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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 15:22

 

 

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DE RENAUD HONORE 
12/04/11 | 07:00 | Renaud Honore |


C'est avec un empressement digne de son prestigieux totem que la SNCF a ouvert, plusieurs mois à l'avance sur la date anniversaire, les festivités organisées pour les trente ans du TGV. Oubliés la rentabilité en chute libre, du fait de l'augmentation des péages, et les retards qui s'accumulent pour les voyageurs. « Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui », a tranché Guillaume Pepy, le président de la compagnie ferroviaire, il y a quelques jours pour le lancement du TGV des trente ans. Le dirigeant de la société nationale a préféré s'attarder sur « l'énorme attachement des Français » pour leur train vedette.


Cet « énorme attachement » se révèle pourtant être un redoutable piège pour le système ferroviaire français. Au nom de cet enthousiasme généralisé pour le TGV, les projets de nouvelles lignes fleurissent un peu partout sur le territoire, sans qu'on sache très bien s'il faut s'en réjouir. Rien qu'en 2011, l'énumération donne le tournis : une nouvelle ligne va être inaugurée en décembre (la branche est du Rhin-Rhône, entre Dijon et Belfort), 4 projets sont ou vont être lancés officiellement (Tours-Bordeaux, Le Mans-Rennes, Nîmes-Montpellier et la 2 phase du TGV Est) et deux tronçons vont faire l'objet d'un débat public (Paris-Clermont-Lyon qui doit doubler la liaison actuelle vers la capitale des Gaules, et Paris-Normandie). Sur le chantier normand, on parle d'une facture globale de 9 à 15 milliards d'euros pour 300 kilomètres de voies, qui doivent permettre de donner de nouvelles capacités au fret et surtout de mettre Le Havre à 1 h 15 de Paris, contre 2 h 10 aujourd'hui. Cela fait cher la minute économisée...


Ce constat n'est pas surprenant. Les lignes à grande vitesse (LGV) les plus intéressantes d'un point de vue économique ont déjà été réalisées. Une étude récente menée par 2 ingénieurs spécialistes du secteur (*) est à cet égard édifiante. Les auteurs ont calculé pour chaque LGV ce qu'il a fallu dépenser pour chaque voyageur annuel supplémentaire gagné. Ce ratio était inférieur à 300 euros pour les premières lignes, puis est monté à près de 1.000 euros pour la LGV Est. Mais pour les projets à venir, on dépasse allégrement les 2.000 euros, voire les 4.000 euros pour Nîmes-Montpellier ! Logique : les coûts de construction ne cessent de monter avec les contraintes environnementales et les bassins de population touchés par les nouvelles LGV sont bien moins importants qu'hier.


Cette froide réalité des chiffres ne freine pourtant pas les ardeurs des décideurs publics. Il est vrai que le TGV est paré des plus grandes vertus aux yeux des élus locaux, qui sont prêts à toutes les folies pour voir le train passer sur leur territoire. Et ce même si l'expérience montre que les dessertes promises au moment où ils signent le chèque ne sont pas toujours au rendez-vous quand la ligne s'ouvre officiellement...


Ces nouveaux projets se font d'autant plus facilement qu'on a pu bénéficier d'une recette miracle pour faire passer la pilule financière : les partenariats public-privé (PPP), qui permettent de faire reposer une partie du poids du fardeau sur les épaules des investisseurs privés. Avec également comme énorme avantage pour l'Etat de participer au financement sous forme de loyers, sans que ceux-ci viennent gonfler l'endettement public.


Sans cela, il aurait été impossible de lancer 4 nouvelles lignes en même temps. Est-ce une fuite en avant ? « J'ignore si c'est raisonnable, mais c'est efficace », répondait il y a quelques mois Hubert du Mesnil, le président de RFF (le propriétaire des rails) devant les députés. On a connu jugement plus enthousiaste... Le montage financier adopté pour un projet comme le TGV Tours-Bordeaux n'est pas non plus exempt de risques. Celui-ci se fera sous la forme d'une concession de cinquante ans - durée peu commune -attribuée à Vinci en l'occurrence. Dans le domaine du ferroviaire, ce genre d'expérience n'a pas toujours été couronné de succès, loin s'en faut : sans s'attarder sur le cas très particulier d'Eurotunnel - monté sans aucune subvention publique -, on doit tout de même rappeler que le gouvernement britannique a dû réinjecter 5 milliards de livres il y a deux ans pour remettre à flot la concession de la LGV entre le tunnel sous la Manche et Londres. Aux Pays-Bas, on parle même actuellement de faillite pour l'exploitant de la très coûteuse LGV entre Amsterdam et la frontière belge...

Cette fuite en avant vers toujours plus de TGV ne paraît donc guère tenable. Des premiers signaux sont d'ailleurs venus confirmer que l'enthousiasme est en train de retomber. Les collectivités locales se font ainsi tirer les oreilles depuis plusieurs mois pour enfin accorder la part du financement qui leur revient pour la LGV Tours-Bordeaux. La semaine dernière, Hubert du Mesnil a également mis les pieds dans le plat : « Il nous semble que l'argent public devrait d'abord aller au réseau existant », plaide le dirigeant, qui dit avoir besoin de 1 milliard d'euros supplémentaire par an pour rénover les rails actuels. Il est vrai que se lancer dans de coûteux projets d'extension alors que l'existant se dégrade sans cesse relève d'une logique curieuse.


Ces nouveaux projets de TGV ne sont pas mauvais en soi, certains se feront d'ailleurs. Ils relèvent toutefois clairement d'une politique d'aménagement du territoire que l'Etat n'est pas en mesure de soutenir financièrement actuellement. Bien sûr, ce constat ne sera jamais celui du gouvernement, qui a fait du Grenelle de l'environnement un de ses marqueurs politiques. Mais les 2.000 kilomètres de nouvelles lignes à grande vitesse promises par Jean-Louis Borloo d'ici à 2020 paraissent d'ores et déjà être un objectif hors d'atteinte.


(*) « Trente ans de LGV », par Jean-Noël Chapulut et Jean-Pierre Taroux, in « Transports », n°462 Renaud Honoré est journaliste au service Services des « Echos »


 

Source : http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201290328957-le-tgv-un-trentenaire-qui-cede-a-la-folie-des-grandeurs.htm

 

 

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