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13 février 2020 4 13 /02 /février /2020 15:40

 

 

Interview de François Veillerette  recueilli par Recueilli par Nicole Gellot
7 février 2020

Pesticides : « On n’arrive pas à protéger les populations »

Les populations qui vivent à proximité de zones d’épandage de pesticides ne sont toujours pas protégées par le nouvel arrêté du gouvernement. Quant à l’État, en l’absence de politique ambitieuse, il n’a pas atteint son objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides au cours des dix dernières années. Bien au contraire. Entretien avec François Veillerette, directeur de Générations Futures.

L’âge de faire : Le gouvernement a fixé par arrêté les distances d’épandage de pesticides à 3, 5 ou 10 mètres des habitations, pour la quasi-totalité des produits. Votre réaction ?
François Veillerette : Des distances de 5 et 10 mètres qu’on peut réduire à 3 et 5 mètres, si on emploie un certain type de dispositifs, c’est à peine la largeur d’un chemin ! Ce n’est pas ça qui va protéger les riverains des pesticides. À noter que les 20 mètres retenus pour les produits les plus dangereux ne concernent qu’une quantité infime de produits. Au niveau des distances, le compte n’y est pas. On regrette aussi l’absence d’information réelle des riverains. C’est un grand manque. Le gouvernement a décidé de renvoyer l’information des riverains aux chartes départementales d’engagement qui sont prises sous la direction des chambres d’agriculture. Dans tous les cas que nous avons étudiés, elles ne prévoient pas d’information précise des riverains sur chaque traitement. On va leur montrer un calendrier de traitement à l’année, ce qui leur sera absolument inutile, et leur mentionner des produits autorisés par la loi. Ce que demandent les gens, c’est de savoir si demain, ils pourront envoyer leurs enfants jouer dans le terrain ou s’ils pourront faire un barbecue dehors, sans être aspergés par les produits. C’est un échec. Pour la première fois, il y a des distances d’éloignement des pesticides, mais elles sont tellement faibles que ça reste purement symbolique. Avec d’autres organisations, on est en train d’étudier d’éventuels recours contre ces textes au Conseil d’État.

 

L’arrêté précise que les distances d’épandage de 5 et 10 mètres peuvent être réduites à 3 et 5 mètres, si l’utilisateur de pesticides met en place des moyens pour limiter la dérive (1).
Est-ce que ça a du sens ?

F.V. : Techniquement, on sait qu’il y a des procédés qui sont moins mauvais que d’autres. Les buses anti-dérives ont une certaine efficacité, c’est une question de taille de goutte. Ça limite mais ne supprime pas le problème, d’autant plus que l’exposition des riverains n’a pas lieu uniquement par la dérive initiale des produits, elle a lieu aussi par la volatilisation des produits. Si des produits volatiles sont sur le champ, à trois mètres de chez vous, dans les heures et les jours qui suivent, ils vont se ré-évaporer et vous allez les respirer. Dans les études qui sont disponibles, on voit que pour certains types de produits, en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques, il y a plus d’exposition par la ré-évaporation que par la dérive. Contrôler la dérive ne répond que partiellement au problème. On trouve donc que cette mesure est inacceptable.

 

À quoi sert finalement cet arrêté ?
F.V. : Ces textes ne répondent pas à l’obligation de protection des riverains tels que les textes européens l’imposent. Cela n’aurait pourtant rien coûté d’intégrer l’obligation pour les agriculteurs de prévenir les riverains. C’est très facile d’envoyer un SMS à la liste de ses voisins, ça prend trente secondes. Il faut rappeler que, si on a eu ce nouveau texte sur l’utilisation des pesticides, c’est parce que Générations Futures a fait abroger partiellement, par le Conseil d’État, l’arrêté de 2017 qui gérait les conditions d’utilisation des pesticides. L’État n’a pas choisi de publier un nouvel arrêté, il a été enjoint par le conseil d’État de le faire. Il avait jusqu’à la fin de l’année pour le faire, et il l’a publié le 29 décembre, in extremis.

 

Environ 50 000 personnes ont participé à la consultation publique sur les distances d’épandage. On en sait plus sur ce qu’elles ont exprimé ?
F.V. : On n’a pas eu de bilan chiffré, ce qui à mon avis montre la gêne du gouvernement, car s’il y avait eu des proportions chiffrées très en faveur des mesures proposées, je ne doute pas une seconde que le gouvernement l’aurait dit. Le fait qu’il y ait un silence cache le fait, pour moi, que cette consultation a sans doute été très majoritairement critique vis-à-vis des textes.

 

Le chiffre communiqué récemment par le comité d’orientation stratégique et de suivi (Cos) du plan national de réduction des produits phytosanitaires sonne comme un aveu d’échec…
F.V. : L’indicateur de suivi, en nombre de doses par hectare, montre une augmentation de l’utilisation des pesticides de 24 % entre 2017 et 2018. Quand on calcule sur l’ensemble du plan Écophyto (2), depuis 2009 jusqu’à 2018, on est aujourd’hui à plus de 40 % (3) d’augmentation de pesticides en nombre de doses, alors qu’on aurait dû diminuer de 50 %. On a commencé à 64 000 tonnes, et on est à 85 000 ! C’est un échec total. Il n’y a pas de volonté politique ni de volonté dans la profession d’y arriver.

