13 novembre 2014
La triste histoire du Center Parcs des Chambarans, une autre ZAD urgente mais un peu oubliée
Pour une majorité de nos concitoyens, les vacances « nature » c’est formidable, à condition qu’on n’ait pas à marcher dans la boue, à écarter les ronces, et à affronter d’horribles moustiques et de terrifiantes couleuvres. L’aventure moderne, c’est dormir dans un bungalow confortablement aménagé (les cabanes dans les arbres ou les yourtes mongoles c’est tendance aussi, mais c’est un peu cher). Après une bonne nuit de sommeil réparateur, un brunch familial dans la cafeteria climatisée… ensuite, on confie les enfants à une structure spécialisée et on peut s’adonner à quelques exercices sportifs revigorants : VTT sur piste aménagée en forêt, randonnée à dos d’âne, baignade prolongée dans une piscine chauffée ornée de quelques cactus mexicains authentiques, balade dans la canopée avec un équipement sécurité complexe et efficace… En soirée, on retrouve les enfants et l’on partage une délicieuse spécialité locale décongelée, en compagnie des nouveaux et néanmoins formidables amis que l’on s’est fait pendant la séance de sauna. Le cœur du dispositif est protégé par une immense bulle de verre ; on échappe du coup à ces maudites intempéries qui vous gâchent les vacances pour un oui ou pour un non. Tourisme de masse dans une ambiance « Robinson Crusoé seul sur son île déserte » garanti ou remboursé.
C’est plus sportif et plus familial que le Club Méditerranée et ça permet aux cadres stressés en charge de famille de se détendre un peu. C’est pas trop compliqué à organiser : on réserve son week-end, sa semaine ou sa quinzaine. On fait un peu attention au planning et on bénéficie d’une ristourne exceptionnelle, d’un tarif privilégié, d’une offre sans précédent… Bref ça permet de se donner l’illusion de respirer un peu dans un monde où même le temps que l’on passe aux toilettes est minuté. Je peux comprendre mais je ne peux approuver tant ce concept de loisir technologisé m’est indifférent. Bien sûr, on n’est prisonnier de rien et l’on peut échapper à la bulle de verre autant que l’on veut… D’un autre côté, à quoi bon payer un prix quand même élevé si l’on ne cherche pas à bénéficier des « facilités » offertes par la structure ? Et puis c’est quand même formidable car, par la fenêtre du bungalow, on bénéficie d’une vue exceptionnelle sur les quelques spécimens d’arbres préservés de la forêt originelle et l’on se rend à peine compte du fait qu’il y a un bon millier de chalets identiques dans les environs. C’est en fait une version « améliorée » de l’histoire de Robinson Crusoé : l’île n’est pas vraiment déserte ; c’est simplement un lotissement avec un plan d’occupation des sols un peu moins dense et un peu mieux étudié.
Alors me direz-vous, « si t’es pas d’accord, personne ne t’oblige à y aller » … Certes. Le problème c’est que l’on ne met pas en place une structure comme celle-ci n’importe où… Si l’on veut préserver une illusion de nature, mieux vaut choisir un lieu tant soit peu sauvage ! Et c’est là que le bât blesse… L’impact écologique d’un complexe hôtelier (parce qu’en fait c’est bien de cela qu’il s’agit) est considérable. La construction d’un des derniers projets en date vient de débuter malgré toutes les tentatives légales de le contrer qu’ont mises en œuvre les opposants. Il s’agit du Center Parc du plateau des Chambarans en Isère, et c’est, dans un premier temps, deux cent hectares de forêt massacrée par les bulldozers et les tronçonneuses. Mais non, mais non, assurent les promoteurs du centre de loisirs, la forêt on la protège et on travaille dans le plus grand respect possible de l’écosystème local… Mille deux cent chalets, une infrastructure de circulation, des bâtiments d’accueil et de restauration collective, des parkings… sans impact environnemental ? La grande majorité des élus locaux, ravis d’entendre ce discours, se fait un plaisir de le répercuter auprès de l’opinion publique afin de l’amadouer. Si ce n’était pas aussi triste pour l’environnement, ce serait presque risible ! Pour le barrage de Sivens, au moins, on n’a pas raconté aux autochtones que la forêt resterait intacte et que les chênes pousseraient les pieds dans l’eau… Mais les promoteurs de Pierre et Vacances, le groupe propriétaire de la marque « Center Parc », ne manquent pas d’air. C’est tout juste s’ils n’affirment pas que la forêt sera beaucoup plus belle après leur passage… Quelques associations environnementalistes du coin ont même été piégées par de savantes démonstrations médiatiques. Soyons raisonnables ! Un lieu sauvage, inhospitalier, dont personne ne profite, enfin civilisé et ouvert à la consommation. Tout se monnaye même les choses qui n’ont pas de prix. Il n’y a plus qu’à inventer une race d’écureuils qui accepte de se faire photographier en échange d’une noisette en chocolat achetée à la boutique du club. « C’était formidable pour les enfants ! » : ils ont même vu un film sur les sangliers et observé un hôtel à insectes sauvages…
