère. Les opposants soupçonnent les opérateurs d'avancer leurs pions en vue d'une éventuelle ré-autorisation de la fracturation hydraulique, qu'elle soit encadrée par l'Etat à titre expérimental comme le suggère les parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ou qu'elle soit autorisée si le Conseil constitutionnel venait à invalider la loi de juillet 2011 suite à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par l'opérateur Schuepbach.
En décembre, la commune de Nonville et la communauté de communes Moret Seine-et-Loire déposent un recours devant le tribunal administratif de Melun pour demander l'annulation de l'autorisation de travaux accordée par la préfète au motif qu'elle ouvre la voix à l'utilisation de la fracturation hydraulique.
La préfecture révise sa copie
Fin avril, la préfecture révise sa position et prend un arrêté qui sonne comme un rappel à la loi. En se basant sur la circulaire de Delphine Batho du 21 septembre 2012 et "considérant que le programme de travaux comprend une phase optionnelle de forage horizontal de reconnaissance de la roche-mère du Lias, dont l'exploitation implique, dans l'état actuel des techniques, l'utilisation de la fracturation hydraulique", le texte rappelle que "les travaux de reconnaissance horizontale dans les formations du Lias sont interdits sur le forage de recherche (…) situé sur le territoire de la commune de Nonville". Au total ce sont sept autorisations de travaux accordés à ZaZa qui font l'objet d'arrêtés identiques portant mesures de police. Autant d'arrêtés susceptibles d'être attaqués en justice par les détenteurs de permis. "Il y aura des recours. J'ai déjà fait remonter que nous ne sommes pas du tout certains d'avoir un jugement favorable", expliquait la préfète à la presse locale. La crainte des services de l'Etat porte surtout sur la légalité d'un arrêté interdisant le recours aux forages horizontaux dans la roche-mère mais pas au dessus ni en dessous…
Avec cet arrêté, "l'Etat reconnaît que les promoteurs de ce projet – une myriade de sociétés mal identifiées - envisagent d'avoir recours à la fracturation hydraulique", estiment les opposants, considérant que "ce qui est interdit ne peut être une option ! Et, il n'y a pas d'autre technique que la fracturation hydraulique pour réaliser ce projet".
Et de "[demander] à la ministre de l'Ecologie, qui s'oppose courageusement à cette technique, de tirer toutes les conséquences de cette reconnaissance du recours à la fracturation hydraulique" en abrogeant le permis de Nemours et l'autorisation de forage du 10 août 2012.
Quid de la Charte de l'environnement
Par ailleurs, toujours dans le cadre de ce recours, les avocats de la commune de Nonville soulèvent une QPC au motif que l'arrêté autorisant les travaux s'appuierait sur divers articles de l'ancien et du nouveau code minier qui méconnaissent les articles 3 et 7 de la Charte de l'environnement. D'une part, l'absence d'évaluation environnementale préalable à l'autorisation de travaux s'oppose au principe de prévention et, d'autre part, la procédure d'attribution des permis par mise en concurrence ne tient pas compte de l'obligation d'associer le public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement. Un point de vue que semble partager au moins partiellement Delphine Batho qui, interrogée en juillet 2012 par la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale, relevait que "l'actuel [code minier] n'est pas conforme à l'article 7 de la Charte de l'environnement car il ne respecte pas la consultation et la participation du public, lorsqu'il s'agit de projets d'exploration et d'exploitation d'hydrocarbures ayant un fort impact sur l'environnement".
Le précédent néo-calédonien
Au cœur de cette QPC se trouvent les notions d'"atteintes qu'[une personne] est susceptible de porter à l'environnement" et de "décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement". En l'occurrence, le Conseil constitutionnel a rejeté fin avril une QPC portant sur les mêmes questions mais dans le cadre de recherches de gisements de nickel, de chrome ou de cobalt en Nouvelle-Calédonie. Il avait jugé que les autorisations de travaux de recherche ne constituaient pas des décisions ayant une incidence significative sur l'environnement car les substances minérales recherchées se limitent à des minerais et parce qu'il n'a pas été démontré que les techniques mises en œuvre (la technique dite "air-core" et celle du sondage carotté) avaient des incidences significatives sur l'environnement.
Reste à savoir si la QPC franchira les différentes étapes vers le Conseil constitutionnel et si ce dernier jugera que, dans ce cas précis, la nature des produits miniers et la technique de forage peuvent porter atteinte à l'environnement. Si tel est le cas, les autorisations accordées selon cette procédure pourraient être remis en cause. En l'occurence, le 20 juin, le rapporteur public a jugé recevable le transfert au Conseil d'Etat, première étape du parcours.
Les dommages environnementaux suivis de près Hasard du calendrier, le maire du village de Blandy-les-Tours en Seine-et-Marne a annoncé mercredi porter plainte contre Vermilion, dont un puits de pétrole a pollué une rivière, rapporte l'AFP.
"L'objectif est qu'une enquête établisse les responsabilités", a expliqué à l'agence de presse le maire, Eric Cadiou, qui a déposé sa plainte à la gendarmerie et n'exclut pas de poursuivre la société canadienne au civil. D'autres communes et le syndicat de rivière local pourraient faire de même.
Samedi 15 juin, une fuite avait été découverte sur une canalisation d'un site de Vermilion à Champeaux. Une quantité indéterminée de pétrole s'est répandue, dont une partie a flotté sur le Ru d'Ancoeur, un petit ruisseau à proximité du puits. Mercredi, le nettoyage des lieux était quasiment terminé.