Placer 10 % du territoire sous protection forte dès 2022. Cet objectif est loin de la réalité : seulement 1,6 % des aires marines sont bien protégées et la pêche destructrice continue à faire des ravages.
Biodiversité | 26 janvier 2021 | Laurent Radisson | Actu-Environnement.com
Le 11 janvier dernier, le président de la République réaffirmait en grande pompe lors du One Planet Summit l'objectif de protéger 30 % des espaces terrestres et maritimes dès 2022 en France. La stratégie nationale présentée dans la foulée, accompagnée de son premier plan d'actions, précise que 10 % des espaces protégés feront l'objet d'une protection forte.
Si l'objectif de 30 % semble possible, voire même déjà atteint pour les aires marines, celui des 10 % sous protection forte semble totalement utopique compte tenu de la proximité de l'échéance et de la réalité des protections existantes. Plusieurs études, réalisées par le CNRS et des ONG, révèlent en effet un niveau de protection extrêmement faible, notamment du fait de pratiques de pêches très destructrices des milieux naturels.
Moins de 0,5 % des mers européennes protégées
Selon un rapport publié par l'ONG Oceana en décembre dernier, les aires marines protégées (AMP) européennes n'existent pour la plupart que sur le papier. Les chiffres avancés par l'association sont marquants. Moins de 0,5 % des mers européennes seraient réellement protégées grâce à une restriction des activités nuisibles à l'environnement. Autrement dit, 96 % du réseau des zones marines classées Natura 2000 autorisent au moins une activité industrielle ou extractive, ou une infrastructure. « Selon les normes internationales de l'UICN adoptées en 2016, ces aires ne devraient pas correspondre à la définition d'une AMP », relève froidement Oceana.
Et la France, prise indépendamment, n'est pas meilleure élève : 80 % de ses sites marins Natura 2000 sont affectés par au moins une des treize menaces majeurs recensées par l'ONG. Et ce mauvais état de protection ne résulte pas d'un constat isolé effectué par une association. Il est confirmé par une étude du CNRS qui doit être publiée en février dans la revue Marine Policy. À lire les résultats, on pourrait, dans un premier temps, croire la France exemplaire. Les auteurs constatent en effet que l'objectif des 30 % d'aires protégées est d'ores et déjà atteint.
En métropole, les niveaux de protection sont extrêmement faibles. CNRS
Mais lorsqu'on se penche sur le degré de protection, les chiffres deviennent alarmants. Il apparaît que seul 1,6 % de l'espace maritime français bénéficie d'un statut de protection forte. D'autre part, les scientifiques du Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement ont constaté que 80 % de cette protection forte était concentrée dans les Terres australes et antarctiques françaises. « En métropole, les niveaux de protection sont extrêmement faibles », rapportent-ils. Le gap entre la protection théorique et la protection réelle est en effet abyssal. Selon cette étude, 59 % des eaux françaises méditerranéennes sont dans des AMP, mais seulement 0,1 % sont en protection haute ou intégrale. Les chiffres respectifs sont de 40 % et 0,01 % pour la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord.
Préséance de la quantité sur la qualité
Comme le souligne Oceana, « durant cette dernière décennie, la course à la désignation d'AMP a impliqué la préséance de la quantité au détriment de la qualité, aboutissant à des AMP ne bénéficiant d'aucune gestion ».
Les notes de bas de page de la Stratégie nationale sur les aires protégées ne sont pas là pour rassurer sur ce point. Si le document affirme que 10 % du territoire seront couverts par des zones de protection forte d'ici 2022, il précise dans le même temps qu'elles « seront effectivement gérées en 2030 ».
« Il existe, reconnaît la stratégie, une distinction entre la création, qui est l'acte juridique ou d'acquisition foncière, et la gestion effective qui est le fait de disposer de tous les attributs d'une zone effectivement opérationnelle, matérialisée par exemple par : une équipe, des moyens, une gouvernance, un plan de gestion ou équivalent, des dispositifs de contrôle et d'évaluation ». Et plus explicitement : « Plusieurs mois ou années peuvent s'écouler entre ces deux phases ».
Méthodes de pêche destructrices
De plus, quand les zones sont gérées, les mesures prises ne sont pas toujours adaptées. Plutôt que protéger l'écosystème dans sa globalité, relève Oceana, de nombreuses AMP visent seulement « un résultat de minium légal de protection » pour un nombre limité d'espèces ou d'habitats, sans stopper les activités destructrices comme le dragage ou la pêche.
Sur ce dernier point, France Nature Environnement (FNE) dévoile ce 26 janvier une carte révélatrice. Elle comptabilise le nombre d'heures de pêches dans les AMP du golfe de Gascogne. Verdict de l'ONG : « On pêche presque autant dans les aires marines protégées du golfe (…) qu'en dehors. Et avec les mêmes méthodes de pêche destructrices ». Quatre méthodes sont dans le collimateur de FNE : le chalut pélagique et les filets maillants qui capturent de nombreuses espèces non cibles, dont les dauphins, et le chalut de fond et la pêche à la drague qui détruisent les fonds marins.
Pourtant, selon le rapport de référence de l'IPBES de mai 2019, la principale cause de dégradation des océans est bien la surpêche et les méthodes de pêches destructrices. Ce qui explique sans doute les très mauvais indicateurs portant sur la biodiversité marine. « La France dispose du deuxième espace maritime le plus grand au monde… et seulement 6 % des espèces marines d'intérêt européen y sont en bon état de conservation ! », déplore Élodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, mers et littoraux de FNE.
« Pour mettre fin à l'érosion de la biodiversité marine et accroître la résilience des océans face au changement climatique, les pressions engendrées par les activités humaines doivent être supprimées ou réduites au minimum dans au moins 10 % de chaque façade maritime et bassin ultramarin », estime Mme Martinie-Cousty.
Un chiffre qui correspond à celui annoncé par le Gouvernement, mais avec une acception sans doute un peu différente.