Publiée le 10 février 2020, la loi Economie circulaire comporte de nombreuses dispositions relatives à la transition écologique et à la lutte anti-gaspillage qui concernent directement les collectivités. Cette troisième analyse de notre série consacrée au décryptage de cette loi revient sur les mesures relatives aux déchets de construction et de démolition.
Emma Babin
Avocate, cabinet Gossement avocats
La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (ci-après loi « Agec ») a modifié en profondeur le régime juridique encadrant la responsabilité élargie du producteur (REP).
Pour mémoire, la REP, dans son principe, consiste, pour « tout producteur » qui « élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets », de « pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent » (1).
Dans le même temps, cette loi a consolidé ce dispositif avec la création de plusieurs filières de REP (2). Parmi ces nouvelles filières figure celle « des produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels » (3), laquelle doit, en général, être mise en place à compter du 1er janvier 2022.
Pour mémoire, le rapport « Vernier » (4) consacré aux filières « REP » préconisait, entre autres mesures, d’en créer une dédiée à la gestion des déchets du bâtiment, compte tenu du volume important de déchets générés par ce secteur d’activité, dont une proportion conséquente serait, selon le rapport, « hautement recyclable ».
Produits relevant du périmètre de la REP « bâtiment »
Périmètre défini par la loi
Lors de la création d’une nouvelle filière de REP, l’un des points importants consiste à identifier les produits qui seront intégrés dans son périmètre.
Or la définition donnée par la loi (5) des « déchets de construction et de démolition » est générale et ne permet pas de déterminer avec précision les produits susceptibles d’intégrer le périmètre de la filière. Aux termes de la loi, celui-ci inclut : les produits et matériaux de construction et de démolition destinés tant aux professionnels qu’aux ménages ainsi que les déchets émanant du secteur du bâtiment et des travaux publics.
Sortie des déchets produits lors des travaux de réhabilitation ou de démolition des bâtiments
La loi « Agec » (6) a introduit la possibilité que, à certaines conditions, les déchets générés lors d’un chantier de réhabilitation ou de démolition de bâtiment ne « prennent pas le statut de déchet » (7). La loi impose, dans ce cas, que cette « sortie du statut de déchet » soit conditionnée à la mise en place d’un tri des matériaux, équipements ou produits de construction par « un opérateur qui a la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés ». Le cas échéant, seuls les produits et équipements destinés au réemploi ne « prennent pas le statut de déchet ».
Cette possible « sortie du statut de déchets » des produits et équipements de construction réemployables pourrait avoir pour effet de circonscrire un peu plus le périmètre de la filière.
Obligation de reprise sans frais des déchets
Pour mémoire, la feuille de route de l’économie circulaire (Frec) envisageait l’instauration d’une filière « REP » appliquée aux déchets du bâtiment comme une solution à étudier afin de parvenir à la gratuité de la reprise des déchets du bâtiment (8).
Couverture des coûts
Il convient de souligner que la loi « Agec » instaure une obligation de reprise sans frais dans plusieurs filières « REP », dont celle des déchets du bâtiment (9). S’agissant de la « REP » des déchets du bâtiment, l’article L.541-10-23 du code de l’environnement prévoit que les éco-organismes agréés seront tenus de mettre en œuvre cette obligation au moyen d’une couverture des coûts supportés par toute personne assurant la reprise des déchets de construction et de démolition faisant l’objet d’une collecte séparée, au sens de l’article L.541-1-4 du même code.
La loi (10) prévoit que les éco-organismes peuvent déduire des contributions financières que leur versent les producteurs les sommes correspondant aux quantités de déchets faisant l’objet d’une collecte séparée et d’une reprise sans frais.
Établissement d’un maillage territorial de points de reprise
La loi « Agec » (11) prévoit, en outre, que les éco-organismes seront tenus d’établir, en concertation avec les collectivités territoriales et les opérateurs des installations de reprise, un maillage territorial des installations qui reprennent sans frais les déchets issus des produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels. Afin de garantir la mise en place du maillage territorial, les éco-organismes agréés pourront être tenus de pourvoir à la reprise des déchets de construction et de démolition ayant fait l’objet d’une collecte séparée.
Par ailleurs, le cahier des charges encadrant l’activité des éco-organismes agréés détaillera les conditions dans lesquelles les producteurs de produits et matériaux de construction devront contribuer à l’ouverture de nouveaux points de reprise.
Obligation de reprise des déchets par les distributeurs
Il est, par ailleurs, prévu dans la loi « Agec » (12) que les distributeurs de produits et matériaux de construction à destination des professionnels doivent s’organiser, en lien notamment avec les collectivités territoriales, pour reprendre les déchets issus des produits qu’ils vendent (13).
