Comme toute innovation technologique, la 5G comporte son lot de conséquences destructrices alors que dirigeants et médias la font passer pour vertueuse et porteuse d'avenir (un monde propre et une vie facile, détachés de la matière). C'est un monde déshumanisé qu'elle est pourtant appelée à contribuer de construire.
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Chaque bataille nous appelle à considérer tous les problèmes du monde
L'utilisation des téléphones portables puis des smartphones s'est banalisée à une vitesse qu'aucune innovation technologique n'avait atteinte jusqu'ici. Si on se laisse gagner par l'ambiance générale dans laquelle leur usage est envahissant, omniprésent, il peut apparaître vain d'en faire la critique : il n'y a plus de vie possible sans ces terminaux qui connectent chaque individu au reste du monde. Qui se soucie-t-il encore de toute la machinerie qui est mise en marche pour, au cœur d'une forêt connaître le nom d'une plante, au milieu de l'Océan garder son cap, au bas d'un immeuble avertir un ami qu'on est arrivé ? De la même façon qu'on a l'impression de se déplacer à toute vitesse dans une mal-nommée automobile puisqu'on ne compte pas le temps de sa fabrication, ceux qui sont connectés ne voient pas les désastres causés aux quatre coins de la Terre par la fabrication et le fonctionnement de leurs fragiles et obsolescentes prothèses électroniques. L'escroquerie de la dématérialisation paraît malheureusement avoir très largement convaincu. « Faites un geste pour la planète, demandez à recevoir votre facture par Internet ! ». Plus la dématérialisation gagne du terrain, plus les mines de terres rares et de cobalt se multiplient, plus les décharges de tablettes tactiles et de téléphones smarts obsolescents se répandent, plus l'exploitation de l'homme par l'homme s'intensifie.
D'abord, il y eut le Linky
Mais voilà qu'avec l'annonce d'un réseau de nouvelle génération, la cinquième, davantage de voix s'élèvent.
Il y a maintenant à peu près six années qu'un bon millier de collectifs bataille contre le Linky dans l'hexagone. Lorsque la menace de la 5G s'est précisée, la plupart de ces collectifs ont très rapidement muté en collectifs anti Linky ET 5G. Il y a fort à parier que sans cette expérience de lutte et cette implantation, il n'y aurait pas eu de levée de bouclier contre la 5G en France. C'est déjà les dangers que font peser les rayonnements électromagnétiques sur la santé (de tous les êtres vivants) qui avaient été le déclencheur principal de ce mouvement de refus de ces compteurs dits intelligents. Mais la collecte massive de données sur nos habitudes de vie que permet ce dispositif est généralement bien placée aussi dans les arguments avancés par les militants. Ce projet de modernisation du réseau électrique mené par Enedis est d'abord motivé par sa nécessaire adaptation aux besoins des nombreux fournisseurs qui spéculent sur le marché ouvert et croissant de l'électricité1. Mais l'intérêt de connecter numériquement chaque foyer n'échappe à aucun acteur commercial ou administratif d'aujourd'hui puisque la massification des données issues de toutes les sources possibles est devenue une activité des plus rémunératrices au point que Enedis reconnaît être devenue grâce à son boîtier vert-pommes installé dans le moindre appartement, une entreprise bien cotée du Big Data. Le combat anti-Linky est devenu un combat contre la connexion.
