Sara Acosta Langa (Reporterre)
jeudi 20 mars 2014
C’est la star des grands projets inutiles : le premier aérodrome privé d’Espagne a coûté 1 100 millions d’euros. Vide et fermé en 2012, il a été mis en vente pour un dizième de son coût. Et attend un acheteur...
Madrid, correspondance
Ce n’est pas un hasard si le cinéaste Santiago Segura a choisi l’aéroport de Ciudad Real pour filmer certaines scènes de son nouveau film, le cinquième de la saga Torrente, un célèbre personnage caricature des excès de l’Espagne. Toujours provocateur, Segura veut dans son film « se moquer des choses les plus terribles de la société ». C’est toujours mieux « que de se mettre à pleurer » face à la réalité du pays.
Cet immense aérodrome fantôme en plein paysage désertique de Castille-La Manche, à 160 km au sud de Madrid, est un exemple du gaspillage qu’a vécu l’Espagne. A l’époque où il a été conçu, à la fin des années 90, c’était la fête économique. Le crédit coulait à flot et l’accès au financement était une simple formalité.
Il fut initialement présenté comme un projet pour le transport de fret, par lequel transiteraient jusqu’à 90 000 tonnes de marchandises, profitant de la bonne situation géographique de Ciudad Real, au centre du pays. Mais très rapidement les promoteurs se sont tournés vers la construction d’un aéroport commercial de passagers pour désengorger Barajas, à 50 minutes en TGV, destiné aux compagnies low cost. Personne ne s’y est opposé et les syndicats on donné leur feu vert. « Nous espérions voir la création d’emplois qu’on nous avaient promis, mais la crise a fini par écraser le projet car il a été mal conçu depuis le début », a expliqué le syndicat Comisiones Obreras.
« Madrid Sud », le premier aéroport privé en Espagne, fut inauguré en décembre 2008. Avec une piste d’atterrissage de quatre kilomètres de long, une des plus longues d’Europe, les installations flambantes neuves de cet « aéroport international » pouvaient accueillir trois millions de passagers. La société propriétaire CR Aeropuertos S.L. avait prévu d’atteindre les 2,5 millions de voyageurs dès la fin 2011. Las ! Le terminal de 24.000 mètres carrés n’a accueilli que 53 000 personnes dans sa première année d’opération, laissant béantes la plupart des dix portes d’embarquement.
L’infrastructure était complétée par deux salles VIP (very important persons), une tour de contrôle de cinquante mètres de hauteur, un terminal de marchandises, un service de pompiers, un centre de visiteurs, une centrale électrique et une zone industrielle de plus de deux millions de mètres carrés.
En 2009, CR Aeropuertos S. L. avait une forte dette et la gestion était douteuse. Le projet avait été financé à 40 % par la Caisse d’Epargne de Castille-La Manche, la première à avoir été mise sous tutelle de la Banque d’Espagne la même année, dans les suites de la crise financière générale qui s’est produite fin 2008. En tant que partenaire de référence, l’entité bancaire avait accordé des crédits à bon nombre d’entreprises pour que développer les installations aéroportuaires.
Un an après, l’entreprise propriétaire, incapable de faire face à ses dettes, a été mise en liquidation judiciaire par le Tribunal de Commerce de Ciudad Real. Le dernier avion a décollé de la méga piste le 31 octobre 2011 à destination de Barcelone, avec quarante passagers à bord. Le vol était opéré par la compagnie low cost Vueling, la dernière qu’y opérait et qui a décidé de ne pas renouveler son contrat avec le gouvernement régional - contrat par lequel elle avait reçu une subvention de 2,36 millions d’euros...
Les Chinois n’en veulent pas
Après quelques vols privés payés par de passionnés de chasse, cet aéroport fantôme a été définitivement fermé en avril 2012. Les administrateurs judiciaires ont mis en vente l’aérodrome en décembre 2013 pour cent millions d’euros, soit moins de 10 % de son coût. L’appel d’offres s’est conclu sans acheteur et les administrateurs judiciaires ont ouvert une deuxième phase en février. Seul candidat : la compagnie touristique chinoise NHA Group, qui n’a pas conclu l’opération. Si l’aéroport ne parvient pas à un accord d’achat, la vente sera alors libre, sans que soit imposé un prix minimum.
Les 91 postes de travail créés ont disparu. Le seul espoir qui reste aux personnes licenciées est le compromis des administrateurs de les replacer quand l’aéroport trouvera un acheteur.
Très peu de choses se sont passés dans cette infrastructure inutile depuis sa mise en vente, à part la visite, payée, de maisons de production cinématographiques et d’agences publicitaires pour le tournage de bandes d’annonces, émissions télé et films. Le directeur Pedro Almodóvar, originaire de Castille-la Manche, y a tourné quelques scènes de son film Les Amants passagers. La dernière équipe cinématographique qui a visité cet espace était celle qui accompagnait fin février le directeur Santiago Segura pour tourner Torrente 5, la cinquième partie de sa saga sur les excès espagnols.
Source : Sara Acosta Langa pour Reporterre.
Photos :
. Wikipedia
. Vue aérienne (Paper Blog)
. La passerelle inutile (Radio VL)
. Scène des Amants passagers (Vat TV).
Lire aussi : SERIE - La folie des grands projets inutiles en Europe.
Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article5582