Publié le 21-02-2012
Ouvert en Italie en 2009, le plus grand procès sur l'amiante comptant plus de 6000 parties civiles pourrait créer un précédent dans d'autres pays confrontés à ce drame sanitaire qui aurait déjà causé la mort de plus de 500 000 personnes en Europe Occidentale, entre 1995 et 2005.
Turin, 13 février 2012. Une date historique pour les victimes de l’amiante en Italie. Après deux années d’audience, le verdict est finalement tombé : Stephan Schmidheiny, l’ex-propriétaire du groupe suisse Eternit et le baron belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne, l’ancien actionnaire du groupe en Italie ont été condamnés à seize ans de prison ferme et à verser de lourdes indemnités à quelque 6000 victimes. Un verdict sans précédent qui signe la responsabilité des dirigeants de cette multinationale de l’amiante-ciment dans la mort de plusieurs milliers d’Italiens, anciens ouvriers et habitants des villes-martyres de Casale Monferrato, Cavagnolo, Rubiera et Bagnoli, vivant à proximité des usines d’Eternit. En France, à l’Andeva, l’association nationale des victimes de l’amiante, on salue cette première mondiale : « Cette condamnation pénale résonne comme un avertissement pour tous ceux qui ont fait passer le profit avant la santé des ouvriers et comme un encouragement à continuer la lutte pour la justice, pour l’éradication de l’amiante et pour la recherche médicale », précise-t-on au siège de l’association. De son côté, maître Michel Ledoux, avocat en droit social qui se déclare « stupéfait de la sévérité des juges italiens et consterné par la situation en France ne mâche pas ses mots : « Les Italiens nous ont fait honte en montrant qu’ils ont été capables de juger une entreprise comme Eternit ! ». Ce spécialiste des affaires de santé au travail sait de quoi il parle : depuis 1996, date de la première plainte de l’association Andeva, il a traité plus de 15 000 dossiers de victimes de l’amiante, qui continue de tuer près de 10 000 personnes chaque année, ce qui pourrait porter le nombre de décès à 100 000 d’ici à 2025.
A quand un effet boomerang en France ?
Ce procès historique pourrait créer un précédent dans d’autres pays d’Europe. En France, toutes les victimes de l’amiante ont hâte qu’un procès de l’amiante au pénal se déroule enfin. Mais ce procès sera-t-il pour demain ? On peut en douter… La raison ? Alors qu’en Italie, le Parquet a joué un rôle pro-actif du fait de son indépendance, en France, l’absence d’indépendance du Parquet et le manque de moyens alloués aux juges d’instructions bloquent toute avancée. « On considère que l’amiante ne relève pas d’une procédure pénale mais d’une affaire civile d’indemnisation des victimes sans recherche des responsabilités », déplore Maître Michel Ledoux qui souligne par là même le manque flagrant de volonté politique dans ce dossier. Pourtant, il s’agit d’un scandale sanitaire sans précédent, alors, pourquoi ce désintérêt ? Selon l’avocat, c’est du côté du Comité Permanent Amiante (CPA) qu’il faut en rechercher l’origine. Créée en 1982, cette structure de lobbying regroupant les industriels de l’amiante a complètement dicté la politique en matière d’amiante. Or, c’est cette structure à qui est reproché aujourd’hui d’avoir œuvré pour retarder l’élaboration d’une réglementation européenne plus sévère des seuils d’exposition à l’amiante, désinformé le public et empêché l’interdiction de ce matériau cancérogène. « Le CPA réunissant des représentants des Ministères du travail, de la santé et de l’environnement, il ne faut pas s’étonner qu’on ne veuille pas aujourd’hui enquêter sur les causes du drame. L’affaire de l’amiante illustre en fait les liaisons on ne peut plus dangereuses entretenues entre les industriels et le système de veille sanitaire qui a complètement dysfonctionné », assure Michel Ledoux.
"Aujourd’hui, il est scandaleux de poursuivre des étudiants qui téléchargent illégalement sur Internet alors qu’on ne poursuit pas des multinationales qui ont fait des milliers de victimes en toute connaissance de cause ! » La liste noire des entreprises en cause est longue. Parmi elles, Ferodo (Valéo) à Condé sur Noireau (Calvados), EDF à Morsaing (Landes), La Normed (construction navale) ou encore des sites de Sollac, sans oublier des établissements publics comme l’Université de Jussieu, ainsi que tous les sites fabricants des matériaux à base d’amiante et ceux réalisant du flocage ou calorifugeage à l’amiante.
Lueur d’espoir
Alors que, fin 2011, des mises en examen ont été annulées en France pour des motifs de procédure, un espoir pourrait se faire jour. Début janvier, la juge d’instruction Bertella Geffroy a en effet mis en examen plusieurs anciens responsables du CPA. Un signe encourageant que l’instruction progresse. Enfin. « Il est grand temps que la justice fasse son œuvre car les dirigeants en cause sont âgés », insiste Eric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale solidaire, qui mettra prochainement en ligne un web documentaire sur l’amiante. Toujours est-il qu’au-delà de ce drame, c’est tout le système de veille sanitaire fagocité par le pouvoir des industriels et politique, qui est en cause. Hier, l’amiante, aujourd’hui, le médiator. A quand le scandale des nanomatériaux ou des produits phytosanitaires ? « Face aux désastres sanitaires qui se multiplient, il est temps de construire l’avenir en garantissant aux experts une totale indépendance », résume Michel Ledoux.
Marie-José Gava