Avant 2015, à l'époque où les premiers Linky ont commencé à être posés, en dehors de ceux et celles qui militaient déjà contre l'informatisation du monde et des collectifs anti-Linky, il n'y avait pas grand monde pour se risquer à ce combat perdu d'avance. Surtout pas les organisations à la recherche de luttes phares et médiatiquement porteuses. Les anti-Linky ont toujours été moqués par une énorme majorité des journalistes et des politiciens. Le combat anti-Linky a eu (et a encore) le grand intérêt de mettre en évidence une branche technophile de l'écologisme. En effet, les promoteurs de la numérisation du réseau électrique le présente comme une innovation utile à la transition énergétique. Beaucoup de groupes écolos séduits par cet argument sont très gênés par ce dossier puisqu'ils ne peuvent se permettre d'avouer leur amour pour des dispositifs technocratiques de gestion des populations alors que leurs effets secondaires (électromagnétisme, surveillance…) inquiètent beaucoup de personnes de sensibilité verte (voir par exemple, les explications alambiquées du “fournisseur alternatif“ Enercoop). Le mouvement anti-Linky a été le premier à contester avec une telle force et contre vents et marées, la vie connectée à tous les étages et c'est dans ce contexte qu'a été accueillie l'annonce par le gouvernement de l'arrivée de la 5G.
Incontournable
Ce projet a été d'emblée présenté comme indiscutable : que les choses soient claires, il faut s'y lancer en bonne place, le plus vite et intensément possible, aucune contestation ne sera entendue, l’État est seul décideur en la matière. La Convention sur le climat créée par le président de la république lui-même fut renvoyée dans les cordes lorsqu'elle proposa de prendre le temps de réfléchir avant de déployer cette technologie. Car la 5G (et l'informatisation généralisée avec elle) est nécessaire à la relance économique, elle fera naître de nouveaux usages et donc de nouveaux marchés. Nous sommes ici au cœur du problème.
Tout le monde l'a maintenant compris, la 5G n'est pas seulement un renforcement des réseaux de téléphonie mobile déjà installés qui permettrait de télécharger une vidéo en quelques secondes, il s'agit d'un maillage total et millimétré de la planète afin de rendre possible le fonctionnement automatisé d'absolument toutes les actions menées jusqu'ici par des êtres humains. Quand ses promoteurs vente la télé-chirurgie, il faut bien sûr comprendre qu'ils parlent de disparition des chirurgiens alors qu'ils croient nous aguicher avec les images d’Épinal d'un monde futuriste type Meilleur des mondes. Car toute cette propagande s'appuie sur la croyance prométhéenne encore quelque peu vivace d'un monde dans lequel nous serions débarrassé des contraintes matérielles, vaincre enfin et définitivement la Nature en faisant disparaître tout ce qu'elle nous empêche de réaliser. La réduire à un réservoir de ressources tout en tentant d'effacer ce qu'elle nous impose comme réalité. Et là-dessus, toutes les organisations politiques qui aspirent à la prise du pouvoir sont d'accord. Le contexte du combat anti-5G nous montrera sans filtre qui croit encore que la technologie libère l'homme alors qu'on voit de plus en plus clairement qu'elle ne lui réserve que les tâches les plus rébarbatives (tout en prétendant l'exact contraire). Nous verrons qui veut vraiment détruire les rapport sociaux capitalistes et qui compte gérer les populations et ne renoncera donc pas aux outils numériques de contrôle et de surveillance.
Un moratoire
En septembre 2020 une soixantaine d'élus parmi lesquels des nouveaux maires écologistes de grandes villes nouvellement élus signaient ensemble un texte demandant au gouvernement un moratoire sur le déploiement de la 5G. Pourtant, dès 2018 des centaines de scientifiques et membres d'association du monde entier avaient lancer un appel pour l'arrêt du déploiement de la 5G sur Terre et dans l'espace. Leur raison étant que les nuisances dues à la multiplication des émissions de radio-fréquence mettait en péril la vie même. Un moratoire ou un arrêt ? Il faut sans aucun doute voir dans cette subtilité sémantique une divergence quant aux exigences de chacun.
