Au moment où se généralise dans la population occidentale la prise de conscience des crimes de l’extractivisme, les élites politiques persévèrent dans leur négationnisme et pour cela surenchérissent dans la « politique de l’oxymore« . Dernière invention en date la « mine responsable« !
L’American Way de la mine
Si l’Afrique est une bonne entrée en matière première, il n’est pas certain qu’elle puisse constituer un modèle pour une grande nation industrielle comme la France, libre et capable de décider en pleine souveraineté de sa politique minière et énergétique. Il en va de même de l’Amérique latine avec ses « veines toujours ouvertes » comme le montre, à la suite d’Eduardo Galeano, Anna Brednik dans son livre « Extactivisme » (7). Signalons que c’est sur ce continent que le rapport « On Dangerous Ground » dénombre les trois quarts des meurtres pour l’année 2015. On peut aussi écarter la Chine, grande puissance économique certes, mais tristement célèbre pour ses prouesses minières éminemment irresponsables, notamment en matière de « terres rares ».
Alors, à tout seigneur de la mine tout honneur… Puisque notre Young Leader rêve d’Amérique et que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France s’est accrochée au char triomphal de la croissance économique sur le modèle de l’American way, allons voir ce qui ce passe à la mine outre-Atlantique.
Nous avons déjà abondamment parlé des gaz de schiste dans un livre (8). Puis un article récent « Gaz de schiste, la victoire à la Pyrrhus de Big Oil » a dressé un tableau du paroxysme de délinquance environnementale de cette activité pétrolière censée, pour ce siècle, sauver l’Amérique de la panne sèche.
Malgré le tapage médiatique sur l’immense potentiel énergétique de ce nouvel Eldorado, le « boum du gaz » n’a pas détrôné le charbon de sa première place dans la production d’énergie des Etats-Unis. Si durant les années du Plan Marshall, les compagnies pétrolières étasuniennes faisaient leur beurre en gavant la vache à lait française avec du pétrole saoudien, les Etats-Unis eux restèrent paisiblement accros au charbon. Juste avant la ruée sur la roche mère, paradoxalement dans ce grand pays pétrolier, le charbon représentait 48 % de la production d’énergie, alors que pour le monde en ordre de grandeur et chiffres ronds : le pétrole arrive en tête avec 30 % de la production, suivi du charbon 25 % et en troisième position avec 20 % pour le gaz.
Il se trouve justement qu’au moment où M. Macron lançait sa démarche « mine responsable« , en Février 2015, Le Monde Diplomatique offrait à ses lecteurs et lectrices un tableau grandiose des « Appalaches décapitées » sous les soins diligents des compagnies charbonnières. Considéré du point de vue de l’efficacité extractive et de la rentabilité économique, le secteur a été sans conteste métamorphosé par d’immenses progrès techniques. On quitte en effet l’univers confiné et obscur de la mine pour un travail au grand air. Mais si l’on s’éloigne de Verdun, on se rapproche d’Hiroshima. Le « moutaintop removal » représente le nec plus ultra de la technologie minière. Plus besoin d’aller au charbon dans l’atmosphère humide et malsaine de la mine, c’est le charbon qui jaillit et se précipite directement à l’usine. Sous ce régime, les montagnes se transforment en cratères et des localités entières se métamorphosent en paysage lunaire. La puissance explosive mise en œuvre est proprement cataclysmique. Verdun puissance dix ou, selon le mot du président d’une association environnementaliste qui milite pour la fin de cette pratique, elle équivaut à « une bombe d’Hiroshima par semaine« . Précisons que son évaluation technique en kilotonnes de TNT ne vaut que pour la Virginie Occidentale et le Kentucky (9).
Bien évidemment la pulvérisation de montagne soulève d’immenses nuages qui retombent sur les villes et villages environnants. S’ils ne sont pas radioactifs ou immédiatement toxiques on sait qu’ils véhiculent des particules fines dont la pollution atmosphérique des villes renforcée par les pratiques illicites de l’industrie automobile nous a définitivement confirmé qu’elles sont insidieusement cancérigènes et mortifères, comme les retombées des essais nucléaires.
