« Il est temps que, face à la menace des perturbateurs endocriniens et au temps perdu du fait de la pression des lobbies, la politique européenne privilégie enfin la santé environnementale », alerte un collectif de chercheurs et de médecins au sujet de la contamination chimique de notre environnement et de nos organismes. Ils appellent à mettre en place le principe de précaution, « l'un des fondements de la législation européenne ». *
La contamination chimique de notre environnement et de nos organismes est une composante majeure de la crise écologique actuelle, particulièrement par les perturbateurs endocriniens (PE). Dans le cadre du règlement « pesticides », l’Union Européenne a adopté une définition fin 2017, mais celle-ci permet-elle vraiment de protéger les populations ? Autrement dit, se contente-t-elle d'éliminer quelques molécules ou met-elle en oeuvre le principe de précaution pourtant l'un des fondements de la législation européenne ?
Prenons l'exemple des pesticides puisqu'il s'agit de la catégorie de substances pour laquelle la législation est la plus avancée. Particulièrement de 15 substances qui voient leur homologation arriver à son terme. Ces molécules ne sont pas des vedettes médiatiques, et ces décisions vont suivre le parcours habituel concernant les pesticides qui doit se conclure par un vote européen prolongeant ou non leur autorisation.
Alors pourquoi est-ce important ?
Parce que ces substances actives sont des perturbateurs endocriniens (PE) suspectés de perturber l’axe thyroïdien in vitro et in vivo (chez l'animal). Et c’est l’Agence européenne (EFSA) elle-même qui le dit dans un rapport de 2013. Mais ce ne sera pas suffisant, au vu des critères actuels d'identification des perturbateurs endocriniens, pour que l’UE les mette sur la touche. Pourtant, les effets attendus en cas d’exposition pendant la grossesse, portent sur le développement cérébral des enfants, puisque le système thyroïdien est indispensable au développement harmonieux du cerveau chez l’embryon.
Or la France, comme d’autres pays européens, défend l’idée d’un classement en fonction du niveau de preuve apporté par les scientifiques (certain, probable, suspecté). Aux politiques de faire la suite : prendre les décisions de maintien ou non sur le marché des substances PE simplement suspectées. Car on peut s'attendre, du fait du niveau de preuve très élevé exigé pour qu'un PE soit qualifié de certain, que la catégorie des PE suspectés si elle finit par voir le jour, soit la plus fournie.
D'où la nécessité d'une politique claire à leur égard : concernant les pesticides s'en tiendra-t-on, comme le prévoit le règlement pesticides 1107/2009 à une approche par le danger, et donc à leur éviction, au moins le temps que les études scientifiques confirment ou infirment leur caractère perturbateurs endocriniens ? Ou bien s'achemine-t-on sans le crier sur les toits, vers un non-respect du règlement 1107/2009 avec la création d'une catégorie de produits dont la réglementation européenne a le secret, et qui ne sont jamais retirés du marché, mais dont seulement certains usages sont restreints ?
Ces 15 substances actives sont de plus retrouvées dans l’alimentation des français, cette fois-ci c’est une étude de l’Anses qui l’affirme. Elles nous fournissent donc un cas d’école : par un vote d’opposition au renouvellement d’autorisation de ces substances suspectées de perturber la fonction thyroïdienne et par leur interdiction sur le marché français, la France a l’opportunité de défendre la notion de perturbateurs endocriniens suspectés et la nécessité absolue de réduire l’exposition par l’alimentation. Elle a ainsi l’occasion de mettre en pratique la seconde Stratégie Nationale sur les perturbateurs endocriniens par l’utilisation du «principe de précaution lorsque certaines données scientifiques sont présentes, en vue d’atteindre une réduction maximale de l’exposition aux perturbateurs endocriniens ».
Il est grand temps que, face à la menace des perturbateurs endocriniens et au temps perdu du fait de la pression des lobbies, la politique européenne privilégie enfin la santé environnementale.
Signataires:
Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche (DR1) Inserm et directrice équipe EPAR (épidémiologie des maladies et pathologies respiratoires), IPLESP, Inserm et Sorbonne Université ;
Françoise Archambeaud, professeur d'endocrinologie et de médecine interne ;
Jean-Marc Bonmatin, Chercheur (CNRS) au centre de biophysique moléculaire d’Orléans et Vice-Président de la Task force on Systemic pesticides (TSFP) ;
Thomas Bourdrel, médecin, Collectif Strasbourg Respire ;
Didier Cosserat, médecin ;
Barbara Demeneix, biologiste au Muséum national d’histoirenaturelle ;
Eric Feraille, Professeur de néphrologie, Président de la fédération de protection de l’environnement en Rhône-Alpes ;
Patrick Fenichel, Professeur d'endocrinologie et médecine de la reproduction ; Jean-Baptiste FINI chercheur (CNRS) au Muséum national d'histoire naturelle ;
Dominique Le Houezec, pédiatre du réseau de périnatalité de Normandie ;
Dominique Malgrange, médecin endocrinologue, AMLP ;
Gilles Nalbone, directeur de recherche émérite INSERM ;
Michel Nicolle, médecin Vice-Président d’Alerte des médecins sur les pesticides ;
Pierre-Michel Perinaud, médecin et Président d’Alerte des médecins sur les pesticides ;
Philippe Ricordeau, médecin spécialiste en santé publique, épidémiologiste ;
Pierre Souvet, cardiologue, Président de l’association Santé Environnement France ;
Sandrine Taillefer, médecin endocrinologue