by Lukas Joseph
Si vous habitez sur le bord du littoral, il est possible que vous ayez remarqué lors de vos promenades, des récifs constitués d’une multitude de tubes minuscules agglomérés sur la roche. L’architecte de ces fascinantes structures n’est autre qu’un petit ver marin appelé hermelle. Cette espèce est capable de prouesses sculpturales faisant de lui un véritable façonneur de l’écosystème.
Hermelle, qui es-tu ?
L’Hermelle ou Sabellaria alveolata est un petit ver marin polychète, sédentaire et tubicole, c’est à dire qui vit seul toute sa vie dans un tube construit à partir de grains de sable qu’il capte en suspension dans l’eau. La partie de son corps appelé le fer à cheval lui permet de calibrer les grains puis, grâce à un mucus qu’il produit, il colle les grains tout autour de lui jusqu’à créer un tube parfait.
L’hermelle mesure 4 centimètres de long et possède de nombreuses soies qui ressemblent à de petits poils. L’hermelle vit en moyenne 7 à 8 ans et, chose curieuse, il ne sera jamais en contact direct avec ses congénères. Pour autant, l’union fait la force car, pour résister aux vagues, les hermelles agrègent leur fragile habitat pouvant mesurer 20 cm de long aux tubes de leurs pairs.
Quand ces petits vers marins sont regroupés en larges colonies, ils forment des structures biogéniques qui ressemblent à des récifs coralliens. D’ailleurs, son nom”hermelle” vient du grec “herma” qui signifie rocher ou récif.
L’Hermelle : un des maillons de l’écosystème
Le ver appelé hermelle est intégré à la chaîne alimentaire. En se nourrissant d’organismes, de particules alimentaires organiques dont ils filtrent l’eau, les hermelles accélèrent la prolifération de micro-algues, source de nourriture pour beaucoup d’espèces d’arthropodes, d’insectes, de crustacés ou encore de coquillages…
Il est, d’autre part, l’une des composantes de l’alimentation de certains poissons et crabes.
Pourquoi la protection des Hermelles est-elle importante ?
Bien que ce ver soit d’une taille très réduite, son impact sur l’environnement n’est pas négligeable. Les récifs créés par des bancs d’hermelles assurent la protection des côtes contre l’érosion et la hausse du niveau de la mer. Il a été constaté scientifiquement que, derrière ces récifs-barrières, les dunes sont en parfaite santé.
Ces récifs contribuent enfin à stimuler le développement de la biodiversité locale. Pour le chercheur de l’Ifremer Stanislas Dubois, l’hermelle fait partie des espèces dites « ingénieurs de l’écosystème » qui, par leur présence, modifie les ressources des autres espèces en construisant des récifs qui deviennent autant de cachettes pour d’autres espèces. Selon une étude menée sur un banc d’hermelles, il a été constaté que l’on retrouvait dix fois plus d’espèces dans un mètre carré sur le récif que dans le sable juste à côté.
Le récif des hermelles de Sainte-Anne , la plus grande construction animale d’Europe
En baie du Mont-Saint-Michel, une colonie géante d’hermelles a bâti la plus grande construction animale d’Europe. Cette réalisation pharaonique s’étend sur plus de 200 hectares à 5 km au large de la grève de Sainte-Anne, à hauteur de Saint-Broladre (Ille-et-Vilaine). L’existence du récif de Sainte-Anne est attestée à partir du XVIIe siècle puisqu’il apparaît sur des cartes marines de l’époque qui signalaient des obstacles à la navigation. Le site pourrait être encore plus ancien.
L’importance du récif des hermelles de Sainte-Anne, aujourd’hui classé, n’a pas toujours été reconnue comme l’ atteste le nom de “crassier” qui lui était attribué localement. Aujourd’hui, il est interdit de casser les tubes d’hermelles sous peine de forte amende.
Ainsi le paradoxe des hermelles est de pouvoir résister aux fortes vagues mais de pouvoir être facilement arraché en bloc à la main.
Hermelle, une espèce en danger ?
Comme beaucoup d’espèces aujourd’hui, les hermelles sont aussi menacés par le réchauffement climatique et la pression des activités humaines sur le littoral. Son aire naturelle de répartition s’érode avec les années. Il est donc indispensable de recenser la présence des hermelles sur les côtes, de suivre l’évolution des récifs et d’encourager leur protection.
En laboratoire, on a pu compter jusqu’à 60 000 individus au mètre carré. Plus ils sont denses, plus ils ont de chances de survivre.
Protéger le littoral et le milieu marin avec les hermelles
Leur salut viendra peut-être de leur incroyable faculté à construire des récifs-barrières protégeant ainsi les côtes européennes de l’érosion. En Angleterre, un essai grandeur nature a été réalisé pour créer un récif d’hermelles plutôt que de construire une digue en béton.
Le projet n’a finalement pas abouti mais l’idée creuse son chemin. En laboratoire, les chercheurs arrivent à obtenir des larves qui fondent des petits récifs. Mais, une fois dans leur environnement naturel, la transplantation ne prend pas … pour l’instant.