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27 avril 2023 4 27 /04 /avril /2023 17:26

 

 

 

Par Fabienne Loiseau

17 avril 2023 à 16h15 Mis à jour le 17 avril 2023 à 21h46

Polluants éternels : « Une inaction coupable des pouvoirs publics »

Un rapport dresse un constat inquiétant sur la présence de PFAS, ou polluants éternels, dans l’environnement. Nicolas Thierry, député EELV, dénonce le manque d’action des pouvoirs publics.

On les appelle « polluants éternels », car ces substances ne se dégradent pas. Les per- et polyfluoroalkylés (PFAS) sont présents dans de nombreux produits et objets du quotidien. Face aux risques sanitaires qu’ils présentent, Nicolas Thierry, député Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Gironde, a déposé le 13 avril une proposition de loi visant à les interdire. Le lendemain, le ministère de la Transition écologique publiait un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) sur la présence de ces substances dans l’environnement. Un rapport réclamé depuis plusieurs mois par les députés verts et des associations écologistes.

 

Reporterre — Vous alertez depuis longtemps sur les PFAS. Où les trouve-t-on ?

Nicolas Thierry — Partout ! Les PFAS sont si répandus qu’aucun territoire ou être vivant sur Terre n’y échappent. Une scientifique m’expliquait qu’on pourrait retrouver des traces de ces substances perfluorées même chez les ours blancs au pôle Nord.

Il s’agit de molécules persistantes, qui ne se dégradent pas dans l’environnement. Elles sont extrêmement mobiles et migrent donc facilement dans l’eau, la terre, l’air… Or elles sont utilisées dans de très nombreux objets du quotidien. Ainsi quasiment tous les emballages au contact d’aliments en contiennent en raison de leurs propriétés antitaches et de résistance à l’humidité. On en trouve aussi dans les vêtements déperlants, les chaussures imperméabilisées, les poêles antiadhésives, les tissus antitaches… Même dans le papier toilette, selon une récente étude.

La mousse anti-incendie concentre elle aussi beaucoup de PFAS. Utilisée pour lutter contre les feux d’hydrocarbures, par exemple dans les bases militaires, elle est rejetée en pleine nature et pollue l’eau et les sols.

 

Lire aussi : Polluants éternels : « Des données potentiellement explosives » bloquées par Matignon

 

En quoi ces substances sont-elles dangereuses ?

De nombreuses études montrent les risques sanitaires des PFAS. Tout cela est parfaitement documenté depuis une vingtaine d’années. Le scandale a d’abord éclaté aux États-Unis à la fin des années 1990 avec la contamination des eaux par une usine du groupe DuPont qui fabriquait du Téflon à partir d’une substance perfluorée.

On sait que les perfluorés ont des effets néfastes sur les systèmes cardiovasculaire, reproductif et hormonal. Ils entraînent un risque de cancer, notamment des testicules et des reins. Des études récentes ont aussi montré qu’ils ont un impact sur la fertilité et qu’ils réduisent l’efficacité des vaccins chez les enfants. Pourtant, alors que la France — tout comme les autres États européens — connaît le danger depuis vingt ans, rien ne s’est passé. On est peut-être face à l’un des pires scandales sanitaires depuis des décennies.

Nicolas Thierry : « Les PFAS sont des molécules persistantes, qui ne se dégradent pas dans l’environnement. » Pixabay/CC/Santa3

Nicolas Thierry : « Les PFAS sont des molécules persistantes, qui ne se dégradent pas dans l’environnement. » Pixabay/CC/Santa3

Le gouvernement vient de publier un rapport d’analyse des risques de la présence des PFAS dans l’environnement. Les auteurs font « un constat inquiétant ». Qu’est-ce qui vous interpelle le plus dans ce rapport ?

Tout d’abord, il faut rappeler qu’obtenir ce rapport est déjà une petite victoire, car nous avons dû batailler et mettre une forte pression pour qu’il soit publié. J’ai dû beaucoup insister auprès du représentant de l’État lors d’une audition publique sur ce sujet à l’Assemblée nationale pour que les choses bougent. À cette occasion, on apprenait que la publication du rapport était bloquée par Matignon.

