Comme ses prédécesseurs, le ministre actuel de la Transition écologique Nicolas Hulot soutient l’industrie automobile : au nom de l’écologie, l’ensemble de la collectivité finance les conducteurs qui choisissent de mettre à la casse leur bagnole pour en acheter une neuve. Les subventions les plus généreuses sont accordées aux fortunés qui passent à la voiture électrique. Ainsi la petite bourgeoisie urbaine pourra continuer à se faire transbahuter dans des carrosses mus par de lourdes batteries, aux minerais extraits de l’autre bout du monde, et rechargées par des centrales électriques éloignées de leur lieu d’utilisation, tout en ayant l’impression de faire un geste pour la planète.
Une mode fait fureur actuellement : la « e-voiture de l’avenir ». Devant cette vague de promotion médiatique à l’occasion du salon automobile de Francfort, il me semble nécessaire de revenir sur cette grande illusion.
En premier lieu, on doit se demander pourquoi les gouvernants des pays les plus industrialisés, mais aussi des « émergents » tels la Chine, poussent les constructeurs à s’engager dans cette voie. Les raisons invoquées tiennent évidemment en deux mots : la pollution par les particules et le CO2. L’amélioration de la qualité de l’air figure donc comme un premier argument et a l’avantage d’être aussi un outil de promotion pour les politiques.n effet, l’usage de l’électrique aurait un bénéfice évident dans les villes, où vivent maintenant les trois quarts de la population dans les pays riches ou en voie de développement. Les gouvernants font ainsi preuve à bon compte de leur combat contre le réchauffement climatique. Pourtant, le problème de la concentration citadine est différent du problème écologique au niveau planétaire. Et sur ce plan, cette nouvelle trajectoire technologique présente un caractère bien moins sympathique.
La réponse classique que les médias prennent pour argent comptant consiste à mettre en avant l’efficacité de ce e-moteur sur le plan écologique mais aussi mécanique, en négligeant les effets secondaires. La transmission électrique est en effet, bien plus avantageuse que l’option thermique. Toutefois le calcul et biaisé car il n’est pas tenu compte des pertes en ligne dans l’approvisionnement ni dans le stockage en batterie. En les prenant en considération, le rendement est de 65-70 %; ce qui est tout de même, reconnaissons-le, le double du thermique. Pourtant cette réponse serait insuffisante pour faire le tour de la question si elle ne s’accompagnait pas de la conviction-clé de la modernité : la foi dans un progrès illimité qui devrait résoudre tous les problèmes engendrés par ce choix d’une nouvelle trajectoire économique. Comme ceux-ci, tous considérés comme pouvant être résolus à terme par la techno-science :
– le poids de la batterie, 250 kg, dont la charge n’offre guère d’autonomie, ce qui explique pourquoi ces véhicules sont surtout utilisés dans les déplacements urbains;
– la lenteur de la charge : dix heures en moyenne. A condition de ne pas la laisser se décharger en-dessous d’une limite qui la mettrait hors d’usage;
– le véhicule électrique ne se révèle supérieur au thermique sur le plan de l’émission de CO2 qu’après 100 000 km, en raison du coût énergétique de la fabrication de la batterie et de l’assemblage des divers éléments de haute technologie. Or, c’est le kilométrage moyen des déplacements urbains en dix ans, et dix ans, c’est la durée de vie théorique maximum de la batterie. Pour autant, ce ne sont là que des données mineures, souvent réfutées par les promoteurs de l’électrique, qui concernent essentiellement le consommateur alors que les inconvénients majeurs de la batterie se trouvent ailleurs.
Ces batteries, considérées comme recyclables, ne le sont que pour un tiers d’entre elles, et exigent deux composants principaux : un métal alcalin relativement abondant pour l’instant, le lithium, situé en des lieux jusque-là protégés de l’exploitation sauvage (en particulier le salar d’Uyuni en Bolivie, le salar del Hombre Muerto en argentine et le plateau occidental du Garzê au Tibet – ce qui explique aussi l’intérêt de la Chine pour ce pays) et le cobalt extrait dans des conditions épouvantables (20 % manuellement, et souvent par des enfants, au fond de trous de plusieurs centaines de mètres) principalement au Congo-Katanga. D’autres composants métalliques conventionnels, tels zinc, aluminium, cuivre, sont présents mais aussi des terres rares, ces nouveaux éléments (principalement lanthanides) dont l’extraction féroce participe davantage à la destruction de l’environnement.
Ainsi dès le début de l’histoire, il existe un vice de forme écologique car, en plus, le lithium est obtenu par évaporation de l’eau dans une solution : les sels y sont concentrés dans une saumure pour en dégager le carbonate de lithium. Très acide, elle ne repart pas dans la nappe phréatique, pollue les sols et provoque une pénurie d’eau propre, vitale pour les communautés ancestrales de ces régions salées (comme à Garzê qui se trouve à 3 800 mètres d’altitude).
Rouler au charbon
Un autre danger socio-économique très différent apparaît aussi, celui d’un « effet-rebond ». Par exemple, l’amélioration du rendement du moteur thermique a entraîné la création de nouveaux véhicules lourds et puissants, tels les SUV et 4×4 urbains, monstres qui n’ont aucune justification autre que d’être des symboles de statut social (ils pèsent de 1,5 à 2,5 tonnes, pour déplacer un humain de 70 kg qui en tire un sentiment de puissance). Or les voitures électriques rentrent dans le jeu. Ainsi, le fabricant de pointe Tesla a mis en vente un produit de luxe, la Tesla Model S (ci-contre), qui pèse 2,3 tonnes et peut parcourir 500 km avec une batterie de 700 kg.
Enfin, revenons sur l’essentiel: le vecteur énergétique. Comment alimenter avec des énergies non polluantes un marché qui serait en 2030 dominé, dans l’ordre, par la Chine, l’Inde et les États-Unis (aujourd’hui premier), et qui compterait un milliards de véhicules produits d’ici là ? Il y a bien sûr en renouvelable le photovoltaïque et l’éolien ou encore la force hydraulique, mais ces sources, selon les prévisions, donneront des flux insuffisants pour remplacer les centrales thermiques (ou nucléaires) et subvenir aux besoins électriques de base, croissants au niveau mondial (notamment avec l’utilisation toujours plus massive des technologies numériques). Comment faire face à l’arrivée massive d’une nouvelle opportunité de consommation ?
Nous faire avaler la fable que les voitures seront inoffensives écologiquement grâce au e-moteur, c’est nous faire croire au Père Noël. Et pourtant les certitudes des adeptes de la religion industrielle sont reprises en cour par les médias, et personne ne se rend compte que la « reine » électricité, sans ses habits fossiles ou atomiques, est nue. La Chine, hier encore célèbre pour ses embouteillages de vélos, et l’Inde auront bientôt les parcs automobiles les plus importants; Ces pays ont malheureusement repris à leur compte la vision du monde occidental : la croyance en un lendemain technologique qui chante. La voiture électrique constitue un cas d’école sur les fantasmes du développement écolo-croissant compatible.
Source : https://resistanceinventerre.wordpress.com/2017/10/19/la-voiture-electrique-une-imposture-durable/