Comme nous l’a appris la ruée sur les gaz de schiste, on sait aussi qu’il y a du grisou ou « gaz de couche » dans le charbon et l’on ose à peine imaginer les quantités de gaz à effet de serre libérées dans l’atmosphère par le summum de la technologie minière au grand air.
Aux Etats-Unis, deux choses sont sûres et réellement spectaculaires, récemment confirmées par « l’Halliburton loophole », l’échappatoire législative dispensant l’industrie des gaz de schiste à respecter la loi sur l’eau potable, « Safe Driking Water Act ». D’abord la mine est responsable de ravages environnementaux durables et d’une crise sanitaire majeure passée sous silence avec la complicité passive et parfois active des autorités fédérales. Ensuite tout se passe dans la stricte légalité car quel que soit le pensionnaire à la Maison Blanche ou la majorité au Congrès, ce sont les compagnies minières, charbonnières et pétrolières qui possèdent le territoire, écrivent les lois et qui assurent l’argent de poche des candidats en campagne électorale. Et pour que tout se passe bien dans le meilleur des mondes, de puissantes agences de lobbying et de « relation publique » se chargent de tout : masquer les crimes environnementaux à la population, maquiller les transnationales en organismes de bienfaisance, assurer leur blanchiment écologique, corrompre les fonctionnaires et éliminer ceux un peu trop consciencieux, écrire les lois favorables (dites libérale) et les faire voter… Une gigantesque « industrie du mensonge » est à l’œuvre pour tromper le peuple dans cette Grande Démocratie (10). En Amérique comme en Afrique, l’oxymore ne fait aucun doute.
Transfert d’intelligence « voilà pourquoi on meurt »
Comme M. Montebourg, M. Macron n’est en définitive qu’un rouage du vaste dispositif médiatico-politique national. Et, dans cet appareillage d’interface de la société du spectacle, il n’y a pas de mystère, les pantomimes des deux personnages turbinent au service des grands projets technologiques inutiles imposés par Big Data et l’Oncle Sam. Dans une folie collective, partout en France les élites et les édiles rêvent de Silicon Valley et la flamme soudaine de Macron pour la « mine responsable » s’intègre dans le new deal historique de fuite précipitée dans le « tout numérique« . Transférer l’intelligence vers les machines et faire des écrans l’horizon indépassable de chaque individu pour toutes les activités et en toutes les circonstances. L’Age du « binary digit » généralisé aux objets ouvre en effet des perspectives de fuite virtuelles spectaculaires et en de telle circonstances vertigineuses. M. Macron sait garder la tête froide et les pieds sur terre. Car loin de dématérialiser l’économie, l’envers de l’invasion numérique c’est la mine, l’ère de l’extractivisme à outrance… et des crimes.
Bientôt, le projet cher aux grands groupes industriels et Géants du Net de « l’école numérique« , porté par leurs dévoués personnels politiques, va sortir des cartons. De la même façon on sait à quel point nos élites se décarcassent pour que vive la voiture électrique, intelligente et bientôt autonome… On connaît la volonté aussi farouche qu’inutile mais suspecte des décideurs industriels pour le transfert d’intelligence aux compteurs d’électricité et de gaz… Mais là ne s’arrête pas la fuite dans la démesure numérique, d’autres projets, encore plus grandioses, serpentent dans les méninges des grosses têtes pensantes, comme par exemple la « route de 5e génération » intelligente, interactive, dépolluante, écologique, autoréparable, antibruit, anti-bouchon et à énergie positive (11). L’invasion de l’espace aérien par les drones de tout type : militaire, commercial, de surveillance et de répression se profile à l’horizon dans l’Hexagone comme c’est déjà le cas dans les zones sous contrôle étasunien…
Bref, le transfert massif d’intelligence vers les machines, les objets et l’espace environnant, tel est le mythe fondateur de la nouvelle économie… et « voilà pourquoi on meurt » au Congo.