Séquence « bon vieux temps »… Quand j’étais gamin, c’était en « maison familiale » que les parents fatigués allaient se reposer. La formule était simple : on logeait dans une grande maison dans la montagne ou en bord de mer ; les repas étaient préparés par une cuisinière ; les enfants étaient pris en charge par des moniteurs et des monitrices, ce qui laissait à leurs parents la possibilité de gérer leurs activités à leur guise. Il n’y avait ni bowling, ni sauna, ni salle de musculation, mais des balançoires, des toboggans et les sentiers du cru pour de belles balades à pied. Je me souviens surtout des immenses tartines de confiture que l’on déballait des paniers pour le goûter champêtre l’après-midi… Si ma mémoire est bonne, cette expérience familiale a bien été renouvelée deux ou trois fois, ce qui veut dire que le séjour n’était pas ruineux, mes parents n’ayant jamais été millionnaires. Certes, il n’y avait pas de dôme de verre, pas de palmiers (surtout en Savoie !), et il arrivait qu’il pleuve. A l’époque, ces projets se mettaient en place dans la foulée d’autres projets de vacances collectives : auberges de jeunesse, campings étudiants et autres structures d’accueil populaire. Depuis de l’eau a coulé sous les ponts et les loisirs de masse sont devenus source de profits gigantesques, une parmi d’autre. Evoquer ce genre de souvenirs a au moins le mérite de montrer qu’il est possible d’organiser un tourisme familial sans pour autant bousiller des hectares de nature. On peut appréhender la beauté d’un lieu sans avoir besoin de le mettre sous une bulle de verre artificielle ou de faire pétarader un quad !
Les opposants à ce projet de Center Parcs se sont agités tant qu’ils pouvaient. Ils ont réussi à faire trainer en longueur le démarrage des travaux et ont aussi obligé les autorités à griller quelques feux rouges législatifs. Comme partout ailleurs et à Sivens en particulier, il était urgent de mettre les dernières personnes peu enthousiasmées par ce grand projet de civilisation devant le fait accompli. Une fois le chêne abattu, il est plus facile de bétonner la fourmilière. Cela donne l’occasion à quelques politicards hypocrites de se repentir de la faute commise par leurs prédécesseurs. « Si c’était à refaire, c’est clair que l’on ne donnerait plus les autorisations pour un projet aussi débile, mais vous comprenez, maintenant que c’est sur les rails, c’est difficile de revenir en arrière ». Et pour ne pas avoir à se poser la question du retour en arrière, mieux vaut aller en avant, le plus vite possible, en faisant fi de tous les obstacles. Il semble que les militants opposés à la destruction d’une large partie de la belle forêt des Chambarans n’aient plus guère de moyens légaux à leur disposition. Les recours intentés n’ont pas abouti, ou, lorsqu’ils ont donné un résultat, le préfet de l’Isère est passé outre les conclusions défavorables. Je n’ai pas la place ici de vous détailler toute l’histoire de la procédure, mais je vous donnerai, en fin d’article, les liens qui vous permettront d’approfondir. La lutte va donc sans doute franchir un pas elle aussi : quand l’adversaire ne respecte pas la légalité, il ne reste plus que la désobéissance civile et la lutte directe pour interpeller opinion publique et gouvernants. Les promoteurs de Pierre et Vacances avaient à la bouche deux mots miracle qui ont bien facilité leur propagande : « emploi » et « loisirs ». On ne peut pas « décemment » s’opposer à une structure qui doit permettre aux citadins de se détendre et qui créera des emplois dans une zone relativement sinistrée par les délocalisations industrielles. Gauche et Droite ont donc marché main dans la main au Conseil Général dans ce projet. Quant aux écologistes de salon, ils ont eu bien du mal à afficher clairement leurs positions.
