paru dans lundimatin#284, le 19 avril 2021
« Des légendes antiques racontent l’histoire de créatures des bois qui défendent leur terre contre les dévastations de ceux qui veulent les envahir. Vous devriez le savoir depuis longtemps, la Vallée de Suse en est pleine. Ce soir, les terrains autour du chantier de San Didero se sont animés de la résistance de ce peuple. »
Le projet de train à grande vitesse (TAV, d’après l’acronyme italien) Lyon-Turin s’est montré une fois de plus sous son double jour : grand projet inutile (servant avant tout à capter des financements européens), dévastateur et ultraviolent. On sait, pour peu qu’on ait un peu suivi la multi-décennale lutte des no-tav dans la vallée de Suse, qu’un nouvel argument à prétention écologique est venu à la rescousse des affairistes et politiciens qui s’obstinent contre toute raison comptable et économique à soutenir l’entreprise : il ne s’agirait plus principalement de diminuer d’une heure la durée du trajet entre Paris et Milan, mais de permettre à des milliers de camions de franchir les Alpes à cadence soutenue sans polluer. Mais ensuite, il faudrait donc que ces camions reprennent la route : c’est pourquoi la TELT, la société qui porte se projet a voulu bâtir un autoport, immense parking aménagé et après quelques hésitations (voir plus bas) a jeté son dévolu sur San Didero, petite localité à une 15 de km de Suse. Les no-Tav l’ont occupé avec des arguments solides, comme on peut lire ci-dessous (traduit de l’italien par nos soins).
Le traitement est dans la terre
En ce moment pandémique, où, avec les coupes continues de ces dernières années dans le secteur de la Santé, on se retrouve avec un système sanitaire sans instruments, il paraît encore plus absurde de continuer à gaspiller des milliards d’euros pour la construction du TAV. Selon le projet de TELT [1]
[1] En 2015, la société TELT prend la suite de LTF, avec...
, dans l’aire de San Didero, où se trouve le vieil autoport (jamais entré en fonction et aujourd’hui en ruines), sera construit un nouvel autoport qui remplacera l’actuel à Suse. Dans la plaine de Suse, en fait, on ne sait même pas ce qui va surgir, peut-être une station internationale, peut-être une décharge pour les gravats de percement du tunnel. Ce qui les intéresse, c’est d’avoir un moyen pour dépenser l’argent.
La gestion de cette deuxième vague pandémique montre bien ce qui est considéré comme « important » et donc à protéger, et ce qui est sacrifiable, au nom de la crise sanitaire. Santé, maladie, bien-être dépendent de l’environnement et des conditions dans lesquelles chacun vit.
- La dégradation des terres de l’ex-autoport de San Didero n’est pas due à l’abandon, mais à 40 ans de « culture industrielle ». Ceux qui en ont eu la possession jusqu’à présent n’ont pas le droit de continuer à ce qu’on les leur confie, encore moins à en agraver l’état.
- La bétonisation, c’est pour toujours. Qui a pollué, déversé et enterré des déchets ou n’a rien fait pour l’empêcher, ne se refera pas une conduite avec des promesses de réhabilitation. Leurs intérêts sont l’argent et la bétonisation irréversible d’un autre bout de la Vallée.
- Les industriels suivent leurs propres intérêts. Ils ne veulent pas de nouvelles infrastructures pour « donner du travail aux gens », mais le contraire : ils veulent des liaisons rapides pour délocaliser, fermer et licencier. Nous ne devons les remercier de rien.
- Les chantiers de la grande vitesse sont d’abord occupés par la force et puis légitimés par des procédures d’expropriation. La loi est l’habit du dimanche du dominant, elle est l’arrogance légalisée. Aucun droit pour qui abuse de la terre.
- Le Covid-19 est provoqué par un virus, mais la pandémie par le système social dans lequel nous vivons. Les mesures de protection du virus sont nécessaires pour nous protéger nous-mêmes, et surtout les catégories les plus vulnérables, mais les causes de la pandémie doivent être combattues sur le plan social et historique. Nous devons affronter la manière dont l’homme vit sur la terre, l’industrialisme, l’urbanisation, la globalisation.