Loin de toutes ces visions futuristes pour le 3e millénaire, en janvier 2016, deux ONG, Amnesty International et African Resources Watch (Afrewatch) nous tiraient sans pitié de notre « american dream » pour nous remettre sur la piste de la mine en Afrique. Pour ce safari de l’extrême dans le berceau de l’humanité, le titre du rapport ne faisait pas dans l’euphémisme, d’emblée le lecteur est mis au parfum sur les activités minières dans la République démocratique du Congo (RDC) : « Voilà pourquoi on meurt« . « Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du Cobalt » (12). L’innocent coupable, mobile du crime, apparaît à la fin du long sous-titre : le Cobalt, un élément chimique de la série des métaux de transition dont le numéro atomique est 27. Dans la classification périodique des éléments il se trouve donc en première ligne entre le Fer et le Nickel. Sans être une « terre rare« , on découvre par le crime que ce métal est hautement stratégique pour les industries de mise en bit du monde. On imagine à peine les besoins colossaux que les seuls grands projets « d’école numérique » et de voiture électrique peuvent générer. Par ce rapport les ONG révélaient que des enfants, au péril de leur vie, descendent aujourd’hui à la mine, comme au temps glorieux du capitalisme « paléo-technique » de l’Angleterre victorienne. Aussi sordide qu’elle soit, cette réalité du travail des enfants ne doit cependant pas masquer l’hécatombe. Depuis le début des années 2000, quelques 3,5 millions de personnes en RDC trouvèrent la mort dans les violences perpétrées par des groupes armés censés protéger l’extraction des minerais aux profits des multinationales…
Sans surprise dans l’euphorie numérique des élites de la République, le rapport à sa sortie n’a pas eu l’écho espéré par les ONG. Alors en automne 2016, Amnesty International tentait d’en remettre une couche en s’invitant au Mondial de l’automobile. Mais là encore, il semble que dans son rôle du trouble-fête, elle n’ait pas obtenu plus de succès. Notons au passage que pour cette vieille ONG du temps de la Guerre Froide, il s’agit d’une première et d’un véritable virage stratégique.
D’habitude elle se contentait de dénoncer les crimes des dictatures sans forcément faire le lien avec les commanditaires transnationaux et les bénéficiaires occidentaux. Là on a la totale, avec un véritable crime de lèse-majesté contre le symbole de l’american way : « Voitures électriques : polluées par le travail des enfants? » (13) Même avec un point d’interrogation, l’attaque est frontale.
Les constructeurs automobiles étaient en train de tourner la page du « Dieselgate » et se montraient plein de dynamisme en prenant le virage du « tout électrique ». Au cours de cette communication événementielle internationale, les communicants débordèrent de bonnes intentions, le moteur « sale » et cancérigène au Diesel fut mis en sourdine le temps de la fête pour laisser la vedette au moteur « propre » des voitures électriques.
Inutile de noter l’imposture pour au final subir le sort de Cassandre… D’autres auteurs très compétents dans leur domaine ont déjà sabré les illusions renouvelables de la « croissance verte » et de « l’économie circulaire » ; parmi eux, Philippe Bihouix, l’auteur de « l’Age des Low tech » en 2014. Cet ingénieur, spécialiste de la finitude des ressources minières et de son étroite interaction avec la question énergétique, s’est récemment associé à avec Karine Mauvilly, historienne, pour dénoncer « Le désastre de l’école numérique« . (14)
Bien sûr, l’invasion numérique ne représente que l’aspect sommital et le versant occidental de la criminalité de la mine. Très en amont des superstructures informatiques de la Société du spectacle, il faut aussi noter pour toutes les activités minières la vampirisation de l’eau douce et la destruction-pollution durable des aquifères, comme on le sait pour le gaz de schiste et comme le rappelle de manière générale un rapport de 2015 de l’Observatoire des multinationales, « Droit à l’eau et industries extractives, la responsabilité des multinationales« . (15)
« Libérer l’Avenir » Ivan Illich
« Les symptômes d’une crise planétaire qui va s’accélérant sont manifestes. On a de tout côté cherché le pourquoi. J’avance pour ma part l’explication suivante : la crise s’enracine dans l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la substitution de la machine à l’homme« .