Cette obligation sera supprimée lorsqu’un éco-organisme sera agréé. Dans ce cas, il incombera à l’éco-organisme de prendre sans frais ou faire reprendre sans frais les déchets issus de la collecte assurée par les distributeurs (14).
Prise en charge du gisement historique et des déchets du bâtiment abandonnés
Gisement historique des déchets
Il convient de relever, au préalable, que la loi « Agec » (15) prévoit, pour toutes les filières « REP » sans distinction, que les producteurs « peuvent » être tenus de « prêter leur concours » à la gestion des déchets provenant de produits identiques ou similaires mis en vente ou distribués antérieurement à la date d’entrée en vigueur de leurs obligations, moyennant « une juste rémunération », dont les modalités de calcul ne sont, pour l’heure, pas précisées.
En ce qui concerne la filière « REP » des déchets du bâtiment, la loi (16) instaure, a contrario, une obligation de prendre en charge le gisement historique de ces déchets. Le coût ainsi généré doit être couvert par les contributions financières versées par les producteurs auprès de l’éco-organisme auquel ils adhèrent.
Déchets abandonnés
Les modalités d’interventions par les éco-organismes des déchets abandonnés ont été fixées par le décret n° 2020-1455 du 27 novembre 2020. Les obligations sont communes à toutes les filières « REP ».
Les éco-organismes s’acquittent des opérations requises pour résorber un dépôt illégal de déchets issus de produits relevant de leur agrément, sauf lorsque la quantité de déchets présents dans le dépôt illégal est inférieure à un seuil défini par la réglementation (17). Le dépôt illégal de déchets peut également être résorbé par la personne publique (18). Dans ce cas, les éco-organismes devront couvrir 80 % des coûts supportés par la personne publique.
A noter, enfin, que l’article L.541-10-2 du code de l’environnement prévoit la possibilité que les coûts de prise en charge, par les éco-organismes, des gisements historiques de déchets et des déchets abandonnés, peuvent en partie être partagés avec les producteurs initiaux de déchets ou les distributeurs. Il conviendra de veiller à ce que ce soit effectivement le cas s’agissant de la filière des déchets du bâtiment.
Ecomodulation de la contribution financière
La modulation de la contribution financière versée par les producteurs est un enjeu important pour la filière « REP » des déchets du bâtiment, compte tenu de la quantité des produits susceptibles d’être soumis à la REP et des potentialités de valorisation des déchets qui en sont issus. La loi « Agec » a apporté sur ce point plusieurs précisions importantes qui s’appliqueront à toutes les filières : d’une part, la modulation prend la forme d’une prime ou d’une pénalité, en fonction de critères de performance environnementale, d’autre part, surtout, les primes et pénalités peuvent être supérieures au montant de la contribution financière nécessaire à la gestion des déchets. L’impact de l’écomodulation sur le montant de la contribution versée par les producteurs pourrait donc être significatif.
DOMAINES JURIDIQUES
Notes
Note 01Code de l’environnement, art. L.541-10, I. Retour au texte
Note 02Code de l’environnement, art. L.541-10-1. Retour au texte
Note 03Code de l’environnement, art. L.541-10-1. Retour au texte
Note 04Rapport de Jacques Vernier sur l’avenir des filières de responsabilité élargie du producteurs, mars 2018. Retour au texte
Note 05Code de l’environnement, art. L.541-1-1, issu de l’ordonnance n° 2020-920 du 29 juillet 2020. A noter qu’aux termes de l’article L.541-4-1 du code précité sont exclus de la filière « REP » les « bâtiments reliés aux sols de manière permanente ». Retour au texte
Note 06Code de l’environnement, art. L.541-4-4. Retour au texte
Note 07Décret n° 2020-1817 du 29 décembre 2020 sur le devis concernant les travaux de construction, rénovation et démolition. Retour au texte
Note 08Mesure n° 33. Retour au texte
Note 09L’article L.541-10-8 prévoit une obligation similaire dans plusieurs autres filières « REP ». Retour au texte
Note 10Code de l’environnement, art. L.541-10-23, I. Retour au texte
Note 11Code de l’environnement, art. 541-10-23, II. Retour au texte
Note 12Code de l’environnement, art. L.541-10-23, III. Retour au texte
Note 13Cette obligation est également codifiée à l’article L.541-10-9. Retour au texte
Note 14Code de l’environnement, art. L.541-10-23 et L.541-10-8. Retour au texte
Note 15Code de l’environnement, art. L.541-10, IV. Retour au texte
Note 16Code de l’environnement, art. L.541-10-23, I. Retour au texte
Note 17Code de l’environnement, art. R.541-112. Retour au texte
Note 18Code de l’environnement, art. R.541-113. Retour au texte