- 8 avr. 2021
- Par Yann GAUDIN
- Blog : Pôle emploi : le droit de savoir
En décembre dernier, Pôle emploi obtenait du législateur de nouveaux moyens d'enquêter sur ses usagers. Et l'établissement n'a pas traîné pour utiliser ses nouveaux joujoux...
L'information n'était pas secrète puisque beaucoup de médias l'avaient relayée, et nous avions analysé le sujet sur ce blog : Pôle emploi s'est vu doter, dans la loi de finances 2021, de nouveaux moyens d'investigation pour traquer les éventuels chômeurs-fraudeurs.
Parmi les fraudes aux allocations chômage, il y a évidemment la dissimulation de revenus de travail, parfois pendant plusieurs années. Ce qui fait régulièrement les gros titres puisque la somme à rembourser ensuite est souvent bien lourde, sans compter l'éventuelle amende pouvant aller jusqu'à 30 000€ en matière de fausse déclaration. Et logiquement, si ça faisait déjà les gros titres par le passé, c'est que Pôle emploi parvenait déjà à identifier la fraude avec ses moyens d'alors et pouvait atteindre, ainsi, ses objectifs chiffrés de redressements. Enfin pour être précis il s'agit de la mission d'un contingent bien spécifique de salariés de l'institution qui travaillent au service dit "prévention des fraudes", le SPF.
L'accès nouveau aux comptes bancaires et autres placements financiers ne fera donc que faciliter le travail de ce service.
En revanche il est un autre type de fraude sur laquelle Pôle emploi était assez démuni jusqu'alors pour établir des preuves : il s'agit des allocataires qui ne vivent plus en France, et qui peuvent d'ailleurs par la sorte d'autant plus facilement dissimuler des revenus d'activité professionnelle...
Et ça n'a pas traîné : des contrôles de résidence sont actuellement en cours. Pour ce faire il y a notamment un élément d'indice accablant : votre consommation d'électricité ! En effet Pôle emploi a désormais accès, sur demande, à vos factures d'électricité. Or sur vos factures d'électricité, s'il s'avère que vous n'avez rien consommé ou presque pendant plusieurs mois, évidemment c'est un gros indice sur le fait que vous n'étiez pas à votre domicile pendant ce temps... Et la technologie est implacable puisque désormais, avec le compteur Linky, vos factures ne sont plus basées sur une estimation de consommation mais bien sur votre consommation en temps réel !
Deux observations et une conclusion à ce stade :
■ Nul n'est censé violer la loi, ni Pôle emploi (lire tous les articles du blog...) ni aucune autre personne morale ou physique. Il est donc parfaitement normal que l'institution distributrice de plusieurs dizaines de milliards d'euros par an puisse s'assurer que des citoyens ne piquent pas dans la caisse commune à tous les citoyens. Peut-être que l'administration fiscale n'est pas assez rigoureuse quant à l'évasion, à l'étranger, de plusieurs dizaines voire centaines de milliards d'euros par an mais ça n'est pas le sujet de cet article ni de ce blog.
■ Nul n'est censé ignorer la loi ? Cet adage bien connu est totalement imbécile en réalité : qui donc a les aptitudes pour maîtriser parfaitement l'intégralité des millions de lignes de tous nos textes législatifs, de tous les codes et toutes les lois ? Aucun être humain et loin s'en faut, même un juriste doit nécessairement se spécialiser et vérifier régulièrement dans les textes si ses connaissances sont toujours fiables.
En conclusion, nul n'est censé violer la loi dont il a été informé, et c'est bien ça le problème dans ce qui suit.
Que dit la loi en matière de résidence des usagers de Pôle emploi ?
Pour bénéficier de l'assurance chômage française, il faut résider sur le territoire français. C'est indiqué dans le f) de l'article 4 du règlement d'assurance chômage en vigueur et rappelé dans le c) du paragraphe 2 de l'article 25 en matière de cessation de paiement.
Et concernant Pôle emploi, votre lieu de résidence c'est l'adresse que vous communiquez notamment lors de votre inscription.