Il était plus que choquant de voir que, en fin d'année 2020, le gouvernement organisait la vente des fréquences aux quatre opérateurs de téléphonie alors que son agence de santé (ANSES) était obligée d'avouer qu'elle était dans l'impossibilité de mesurer les dangers supplémentaires que pouvaient provoquer le nouveau réseau. Dans ce contexte, les demandes de moratoire eurent un grand succès. Énorme ! au point de faire de l'ombre à toutes les autres initiatives. Évidemment, il faut une nouvelle fois prendre en considération ici, le rôle de la presse qui met en avant ce qu'elle est capable de comprendre, c'est à dire les discours des politiciens et beaucoup plus rarement les textes d'analyse. Bientôt, toute contestation de la 5G s'exprimait dans ce sens et même si elle exprimait autre chose ce n'était plus entendu.
Une demande de moratoire, c'est une suspension en attendant des garanties. En l’occurrence, celles des agences gouvernementales. Or ces agences servent précisément à encadrer les activités industrielles afin qu'elles ne soient pas contestées. Les agences fixent des normes qui sont mises au point de façon à laisser fonctionner tous les systèmes nécessaires au bon déroulement des affaires. Cette tendance date du XIXe siècle quand l’État s'organisa de façon à ce que les voisins des usines ne puissent plus s'opposer aux pollutions qui commençaient à pisser de partout. Juste obtenir éventuellement des dédommagements pendant que les nuisances continuaient bon train. On vient de voir avec le scandale du Médiator comment en payant une amende l'Agence du médicament (ANSM) échappe à une remise en cause de son existence alors qu'elle est responsable d'avoir laisser sciemment cette molécule tuer des centaines de personnes. Pas de procès aux assises pour les administrateurs assassins des agences nationales ! De la même façon, l'ANSES comme en ce 20 avril 2021 a délivré un certificat de conformité à la 5G et tous les signataires de demandes de moratoire vont se trouver bien désemparés de voir fondre brusquement leurs raisons de s'opposer. Désemparés pour les plus naïfs mais rassurés pour les plus malins. Ces derniers auront fait preuve de compassion envers leurs administrés et auront ainsi préservé leur cote. Une fois le rapport de l'ANSES livré (peut-être aussi celui de l'ADEM, de la CNIL…), ils seront quittes et pourront retourné à des affaires plus sérieuses.
Mais certains élus ne prendront même pas la peine d'user de cette précaution démagogique. C'est le cas de l’exécutif de la Communauté d'agglomération du Pays Basque. Alors qu'en Iparralde une dizaine de communes a déjà exprimé des réticences vis-à-vis de la 5G, le 20 mars 2021, après l'avoir repoussé de mois en mois, l'assemblée abordait enfin le sujet. En présence d'une partie seulement de ses membres, elle vote une proposition présentée par un groupe de travail (composé d'élu·e·s trié·e·s sur le volet sur demande de son président) par 12 voix contre, 32 abstentions et le reste des 235 délégué·e·s pour (via procurations, donc). La position officielle de la CAPB est donc que puisque l’État demandent aux élus de se taire… elle n'exprimera pas de désapprobation et ne soutiendra pas les habitants qui choisiront de lutter contre la 5G. Dehors, quelques personnes, membres de 13 collectifs anti Linky & 5G, distribuaient un tract sur lequel ils proclamaient qu'« un véritable débat ouvert, n'écartant aucune des conséquences qu'implique le développement de la 5G et des objets connectés s'impose de toute urgence ». Quelques semaines plus tard, les collectifs anti-5G de Ayherre et St Martin d'Arberoue adressaient une lettre ouverte à Martine Bisauta pour dénoncer le positionnement de l'exécutif de la CAPB : « Quand elle cite en exemple la façon dont la Ville de Bayonne a mis en place une concertation avec les opérateurs, que prône-t-elle ? N’est-ce pas là le choix de la collaboration, en opposition avec celles et ceux qui ont choisi le combat ? Surtout quand celle-ci avoue n’avoir réussi, au prix d’âpres discussions, qu’à légèrement déplacer une antenne et modifier l’orientation d’une autre ! »2.
