24 mars 2020 • 18:58
Depuis le début de crise du coronavirus, de plus en plus de régions et de pays dans le monde ont pris des dispositions pour surveiller leur population, pour diverses raisons et avec différents outils juridiques et techniques. En France aussi, le gouvernement et les opérateurs doivent-ils utiliser les smartphones pour éviter la contagion ?
COMMENT LES OPÉRATEURS PEUVENT-ILS DÉJÀ NOUS SUIVRE ?
Les opérateurs mobiles utilisent la géolocalisation par GSM pour déterminer une localisation géographique en se basant sur les antennes, c’est-à-dire les antennes relais qui servent habituellement à transférer les données aux téléphones mobiles.
La précision de ce type de positionnement peut aller jusqu’à 30 mètres, selon la densité des antennes. Évidemment, en milieu urbain, la densité est plus élevée et permet donc un meilleur positionnement qu’en milieu rural.
Pour déterminer votre emplacement, il suffit de calculer le temps entre l’émission et la réception du signal entre le smartphone et l’antenne. Pour améliorer cette localisation, les opérateurs utilisent la triangulation : c’est un croisement des données obtenues, à partir de trois antennes relais utilisées, lorsque le portable se déplace.
Les opérateurs gèrent donc une quantité très importante de données et ont la possibilité d’identifier l’utilisateur d’un smartphone étant donné qu’ils sont également en charge de l’authentification de ce dernier.
Les opérateurs ne sont pas les seuls à détenir des données personnelles sensibles, les messageries instantanées les plus utilisées, comme WhatsApp, Messenger et Snapchat, ont également des données utiles comme la géolocalisation par exemple.
LA CORÉE DU SUD ET LA CHINE SANS AUCUNE RETENUE
Il existe de nombreuses méthodes pour faire du pistage numérique. On peut, par exemple, retracer les mouvements des citoyens en utilisant des images de caméras de sécurité… mais une technologie comme la reconnaissance faciale est inefficace sur une population vêtue de masques. Il est donc plus efficace et judicieux d’utiliser les données des smartphones. C’est ce qui a été fait dans de nombreux pays depuis le début de la crise du coronavirus, y compris en Corée du Sud et en Chine.
Peu importe comment vous regardez les chiffres, un pays se démarque des autres : la Corée du Sud. La Corée du Sud a testé beaucoup de ses citoyens au Covid-19… dont les données sont intégrées dans des outils consacrés à la recherche et à la surveillance.
Plusieurs applications utilisent les données publiques du gouvernement coréen pour vérifier la présence d’un patient Covid-19 confirmé. Ces données servent à tous les citoyens coréens qui peuvent vérifier la date à laquelle un patient a été testé, consulter ses données démographiques et, surtout, une partie de son historique de déplacement.
Interface de l’application Corona 100 m qui permet d’accéder à l’historique des déplacements de toute la population testée positive au Covid-19
Une des applications les plus populaires, nommée Corona 100m, alerte un utilisateur s’il se trouve à moins de 100 mètres d’un emplacement visité par quelqu’un qui a été testé positif au Covid-19. Il reçoit des SMS et des alertes automatiquement en fonction de sa localisation.
À Pékin, la capitale de la Chine, deux applets (mini apps) « Beijing Cares » et « Beijing Health Buddy » ont été intégrées à la messagerie la plus populaire : WeChat. Chaque ville possède sa propre version de l’applet. Les citoyens chinois sont obligés de rentrer leur température quotidienne et leur état de santé dans l’application. Ces données génèrent un « état de santé » disponible via un code QR, que les utilisateurs peuvent utiliser dans les bâtiments et les centres commerciaux.
En analysant le code source de l’application, le New York Times a constaté que l’application partage des données avec les autorités chaque fois que le code QR d’un utilisateur est scanné à un point de contrôle. En quelque sorte, c’est une nouvelle forme de contrôle social automatique.
Alors que la Chine renforce la surveillance, la Corée du Sud a eu une réaction étonnante. Préoccupés par le fait que les atteintes à la vie privée pourraient décourager les citoyens de se faire tester pour le virus, les responsables de la santé ont annoncé qu’ils affineraient très rapidement leurs directives de partage de données afin de minimiser les risques pour les patients.
LA FRANCE Y RÉFLÉCHIT SÉRIEUSEMENT, D’AUTRES PAYS SONT PASSÉS À L’ACTION
La Corée du Sud et la Chine ont utilisé ces données pour vérifier que leur population respecte bien les règles du confinement et pour déterminer si des personnes a priori saines ont été en contact avec des individus contaminés par le coronavirus. Cette perspective est étudiée par tous les gouvernements, y compris en Europe.
Le gouvernement espagnol a déjà décidé d’utiliser les données des opérateurs pour suivre les mouvements de la population. Avec ces mesures, l’Espagne souhaite réaliser une « étude de la mobilité appliquée à la crise des coronavirus » et analyser l’impact de la « politique de confinement ». Dans la Lombardie en Italie, le gouvernement a également mis en place un dispositif similaire pour pister les patients testés positif afin de vérifier qu’ils respectent bien les règles du confinement.
Comme le précise Numerama, la loi sur le renseignement de 2015 paraît déjà offrir l’arsenal juridique adéquat pour le recueil et l’exploitation en masse des données de géolocalisation auprès des opérateurs télécoms, notamment en temps réel.
La CNIL a rapidement réagi au début de la crise en expliquant que les données de santé bénéficient d’une protection spéciale, à travers le Code de la santé publique et du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Le RGPD justement prévoit des dérogations exceptionnelles, comme une crise sanitaire.
En France, la réflexion va se poser concrètement dans les prochains jours. Un comité de chercheurs chargé de conseiller le gouvernement, le CARE, va aider le gouvernement dans la lutte contre le Covid-19 et émettra un avis « sur l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées ».
Ce dispositif s’appuierait sur la géolocalisation des smartphones et pourrait être moins invasif que ce qui a été mis en place en Chine et en Corée du Sud : les données peuvent, en effet, être anonymisées.
Comme le note Numerama, tous les pays envisagent désormais ce type de dispositif, comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Chine, la Corée du Sud, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, Israël, la Pologne, la Russie, ou encore Taïwan.
UN PROBLÈME DE CONFIDENTIALITÉ ÉVIDENT
Si de tels dispositifs s’avèrent utiles dans le contrôle et la lutte contre le coronavirus, c’est aussi un argument pour pouvoir collecter ces données et ainsi étudier les mouvements de la population. Ces données ont une grande valeur pour nous aider à mieux planifier la ressource, pour comprendre l’efficacité des différentes des politiques de distanciation sociale.
Mais la situation d’urgence que nous vivons doit-elle mettre en balance la vie privée avec d’autres considérations ? Le suivi de populations entières pour lutter contre la pandémie pourrait ouvrir la porte à des formes plus invasives d’espionnage et de surveillance.
Pour Rappel :
http://ace.hendaye.over-blog.fr/2020/03/contre-le-covid-19-la-geolocalisation-deja-autorisee.html