 

Au final, cette décision gouvernementale concernant les distances d’épandage, n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ?
F.V. : C’est juste une manière de gérer l’urgence. On n’avance ni sur les évolutions de pratique agricole sur le long terme, ni sur la gestion du risque en attendant les améliorations. Donc, c’est un vrai immobilisme.

 

Que pensez-vous du fait que les agriculteurs en conventionnel expriment souvent l’impossibilité économique d’évoluer vers moins d’usage de pesticides ?
F.V. : Je connais des agriculteurs en Picardie, Normandie et ailleurs, qui sont en forte diminution, depuis 10 ou 15 ans, au moins de 50 %. Ils arrivent à l’optimum économique en réduisant l’usage des pesticides. Ils sont bien encadrés par des ingénieurs agronomes et ils arrivent à faire du très bon travail. Donc on sait que c’est possible. Ça demande un bon encadrement technique, agronomique et presque psychologique, car il faut apprendre à travailler autrement : faire des impasses sur certains traitements, revoir les systèmes de production, mettre des cultures en rotation, semer plus tard, moins dense, etc. Et ça fonctionne, ça ne demande pas forcément de subventions. Il peut y avoir une aide à l’investissement quand on passe au désherbage mécanique. Dire qu’on ne peut pas faire est complètement faux.
Un gros rapport d’expertise, publié il y a dix ans par l’Inra, Écophyto recherche et développement, montrait qu’il y a, en grandes cultures, un potentiel de réduction des pesticides de 50 %, grâce à des systèmes de production intégrée  (4), avec des baisses de rendement, mais pas forcément de rentabilité. Quand vous passez à des systèmes moins utilisateurs de pesticides et d’engrais, vous perdez éventuellement un peu de rendement, mais vous dépensez moins. Ce système concerne une poignée d’agriculteurs, qui ne vont pas jusqu’au bio mais divisent pas deux, parfois plus, l’usage des pesticides. Ça devrait être le minimum du minimum en attendant que les gens aillent vers le bio, de manière générale. On est à 8 % de bio, il reste encore 92 % de l’agriculture française à convertir. Ça va prendre du temps. Cette agriculture intermédiaire pourrait se généraliser, mais ce n’est pas le cas. On entend toujours : « On sait pas faire, on peut pas faire », car le logiciel de l’agriculture tel qu’il est prôné par la FNSEA, c’est toujours un logiciel hyper simplifié, spécialisé, avec des objectifs de rendements élevés sur des systèmes de cultures relativement inchangés.

 

Pour en sortir, vous prônez le système bonus-malus…
F.V. : Il faut changer de braquet et mettre en place des mesures contraignantes, avec de la fiscalité qui impose des choses. Ça veut dire, donner de la visibilité à la profession agricole sur ce qu’on va exiger d’elle dans les années à venir, en disant : dans 5 ans, on va exiger tel pourcentage de diminution, tel autre dans 10 ans, 15  ans… avec un objectif opérationnel par culture et par région. Ceux qui font des efforts et qui sont dans les clous sont aidés, ce qui leur sert d’assurance récolte, et ceux qui s’en moquent sont taxés, ce qui permettra de financer les bonus. L’autre levier, c’est la nouvelle Politique agricole commune (Pac), qui consiste à ne plus donner de droits à produire avec les paiements fixes à l’hectare pour tout le monde. Il faut réduire ces paiements à l’hectare au profit du deuxième pilier de la Pac, avec de plus en plus de mesures agro-environnementales, fléchées sur les réductions de pesticides, et conditionner ces aides aux changements de pratiques. C’est là qu’est l’argent et le levier financier.

Recueilli par Nicole Gellot
 

 

1 – Une partie des produits est emportée hors de la zone ciblée (fossé, cours d’eau) ou la quitte avant d’atteindre le sol, polluant l’air.
2 – Le plan Écophyto, entré en vigueur en 2008, prévoyait une réduction de l’usage des pesticides de 50 % en 2018.
3 – François Veillerette est le seul à donner ce chiffre de 40 % (en valeur annuelle) pour la période 2009/2018. Les chiffres officiels qui sont de 21 ou 25 % sont des moyennes glissées triennales, ce qui abaisse les variations.
4 – La production intégrée repose sur la mise en place de systèmes de culture donnant la priorité au préventif plutôt qu’au curatif. Elle lutte contre les risques liés aux maladies, insectes, adventices…par des pratiques culturales (rotations longues, semis moins denses…), des variétés résistantes, le désherbage mécanique, etc. La lutte chimique est appliquée si tous les autres moyens sont épuisés.

 

 

 

Source : https://lagedefaire-lejournal.fr/pesticides-on-narrive-pas-a-proteger-les-populations/

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