Les conclusions sont alarmantes : le rapport dévoile clairement la grande toxicité des PFAS alors qu’aucun contrôle assidu de ces substances toxiques n’est actuellement mené en France. Nous manquons cruellement de connaissances sur ce sujet. Nos systèmes de contrôle ne sont pas à la hauteur : il n’y a pas de contrôle systématique de l’eau potable — ce qui paraît tout simplement incroyable ! Il n’y a pas non plus de norme ni pour les sols ni pour l’air.

 

Un plan d’action ministériel sur les PFAS a pourtant été publié en janvier dernier. Pourquoi est-il insuffisant ?

Le rapport de l’Igedd montre, en creux, le manque d’ambition cruel du plan PFAS du gouvernement. Ce dernier ne propose que de documenter les progrès des connaissances et de poursuivre la surveillance, sans prévoir aucune action forte.

« On est là face à une inaction coupable des pouvoirs publics »

Le rapport de l’Igedd recommande, lui, « d’engager sans tarder les actions de maîtrise du risque les plus urgentes » et plaide pour l’interdiction totale de la production et de l’utilisation des PFAS. Or, même s’il n’a été dévoilé qu’aujourd’hui [le 14 avril 2023] au grand public, il a été rendu en octobre 2022. Le gouvernement avait donc déjà ces informations lorsqu’il a élaboré et annoncé son plan d’action en janvier. Celui-ci n’était qu’une diversion pour encore gagner du temps. On est là face à une inaction coupable des pouvoirs publics.

 

Vous avez déposé le 13 avril une proposition de loi pour interdire ces substances. Que proposez-vous concrètement ?

Cette proposition de loi contient trois axes. D’abord, il s’agit d’interdire la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché des produits contenant des PFAS dès le 1er janvier 2025. L’urgence est de couper la source dès que possible. Sont concernés les emballages alimentaires, les vêtements et la mousse anti-incendie. Puis, tous les autres produits avec du Pfas à compter de 2027. En cas d’absence d’alternative, l’interdiction ne s’appliquera pas au matériel médical.

Le second axe de notre proposition prévoit d’instaurer un contrôle systématique des PFAS dans l’eau potable. Enfin, le dernier axe concerne la stratégie de dépollution des sites contaminés. Ce sont des sommes astronomiques qu’il faudra mobiliser pour dépolluer. Qui va payer ? Nous estimons que cette charge doit revenir principalement aux industriels responsables de ces pollutions massives, sur le principe du pollueur-payeur.

 

Une interdiction d’ici 2025 est-elle techniquement envisageable ?

Oui, pour un certain nombre de produits. Ainsi le Danemark a interdit la présence de PFAS dans tous les emballages alimentaires depuis 2020. Et la transition s’est faite sans problème. Les fabricants ont su trouver rapidement des alternatives. Quant aux vêtements, une étude américaine récente, relayée par Générations futures, montre que les PFAS n’auraient aucun avantage pratique pour repousser l’eau et les taches par rapport aux tissus non traités. S’ils sont peu utiles, on peut donc s’en passer au regard du risque qu’ils présentent.

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Je vais d’abord tenter d’élargir les cosignataires de cette proposition de loi pour en faire une démarche transpartisane. C’est un long combat qui commence. La Commission européenne s’est également saisie de ce sujet et lancé un projet de texte. Mais elle ne prévoit pas d’interdiction avant 2027, et cela dans le scénario le plus optimiste, c’est-à-dire si tous les États se mettent d’accord et sans pression des lobbies. Or, dans une tribune récente publiée dans Le Monde, Robert Bilott, l’avocat à l’origine de la révélation du scandale aux États-Unis, explique que les industriels bataillent pour que l’Europe n’interdise pas toute la famille des PFAS, comme elle le prévoit, mais uniquement substance par substance. Or, il existe des milliers de substances perfluorées différentes, entre 4 000 et 12 000. C’est grâce à cette stratégie que les industriels ont réussi à enliser les choses aux États-Unis.

Polluants éternels : « Une inaction coupable des pouvoirs publics »
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