Le premier marché pour le début des travaux à San Didero vient à peine d’être attribué. Dans un appel d’offres de presque 50 millions d’euros, 5 millions vont être destinés uniquement à la construction d’une clôture en « défense » des terrains visés par les travaux, qui les transformeront en un nouveau fortin de TELT. C’est pourquoi nous serons présents ici, dans un poste fixe, pour occuper les terrains qui doivent être clôturés. S’ils devaient venir sur ces terres pour en prendre possession, ils nous trouveront ici.
Nous ne voulons pas d’un nouvel autoport, ni ici, ni ailleurs !
Nous ne voulons pas du TAV !
Le 13 juillet, la police entamait l’évacuation du presidio (poste permanent d’occupation) de San Didero, ce qui donnait lieu aussitôt à un rassemblement de soutien et à des affrontements avec la police.
Un petit nombre de militants se réfugiait sur le toit du bâtiment occupé et résistaient. A l’heure actuelle, ils y sont toujours, ayant même été rejoints par au moins une militante.
Tandis que la semaine s’écoulait avec diverses manifestations de solidarité, jusqu’à Marseille…
Le 17 fut une journée de lutte avec une série d’événements, qui ont impliqué le mouvement tout entier, des maires aux techniciens, des jeunes aux femmes (Fomne no-tav). Une « Journée », disent nos amis, « qui a démontré…que le mouvement est vivant et fort et que même dans un moment difficile comme celui de la pandémie, est en mesure de se présenter uni et compact pour répondre à la énième et honteuse occupation militaire… qui se matin s’est présentée dans toute son arrogance face aux agriculteurs qui ont tenté de monter les stands du traditionnel amrché du samedi au Baraccone de San Didero, actuellement utilisé comme parking par les camionnettes des forces de l’ordre. Le marché n’a pu se tenir malgré la présence de nombreux citoyens et l’autorisation donnée par les autorités communales. » La journée s’est ensuite poursuivie par la conférence de presse des maires et des techniciens No Tav, qui ont répété leur opposition et exprimé leur indignation sur la manière dont les maires ont été traités par les autorités préfectorales.
Au cours d’un très combatif défilé de 4000 personnes, des manifestants ont réussi à entrer sur l’autoroute Turin-Bardonnechia et à la bloquer, tandis que diverses prises de parole affirmaient la solidarité aux militantes frappées par des mesures coercitives (assignations à résidence, etc.), Dana, Fabiola, Francesca, les deux Mattia et Stella.
La manifestation est revenue au chantier de l’autoport pour saluer avec des feux d’artifice les occupants du toit qui tenaient le coup grâce à l’organisation d’un très efficace ravitaillement en eau et nourriture.
Le soir, il y a eu des affrontements au cours desquels Giovanna Saraceno a reçu une grenade en plein visage : hémorragie cérébrale et multiples fractures.
https://www.valsusaoggi.it/valsusa-no-tav-ferita-al-volto-da-un-lacrimogeno-emorragia-celebrale/
Tandis que la solidarité avec la blessée s’affirmait jusque devant l’hôpital…
De nouveaux affrontements ont eu lieu dimanche soir et ce lundi matin, on apprenait que le ravitaillement en eau et nourriture était maintenant bloqué par la police. Les camarades sur le toit se sont enchaînés.
Ajournement lundi 9 avril à 18h43 : sur le toit où se sont enchaînés les amis No-Tav où ils sont depuis lundi (jour de l’évacuation), sont montés deux représentants de la Croix Rouge, deux flics de la Digos (police politique), des pompiers et deux ouvriers. Tout le monde attend du matériel pour scier les structures d’acier auxquelles les occupants se sont enchaînés. Dehors, un important rassemblement de soutien est en train de grossir.
Pour suivre la situation (presque) en direct c’est par ici.
De très nombreuses photos sont accessibles là.
[1] En 2015, la société TELT prend la suite de LTF, avec les mêmes dirigeants, actionnaires et personnel pour piloter le projet de liaison à grande vitesse Lyon-Turin (TAV) et engranger les financements européens. (NdT)