Par Sylvia Becerra, Guillaume Carbou, Julian Carrey, Mickaël Coriat, Adeline Grand-Clément, Steve Hagimont, Laurence Huc, Jean-Michel Hupé, Béatrice Roure, Laure Teulières et Laure Vieu, L'atelier d'écologie politique (Atécopol)
publié le 1er mai 2021 à 15h08
Alors que les fournisseurs d’accès et les industriels communiquent déjà sur l’absolue nécessité des futurs objets connectés liés à cette technologie énergivore, plus de 500 scientifiques appellent les citoyens à dire «non» à tous les produits liés de près ou de loin à la 5G et son monde.
Des militants pour le climat du groupe Extinction Rébellion placent une banderole sur un panneau publicitaire lors d'une manifestation contre le réseau mobile 5G dans le centre de Bruxelles, le 5 juin 2020. (Francois Lenoir/REUTERS)
Ça y est, la 5G, c’est parti. Les fournisseurs d’accès jouent à celui qui a la plus grosse couverture et le plus grand panneau de pub. On nous vend déjà les casques de réalité virtuelle 5G pour regarder le sport, les visites virtuelles de musées pour nos enfants et les après-midi entre ami·es dans des parcs au soleil pour… regarder des séries TV sur nos smartphones. On veut nous persuader que la balance ou la poubelle connectée font partie des objets indispensables, préparant un nouvel «Internet des objets» qui s’appuiera sur la 5G. A celles et ceux qui réclamaient un moratoire tant que les risques de la 5G pour la santé n’avaient pas été évalués, l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses) vient d’annoncer qu’il n’y a «pas de risques nouveaux pour la santé au vu des données disponibles» (1). Son rapport indique pourtant que les études n’ont pas été menées sur les nouvelles fréquences utilisées par la 5G, et qu’il n’est guère possible d’extrapoler les résultats obtenus avec les technologies précédentes. L’incertitude demeure, donc, en matière de risque sanitaire, mais le déploiement continue.
On se sera donc assis sur les recommandations du Haut Conseil pour le climat, sur la demande de moratoire émanant de la Convention citoyenne pour le climat, sur l’avis de plusieurs scientifiques s’étant exprimés sur le sujet, et tout simplement sur le bon sens : à l’heure où il nous reste sept ans de budget carbone pour rester en dessous de 1,5°C de réchauffement climatique (2) il paraît tout à fait déraisonnable de déployer une technologie énergivore, prédatrice en ressources naturelles et humaines, ne répondant à aucun de nos besoins fondamentaux – loin s’en faut – et par ailleurs, dangereuse pour nos données personnelles. Quels que soient les arguments que pourront déployer les promoteurs de la 5G, il faut être clair sur un point : non, bien sûr que non, celle-ci n’est absolument pas compatible avec une transition vers un monde durable. Oui, bien sûr que oui, avec sa myriade d’objets connectés, d’écrans, de batteries, de satellites, de data centers et de robotique de pointe, la 5G accélère le saccage de la planète. Et pas seulement à cause du réchauffement climatique : l’extraction minière nécessaire pour fabriquer les nouveaux gadgets technologiques a, dans certaines régions du monde, des conséquences dramatiques. Outre les dégâts sur les écosystèmes, ce sont des hommes, des femmes et des enfants travaillant dans des mines sans protections, avec des outils rudimentaires, pour un salaire de misère, parfois sous contrôle paramilitaire ou mafieux. Aujourd’hui, c’est parfois dans des conditions d’esclavage moderne que des humains meurent pour que d’autres croulent sous les objets connectés (3).
«Habitus-as-usual»
Il y a donc plus grave que l’incertitude quant aux éventuels risques sanitaires des ondes : c’est la certitude quant aux ravages écologiques et humains. A l’heure où nous n’avons d’autre solution raisonnable que la sobriété énergétique pour assurer un futur vivable, l’idée même de déployer ce réseau et l’extraordinaire production industrielle qui l’accompagne est délirante, voire obscène.