La lutte contre ce Center Parc s’est aussi déroulée dans l’ombre d’autres luttes d’envergure contre des projets tout aussi destructeurs : l’aéroport de Notre Dame des Landes, le barrage de Sivens, la ligne TGV Lyon-Turin… et j’en oublie ! Il faudrait aussi parler du futur Grand Stade à Lyon qui bouffe encore quelques centaines d’hectares de terres agricoles pour permettre aux aficionados du ballon rond de vivre quelques rêves chimériques. Il y a parfois un fort sentiment de découragement quand les imbéciles attaquent sur tous les fronts et bénéficient d’une passivité globale des populations peu propice à une quelconque victoire. Mais il est des causes qui méritent de se mobiliser, sinon la nature autour de nous se limitera bientôt à quelques espaces « Natura 2000″ encerclés par les lotissements, les bretelles d’autoroute, les parkings des centres de vacances et les décharges contrôlées pour déchets industriels. Pour que ces luttes aient une chance d’aboutir il faut aussi établir un lien indiscutable entre toutes, et ne pas limiter son ambition à la défense du pré carré local. Tant pis s’ils bousillent une zone humide, des terres agricoles, un magnifique paysage bocager… tant qu’ils ne touchent pas au petit bois où je vais ramasser champignons et châtaignes. Le morcellement des combats ne peut aboutir qu’à une défaite généralisée. Tous ces « grands projets inutiles et dévastateurs » que l’on impose un peu partout dans l’hexagone et ailleurs relèvent de la même politique et obéissent aux mêmes règles économiques… Leur seul moteur est le besoin de profits croissant des multinationales. Ils bénéficient à quelques promoteurs et nuisent à la population dans son ensemble. Les instigateurs du projet empochent au passage quelques copieuses subventions publiques (trente millions d’euro au moins en ce qui concerne le projet des Chambarans). Quand la majorité de l’opinion publique aura pris conscience de cela, il sera trop tard : certains paysages seront irrémédiablement perdus ; on ne parlera plus de « mitage » du paysage, car la continuité entre les zones habitées, les zones commerciales, les zones industrielles et les parcs de loisirs sera établie. Les environnementalistes réussiront certainement à sauver quelques petits coins boisés, et obtiendront, sans nul doute, la permission d’installer des passerelles pour les hérissons ou les blaireaux afin qu’ils puissent naviguer librement… pourvu que ce soit Bouygues qui les construise. Bref, la notion d’espace sauvage ne sera bientôt plus qu’un souvenir ou un rêve lointain entretenu par les documentaires bon chic bon genre de la télévision.
Sur le terrain, une nouvelle forme de lutte s’organise. A deux reprises déjà, un groupe d’opposants s’est rendu sur les lieux et a défait, bien gentiment, le travail de marquage qui avait été réalisé par les géomètres. Cela permet de gagner un temps précieux, mais ne sera certainement pas suffisant pour retarder le chantier. Une course contre la montre est organisée et elle n’est pas gagnée d’avance ! Pour suivre l’actualité des luttes et vous informer sur le fond du dossier, je vous conseille de vous reporter aux sites « Opposition à Center Parcs » ou « Pour les Chambarans sans Center Parcs ».
Source : http://www.lafeuillecharbinoise.com/?p=11412