La courbe ascendante du progrès
Après avoir traversé deux siècles teintés d'un fort consensus autour du progrès technique porteur de progrès social, nous semblons entrer dans une nouvelle période qui voit naître et croître assez largement une défiance vis-à-vis du solutionnisme technologique (“certes la technologie génère des nuisances mais le développement technologique y trouvera des solutions“). En même temps, l'engouement des décideurs pour la course à la technologie quoi qu'il en coûte apparaît de moins en moins rationnelle et crédible. Petit à petit, l'obscurantisme dont le pouvoir affuble souvent les contestataires lui revient dans la figure. « Il faut développer la 5G sinon on ratera le train du progrès, de la relance », voici l'argument choc du gouvernement et des industriels, un refrain sensé disqualifier toute contestation. Ils s’enferrent dans une contradiction qui n'échappe plus à beaucoup de monde alors que la fabrication, le fonctionnement et la mise au rebut de tous ces objets électroniques connectés amènent la consommation d'énergie et de matières premières vers une courbe tendant à l'exponentielle. Et les guerres que cela commencent déjà à provoquer. Mais les prêtres de l'économie et de l'emploi ne peuvent se renier, reculer, admettre des erreurs, le culte de l'accélération, de la croissance et de l'innovation doit tenir puisque c'est lui qui structure la capitalisme. Cette crispation est manifeste, la petite phrase de Macron qualifiant les critiques de la 5G d'Amishs est symptomatique.
C'est le moment d'affirmer que non, nous ne désirons pas de relance et certainement pas cette forme de progrès qui métamorphose les humains en exécutants mécaniques jusqu'à pouvoir les remplacer par des robots. Nous n'avons que faire de la grandeur de la France, qu'elle s'affaiblisse, périclite et laisse la place à d'autres formes de rapports sociaux ! C'est là, il me semble, la seule façon sérieuse de concevoir l'opposition à la 5G et à toute autre innovation accompagnant le développement du capitalisme.
La situation d'exception produite pas l'épidémie de Covid facilite l'accélération de l'informatisation des sociétés et rend d'autant plus urgente la résistance. Celle-ci passe bien sûr par des actions de terrain à l'image du blocage du chantier de l'antenne de Saint Martin d'Arberoue fin mars3, c'est la priorité absolue. Mais le refus partout, au boulot, dans les services, le spectacle… de l'imposition numérique est nécessaire aussi. Notamment, le refus de collaborer aux pistages de toutes sortes (accepterons-nous de montrer un QR code pour entrer dans une salle de théâtre ?!). Aujourd'hui, face à la publicité des opérateurs et des autorités en faveur de la 5G, le boycott est de rigueur pour aller ensuite vers un renoncement à l'Internet mobile (pour commencer à désintoxiquer les addicts). En effet, cet usage est la raison qui justifie, légitime, la construction d'antennes par milliers et bientôt de satellites par dizaines de milliers avant que toute cette infrastructure ne serve à guider les voiture dites autonomes, sans chauffeurs (et les drones tueurs!), tarte à la crème du progrès et catastrophe totale annoncée.
Lire le texte d'appel (trilingue eus, fr, cast) pour une opposition à la 5G : http://linkyrikez.eklablog.com/appel-trilingue-p2951638
Pour davantage d'information sur le Linky et la 5G : http://linkyrkez.eklablog.com
1- Pour des précisions sur cet aspect (et bien d'autres, aussi bien par rapport au Linky qu'à la 5G), voir : Le Linky au service des producteurs et au détriment des usagers
2- Voir un résumé de cet épisode sur : La CAPB ne dit pas non
3- Afin d'organiser ces batailles, il convient de trouver les moyens de connaître au plus tôt les plans d'implantation des opérateurs de téléphonie mobile. Les municipalités sauront-elle obtenir et livrer largement ces informations ?
Source: http://ezkermila.eus/fr/item/5g-il-n-y-a-pas-de-luttes-accessoires.html