Le business-as-usual continue donc, sans que rien ni personne ne puisse l’arrêter. Agglomérat d’intérêts économiques, de lobbies offensifs, de luttes pour de nouveaux marchés et de course au consumérisme, il persiste à vouloir nous vendre n’importe quoi. C’est aussi un habitus-as-usual, fait de déni ou d’ignorance de l’ampleur de la catastrophe climatique et écologique, de vision à court terme, de peur du déclassement, de foi aveugle dans le progrès technologique, d’invisibilisation des ravages dans les pays du Sud, de promesses intenables et de cynisme. Malgré les grandes annonces internationales qui promeuvent la «transition écologique», la route suivie est toujours la même, et à peine freine-t-on un peu d’un côté, que, de l’autre, on met en place les conditions d’un nouveau coup d’accélérateur pour repartir de plus belle.
Rouleau compresseur
Il est extrêmement complexe de résister au rouleau compresseur qui entraîne inexorablement les enfants qui naissent aujourd’hui, et l’ensemble du vivant, vers un monde à +4°C, avec toutes les catastrophes que nous, scientifiques, documentons dans nos travaux (4). Choisissons alors de ne pas jouer le jeu : si personne n’achète de téléphone 5G ni d’objets connectés, le déploiement extrêmement coûteux de cette technologie sera mis en échec.
Nous appelons donc solennellement tous les citoyens et toutes les citoyennes soucieuses de l’avenir des générations présentes et futures à boycotter tous les produits liés de près ou de loin à la 5G et son monde. Si l’on vous incite à passer au téléphone ou forfait 5G, même pour un prix modique, dites non. Si un·e collègue part à la retraite, trouvez autre chose qu’un casque 5G à lui offrir. Si on vous demande, dans le cadre de votre métier, de promouvoir des produits 5G, désobéissez discrètement. Choisissez de l’électroménager non connecté. N’achetez pas de drone 5G à un enfant (et pas de drone du tout, d’ailleurs). Bref, continuez à vivre sans 5G, comme maintenant. Et faites tourner cette recommandation autour de vous, afin qu’un mouvement collectif émerge pour résister au conditionnement comme au suivisme. Il ne nous reste plus qu’une solution légale face au business-as-usual qui persiste à broyer la terre et ses habitant·es : assécher le business et devenir (enfin) responsables de notre futur commun.
Ce texte a été signé par plus de 500 scientifiques, dont la liste peut être trouvée ici. Des références supplémentaires et un formulaire de soutien à cet appel sont également disponibles sur le site de l’Atécopol.
(1) «5G : pas de risques nouveaux pour la santé au vu des données disponibles», ANSES, 20 avril 2021.
(2) Le GIEC estime que, pour contenir le réchauffement climatique en-dessous de 2°C, nous ne devons pas émettre à l’avenir plus de 1200 milliards de tonnes de CO2 : c’est notre «budget carbone» total. Au rythme actuel des émissions, ce budget sera épuisé en 2027 pour une limitation du réchauffement à +1.5°C et en 2045 pour +2°C (Rapport préliminaire du GIEC, 2020).
(3) Deux exemples emblématiques mais pas isolés sont l’orpaillage en Amérique du Sud (Guyane, Pérou, Colombie, Vénézuela, etc…) et les mines de cobalt en République du Congo. Dans ces dernières, les conditions de travail – incluant de nombreux enfants – relèvent à proprement parler de l’esclavage. «Les esclaves des mines du Congo» – Free the Slaves. «Is your phone tainted by the misery of the 35 000 children in Congo’s mines ?», The Guardian, 12 octobre 2018. «Orpaillage illégal», WWF. «Organized Crime and Illegally Mined Gold in Latin America», Global initiative against organized transnational crime, mars 2016.
(4) Selon les projections des climatologues, si nous continuons sur notre trajectoire actuelle, sans rien changer, cela conduirait à une hausse des températures moyennes de surface de 4°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Les conséquences en seraient dramatiques.
Liste des 500 signataires
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