Dans les années 1970, l’informatique restait réservée à l’arme atomique. L’invasion numérique n’avait pas encore atteint directement la société civile. Cependant Ivan Illich, l’auteur de la « Convivialité« , situait exactement l’origine du désastre planétaire. La situation a bien sûr empiré depuis… et n’a fait que confirmer son diagnostic. De l’aspect mécanique du remplacement de l’homme par la machine on est passé à l’aspect neurophysiologique avec le projet de substitution-soumission de l’intelligence humaine par l’intelligence artificielle.
Avec les multiples briques de la classification périodique des éléments, Big Data, GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) les Géants du Net et les autres construisent l’empire numérique de ce siècle… ou la Tour de Babel du 3e millénaire. Même si cette fois-ci le langage numérique est unique, on sait déjà que ce sont les briques, les éléments chimiques stratégiques, qui risquent de manquer à l’édifice.
Pour conclure à la suite d’Ivan Illich, répétons notre résultat qui à ce stade d’avancement des dégâts n’est plus qu’un constat. Nous étions partis d’une question de rhétorique sur la nature de la mine et nous avons découvert un crime et son mobile. Un serial killer classe affaire hante la planète. Le projet orwellien du « New Digital Age » avec le transfert généralisé d’intelligence artificielle à tous les objets en substitution et confrontation à l’intelligence des êtres vivants, impose un extractivisme à outrance généralisé à la planète. L’impérialisme numérique, « voilà pourquoi on meurt » aujourd’hui en Afrique, en Asie et en Amérique latine… et probablement demain en Europe…
Novembre 2016
Jean-Marc Sérékian, co-auteur avec Jacques Ambroise de « Gaz de schiste le choix du pire – La grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier » Ed. Le Sang de la Terre 2015
(…)
(7) Anna Brednik « Extractivisme » Ed. Le Passager clandestin 2016
(8) Jacques Ambroise, Jean-Marc Sérékian « Gaz de schiste le choix du pire » Ed. Le Sang de la Terre 2015.
(9) Le Monde diplomatique, février 2015, Maxime Robin : « Les Appalaches décapitées par les marchands de charbon »
(10) Sheldon Rampton – John Stauber « L’Industrie du mensonge Relations publiques, lobbying & démocratie » Titre original : Toxic Sludge Is Good for You ! Lies, Damn Lies and the Public Relations Industry (Common Courage Press, 2004, 2005, 2007) Traduit de l’anglais par Yves Coleman, Ed. Agone 2012
(11) Revue Pour la Science Avril 2015 « Les routes de 5e génération »
Droit à l’eau et industries extractives, la responsabilité des multinationales
(12) Amnesty International et African Resources Watch (Afrewatch) « Voilà pourquoi on meurt » « Les atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo alimente le commerce mondial du Cobalt. »
https://www.amnesty.org/fr/documents/afr62/3183/2016/fr/
(13) Amnesty International, 30 septembre 2016, « Voitures électriques : polluées par le travail des enfants ? »
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/09/electric-cars-running-on-child-labour/
(14) Philippe Bihouix, Karine Mauvilly, « Le Désastre de l’école numérique » Ed. Le Seuil 2016
(15) Observatoire des multinationales, « Droit à l’eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales » rapport rédigé par Olivier Petitjean
http://multinationales.org/IMG/pdf/rap_obs.pdf
Source : http://carfree.fr/index.php/2017/01/03/mine-responsable-un-nouvel-oxymore-22/