Le retard pris par les collectivités pour renouveler leurs réseaux d'eau devient alarmant. Plus le retard s'accumule, plus la facture sera lourde, avertissent 60 millions de consommateurs et France Libertés.
Eau | 20 mars 2014 | Actu-Environnement.com Laurent Radisson
La Fondation Danielle Mitterrand France Libertés et 60 millions de consommateurs ont rendu public ce 20 mars le palmarès des fuites des réseaux d'eau dans les grandes villes françaises. Les professionnels de la pose de canalisations, via leur organisation professionnelle Canalisateurs de France, avaient déjà tiré le signal d'alarme dans le passé.
Un quart de l'eau potable perdu
Le verdict est sans appel : un grand gaspillage est à l'œuvre. Chaque année, 1,3 milliard de mètres cubes d'eau traités par les usines de production d'eau potable n'arrivent pas jusqu'au robinet. Cela représente 25% des volumes produits, pourtant payés par les usagers du service. "Et encore, ce chiffre est sans doute sous-évalué", s'indigne Thomas Laurenceau, rédacteur en chef de 60 millions de consommateurs.
Quoi qu'il en soit, deux préfectures sur trois n'atteignent pas l'objectif national de 15% de fuite maximum fixé par un décret de janvier 2012 pris en application de la loi Grenelle 2. Parmi les 150 grandes villes françaises étudiées, certains taux de fuite sont faramineux : Digne-les-Bains (54%), Saint-Denis-de-la-Réunion (46%), Fort-de-France (41%), Bar-le-Duc (48%), Nîmes (37%), Tulle ou encore Evreux (36%). Aucune corrélation n'a toutefois été relevée par les auteurs entre le taux de perte et le mode d'exploitation du service.
Outre les pertes en eau potable, le remplacement des canalisations présente aussi un enjeu sanitaire. "Le vieillissement des réseaux peut aussi menacer la qualité de l'eau potable, qu'il s'agisse d'anciens branchements en plomb ou de canalisations plus récentes en PVC, susceptibles de relarguer des composés plastiques dans l'eau du robinet", expliquent les auteurs de l'enquête.
Le premier obstacle, le coût
Alors pourquoi les collectivités locales n'agissent-elles pas ? "Les élus sont tout à fait conscients des enjeux", indique Emmanuel Poilâne, directeur de la Fondation Danielle Mitterrand France Libertés. Mais la connaissance de l'état des canalisations reste malgré tout insuffisante. Seuls 10 à 20% des services d'eau auraient réalisé le descriptif détaillé des réseaux imposé par le décret du 27 janvier 2012. Cet inventaire aurait pourtant dû être finalisé avant le 31 décembre 2013.
D'autres raisons peuvent être invoquées comme la gêne occasionnée par les travaux ou la faible visibilité politique de telles opérations. Mais la raison principale reste avant tout financière. Le coût de remplacement d'un kilomètre de canalisation en ville varie entre 400.000 et 800.000 euros. De 1,5 à 2 milliards d'euros devraient être investis tous les ans pour renouveler les réseaux. Or, seulement 700 à 800 millions le sont effectivement aujourd'hui. "A ce rythme, 170 ans seront nécessaires pour renouveler les réseaux", précise Thomas Laurenceau, sachant que la durée de vie moyenne d'une canalisation est de 75 ans.
"Mais les fuites peuvent aussi arranger certains", dénonce Emmanuel Poilâne. Le service étant facturé sur la base du volume d'eau consommé, le fait de réduire les fuites pourrait dégrader l'équilibre économique du service. Une telle analyse ne semble toutefois valable que pour les fuites après compteurs. "Le coût de potabilisation varie de 1 à 10, précise par ailleurs Thomas Laurenceau, si celui-ci n'est pas élevé, une collectivité aura tendance à laisser fuire un peu plus".
Augmenter fortement la facture des usagers ?
"Plus les élus attendent, plus la situation s'aggrave et plus grand est le risque de devoir agir dans l'urgence, endetter la collectivité et augmenter fortement la facture des usagers", alertent les deux organismes, qui estiment pourtant que des solutions existent.
"La solution réside dans une coopération renforcée entre les collectivités", affirme Emmanuel Poilâne, qui cite en exemple le département de la Vendée. 277 des 282 communes du département ont créé un syndicat départemental, Vendée Eau. La mutualisation a permis de lancer un ambitieux plan de renouvellement du réseau. Non seulement le prix de l'eau n'a pas augmenté, mais il a été harmonisé. "Au fil des ans, Vendée Eau a pu rembourser son ancienne dette, remplacer tous les branchements en plomb et réduire largement ses fuites", vante le directeur de la fondation.
Mais celui-ci va plus loin. "Il est temps de mettre à plat l'ensemble du service public de l'eau français", ajoute-t-il, estimant que le nombre de services d'eau potable devrait passer de 14.000 aujourd'hui à pas plus de 500 demain. A la clé ? Des avantages en termes de capacité de financement mais aussi de péréquation entre communes rurales, pénalisées du fait d'un linéaire plus important, et communes urbaines.
Une nécessité de coopération, bien éloignée, estime-t-il, du débat négatif dans lequel ont tendance à s'enfermer actuellement certaines collectivités menacées d'être touchées au portefeuille par les agences de l'eau. Conformément à la loi Grenelle 2, celles qui n'ont pas effectué dans les délais prescrits le descriptif de leur réseau ou qui n'ont pas mis en place le plan d'actions imposé en cas de perte du réseau supérieur à 15%, verront en effet doubler le taux de la redevance prélèvement.