Énergivores et imposants, les data centers sont pourtant encore libres de s’installer où ils veulent. Lier planification énergétique et urbaine devient donc urgent pour freiner leur essor, soutient l’auteur de cette tribune.
Daniel Rousseaux est urbaniste, spécialiste en participation citoyenne et intéressé par les questions d’environnement.
Derrière l’image sobre et bleutée des serveurs ronronnant dans les centres de données (« data centers ») se cachent de véritables usines électriques. Chaque fois que vous faites un virement, prenez un train ou vous faites opérer, votre banque, la SNCF ou l’hôpital y pioche des données numériques.
En France, ces usines ont si bien poussé avec le développement de l’économie dite numérique que notre pays en serait désormais le quatrième plus gros détenteur au monde… sans encadrement juridique à la hauteur des enjeux.
Les data centers sont également le reflets des choix de l’ensemble de la société sur l’usage du numérique. CC BY-SA 3.0 / BalticServers.com / Wikimedia Commons
Gros consommateurs d’espace (entre 500 et 2 000 mètres carrés pour un établissement de taille moyenne), ces centres de données empiètent pourtant sur la création d’espaces verts et de logements. Car pour faire circuler les données le plus rapidement possible, ils s’installent à proximité des nœuds de raccordement électrique et numérique, qui se trouvent être aussi les espaces urbains déjà sous tension immobilière et foncière.
En Île-de-France, dans la populaire Seine-Saint-Denis, cela devient très problématique, certains atteignant une surface de 10 000 mètres carrés.
« Un emballement énergétique et infrastructurel »
Ces centres sont aussi très énergivores : de 2 % en 2013, leur part dans la consommation électrique mondiale devrait atteindre 13 % dès 2030, selon Fanny Lopez et Cécile Diguet dans un rapport intitulé L’Impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires.
Selon la Caisse des dépôts, il faut même craindre « un emballement énergétique et infrastructurel », car, pour assurer la sécurité des données, ces centres ont besoin d’énormément d’électricité.
L’imposture de la dématerialisation
À l’heure de l’urgence climatique, le mythe de la « dématérialisation » est donc plus que jamais une imposture coûteuse, qu‘il devient urgent de déjouer en liant planification énergétique et urbaine.
L’idée de « planification » n’a pas bonne presse depuis les années 1980 : bien peu libérale, elle rappelle les échecs du soviétisme. Pourtant, quoi qu’on en pense sur le fond, elle a fait ses preuves pour développer des équipements fonctionnels : nous devons notre réseau routier aux schémas directeurs des années 1960 et notre maillage nucléaire au plan Messmer.
Vue aérienne du datacenter Online DC3, situé à Vitry-sur-Seine. Dans les zone urbaines déjà denses, les data centers accentuent la pression immobilière. CC BY 3.0 / Online.net / Iliad / Wikimedia Commons
Dans un premier temps, réfléchir l’installation des data centers dans le cadre d’une planification énergétique permettrait d’évaluer nos réels besoins numériques, et de questionner l’utilité des nouvelles installations en regard de leurs conséquences environnementales.
Est-il par exemple judicieux de forcer à l’usage de milliers de tablettes numériques dans les écoles, connaissant leurs effets nocifs sur la santé des enfants ? Est-il indispensable de déployer la 5G dans un pays déjà bien couvert par un réseau performant ? Ces choix numériques alimentent une inertie qui rend plus difficile encore notre bifurcation vers la sobriété.
Planification urbaine
Afin d’encourager à cette réflexion, le Shift Project propose d’ailleurs une méthodologie basée sur le solde carbone des nouvelles technologies numériques et rappelle que ces choix de développement sont sociétaux.
Parallèlement, il est nécessaire d’intégrer les data centers dans les documents de planification régionale et urbaine. À l’échelle locale, cela éviterait aux élus d’être mis devant le fait accompli d’une demande de permis de construire, et leur permettrait d’édicter des règles d’installation en fonction des différentes zones de leur territoire.
Mutualiser les équipements
Ils pourraient ainsi empêcher l’accès à certains sites ou, à défaut, privilégier ceux où les besoins en logements sont faibles ; où le sol est déjà artificialisé ; où le bâti pourrait être recyclé (de préférence à la construction d’un centre neuf). Cela encouragerait aussi le développement des économies en réseau — installés judicieusement, ces centres pourraient faire bénéficier d’autres entreprises de la chaleur qu’ils produisent — ou la mutualisation des équipements électriques…
À une échelle régionale, le nouveau Schéma régional climat air énergie d’Île-de-France, dont la révision va commencer, pourrait tout à fait proposer pour les data centers une cartographie inspirée de celle prévue pour les parcs éoliens. Si l’installation de ces derniers est contrainte par la proximité des habitations et couloirs aériens, celle des centres de données pourrait être réservée aux zones d’activités sans tension immobilière.
Enfin, il faudrait assimiler les centres de données à des industries classiques. Actuellement, ils restent considérés sur le plan juridique comme de simples entrepôts logistiques, ce qui les soustrait aux concertations publiques et aux évaluations environnementales systématiques qui président à la création de tout équipement de cette ampleur.
Ils n’y sont soumis que si leur générateur de secours atteint une certaine puissance ou si les travaux d’aménagement sont substantiels.
Cette réforme permettrait de mieux anticiper leurs effets cumulés à long terme : risques d’incendie liés aux générateurs ou aux batteries de secours, contribution à l’artificialisation des sols et au phénomène d’îlots de chaleur urbain, car toute la chaleur des condenseurs est rejetée dans l’atmosphère, destruction des continuités écologiques, affaiblissement des réseaux locaux d’électricité et d’eau…
Des installations à encadrer
Certains pays, comme l’Irlande, ou villes européennes, telles Amsterdam, Stockholm (Marseille est en voie), ont déjà édicté des moratoires pour encadrer l’installation de ces centres.
Mais, en France, l’absence d’obligation de concertation sur les nouveaux projets, jointe à la culture du secret des développeurs, a freiné la conscientisation des décideurs publics, qui tardent à prendre la mesure du problème. Or, il est plus que temps de faire de cette multiplication des centres de données sur le territoire un véritable objet de débat public et de controverse politique : pour quels usages en veut-on ? Pour quel coût écologique ?
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