Problème : que ce soit à l'étape de l'inscription à Pôle emploi, lors d'une ouverture de droits aux allocations chômage ou à l'occasion de l'actualisation mensuelle, jamais il ne vous sera demandé de justificatif de domicile ni de confirmation de votre lieu de résidence principale...
Ensuite en temps normal nous avons heureusement notre liberté de déplacements, et même en situation d'obligation de recherche d'activité professionnelle nous avons droit à des temps de repos.
Le Code du travail est précis sur le sujet : si vous vous absentez plus de 7 jours de votre résidence habituelle, vous devez en informer Pôle emploi dans un délai minimum de 3 jours avant votre départ. Et cette absence sera "autorisée" dans la limite de 35 jours maximum par année civile, comme nous le rappelions d'ailleurs dans un article sur le contrôle de la recherche d'emploi.
Que faire si vous partez chercher du travail à l'étranger ?
Si vous partez dans un pays européen, vous pourrez continuer à bénéficier de vos allocations pendant 3 mois maximum (+ les 35 jours précédemment cités).
Si vous partez dans un pays non-européen, vous n'aurez le droit qu'à vos 35 jours de "vacances", au-delà votre indemnisation sera interrompue par Pôle emploi.
Cependant si vous partez à l'étranger travailler pour un employeur français il y a différents cas de figure.
Quid d'un contrat court loin de chez vous ?
Et si vous acceptez un contrat de travail loin de chez vous mais pour une durée de plus de 7 jours ? Devez-vous déclarer cette absence alors qu'il ne s'agit évidemment pas de vacances ? Rien n'est dit à ce sujet dans la réglementation... Sachez quand même qu'informatiquement, votre conseiller référent peut enregistrer dans votre dossier une période de travail valant pour absence de votre domicile mais sans grever votre quota de 35 jours d'absence.
Là où ça devient encore plus flou, c'est pour les professions dont l'exercice habituel conduit à s'absenter régulièrement plus de 7 jours de son domicile, dont les métiers du spectacle : à chaque fois que vous partez en tournée, que vous passerez peut-être plus de 7 jours hors de votre domicile entre 2 spectacles, devez-vous informer Pôle emploi ? Et cela doit-il être défalqué de votre quota de 35 jours de "vacances" ? En théorie oui, vous devriez informer votre agence de cette période de tournée pour qu'elle soit enregistrée dans votre dossier comme une période de travail, voire de vacances s'il y a plus de 7 jours entre 2 spectacles... Ce qui est d'autant plus contraignant que, comme nous le révélions dans un autre article, les intermittents du spectacle se voient privés de conseiller référent à Pôle emploi et ne sont pas informés de l'adresse e-mail de leur agence de proximité...
Des défaillances
Comme on le voit, la notion de résidence et d'absence n'est donc pas adaptée à tous les parcours professionnels.
Pour revenir aux 35 jours de "vacances" par an, vous aurez probablement déjà fait le comparatif avec les 5 semaines de congés payés pour un salarié. Mais la comparaison s'arrête là car, dans la réglementation, aucun congé spécifique n'est prévu pour un chômeur en cas d'évènement familial, notamment en cas de décès d'un proche alors que le Code du travail prévoit bien des jours de congés supplémentaires pour un salarié.
Enfin, pour revenir au sujet des contrôles de résidence par le soi-disant "service de prévention des fraudes" de Pôle emploi, force est de constater qu'aucune action de prévention n'est faite en la matière, aucun message n'est envoyé régulièrement aux usagers pour leur rappeler leurs droits & devoirs en matière d'absence de leur résidence principale, au mieux vous en serez informé·e lors de votre inscription mais rien n'est moins sûr.
Car si nul n'est censé violer la loi, une chose est certaine : Pôle emploi est censé informer sur la loi qui encadre les droits & devoirs de ses usagers et ce, notamment au titre de l'article L5312-1 du Code du travail.
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Source: https://blogs.mediapart.fr/yann-gaudin/blog/080421/controles-de-residence-linky-est-bavard