Harcelés par une application aveugle de la directive sur la continuité écologique, petits producteurs et élus avaient appelé la CAPB à la rescousse. Avec le renfort d’une étude juridique et d’une autre, technique, une stratégie se met en place.
Alain KRAUSZ|mediabask|0 commentaires |
La salle du conseil était pleine, ce 19 décembre 2019, lorsque Maître Corinne Lepage a procédé à la restitution de l’étude réalisée par le cabinet Huglo-Lepage sur le contexte juridique régissant l’exploitation de la ressource hydro-électrique des cours d’eau du Pays Basque Nord. Entourée d’élus et techniciens de l’agglomération, elle représentait un espoir pour les petits producteurs, élus et autres responsables associatifs venus en nombre. Le problème ? Une application quelque peu primaire de la directive sur les continuités écologiques, acculant à l’arasement (pris en charge par l’Agence de l’Eau) des seuils de tous les barrages dont les propriétaires sont incapables de financer des travaux comme des échelles à poissons. La ressource étant de ce fait perdue à très long terme pour le territoire.
“La doctrine de la préfecture est que tout ouvrage hydroélectrique est une atteinte à la continuité écologique et à la remontée des poissons. La biodiversité est importante, mais encore faut-il que ce ne soit pas un prétexte. Et ce n’est pas cohérent avec les évolutions législatives et jurisprudentielles”, constate Corinne Lepage. “Nous sommes dans un pays, pour le dire diplomatiquement, où le maximum n’est pas fait pour développer les énergies renouvelables là où elles peuvent l’être, et moins diplomatiquement, où tout est fait pour que sur le terrain, le développement ne puisse pas se faire !” C’était bien le constat fait par la Communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) lorsqu’elle a été appelée à l’aide. Dotée en outre de la compétence eau, elle commanda donc cette étude juridique, et lança par ailleurs une grande étude sur le potentiel hydro-électrique actuel, et prévisible (voir encadré).
Des arguments pour rencontrer le préfet
Le fait est que jamais les circonstances n’ont été aussi bonnes pour remettre en cause cette politique d’arasement systématique, qui a par ailleurs des conséquences graves sur l’état sanitaire des écosystèmes d’amont. Pour Corinne Lepage, “le changement de circonstances de fait entraîne le changement de circonstances de Droit : tout le monde est d’accord pour préserver biodiversité, mais la France a des obligations communautaires en matière d’énergies renouvelables. 23 % en 2020, 33 % en 2030, qui vont devenir 40 %. Le Parlement vient de voter une PPE (programmation pluri-annuelle de l’énergie) qui fixe un objectif extrêmement ambitieux en matière d’hydroélectricité”. En fait, une multiplication par quatre à six entre 2023 et 2028. “On ne peut pas se donner des objectifs d’hydroélectricité et bloquer chaque fois qu’il y a un projet d’hydroélectricité !” Pire encore, alors que l’agglomération souhaite faire sa part de la PPE, riche de la ressource hydroélectrique, le retard actuel de l’Etat français risque de la faire mettre à l’amende par la Cour de Justice de l‘Union européenne, amende qu’elle partagera avec les collectivités n’ayant pas non plus rempli leurs objectifs.
“La PPE doit être développée au niveau territorial. Chacun prend sa part en fonction de son potentiel. Cette région, ce département, cette Communauté d’agglomération, a un atout formidable, c’est l’hydroélectricité. Avec des petits moulins, qui sont là depuis des centaines d’années et qui jusqu’à ce siècle n’avaient pas d’impact sur la biodiversité.”
L’idée de stratégie proposée par le cabinet Huglo-Lepage est donc la suivante. Dans le cadre du Plan-climat-énergie territorial et des objectifs en termes d’énergies renouvelables, la CAPB doit se doter d’objectifs chiffrés calés sur la base des objectifs hexagonaux de la PPE. “Prendre notre part du fardeau national.” La PPE impose effectivement une augmentation très importante du développement de l’hydroélectricité, et la CAPB est prête à prendre sa part de cette augmentation, fournissant des objectifs chiffrés. “A partir de là, peut s’ouvrir une discussion pour savoir comment on fait. Le débat se posera moulin par moulin, cours d’eau par cours d’eau, pour déboucher sur une feuille de route.” “Comment, en fonction de ces objectifs, des classements des cours d’eau, optimiser ce qui existe, développer les ouvrages qui existent mais ne servent pas à l’hydroélectricité, ou créer de nouveaux ouvrages. Pour des raisons législatives, les deux premières options sont à privilégier.”
Dans les circonstances d’un Hexagone en retard sur ses objectifs, “la législation et la jurisprudence commencent à s’ouvrir un peu plus pour aller vers des conciliations moins systématiquement défavorables à la petite hydroélectricité. Car le Conseil d’Etat considère désormais que l’utilisation économique des cours d’eau pour faire de l’électricité est un objectif de même valeur juridique que la protection de la continuité écologique.”
La carotte
L’ancienne ministre de l’Environnement est toutefois optimiste quant à la prochaine évolution de la situation. D’abord en raison d’une importante directive européenne de décembre 2018 qui crée une série d’obligations pour les Etats membres pour le développement des EnR (énergies renouvelables), et en particulier au sujet de l’autoconsommation collective qui ne pourra plus se voir imposer surcoûts, connexion au réseau, règles discriminatoires ou encore délais abusifs. Mais surtout parce que l’Hexagone ne peut se refuser de profiter de la manne dernièrement accordée par l’Europe pour la transition de ses membres. Ce sont ainsi 1 000 milliards de dollars qui seront consacrés au financement de la transition pour dix ans. Dix fois moins que ce que préconisent les spécialistes, qui considèrent cette somme nécessaire annuellement si l’on désire prendre le bon virage. Mais c’est déjà ça. La PPE impose aussi désormais des objectifs importants, même si elle table beaucoup sur le nucléaire, que le gouvernement français tente de présenter comme “renouvelable”.
La CAPB ira prochainement plaider la cause de sa petite hydroélectricité auprès des services de l’Etat. L’enjeu est important, tant la première ressource en énergie renouvelable locale est le pilier énergétique de la démarche entreprise dès 2017 de Territoire à Energie Positive pour la Croissance Verte. Le Plan Climat Pays Basque, en cours d’élaboration, engagera en effet le territoire à atteindre l’équilibre entre la consommation électrique et la production d’EnR à l’horizon 2050. En cas d’échec de la remise en question des destructions systématiques de seuils, les élus communautaires n’hésiteront pas à interpeller “plus haut”, à commencer par le ministère de la Transition écologique et solidaire.
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