30/11 11:48 CET
Dans la vallée de Susa, sur le versant italien des Alpes, la contestation s’affiche partout. Le chantier préparatoire de la nouvelle ligne à grande vitesse Lyon-Turin est placé sous haute surveillance. Les forces de l’ordre se déploient sur place en permanence. La menace ? Les opposants au projet franco-italien qui multiplient les manifestations sur le site. Ils dénoncent la construction du tunnel de 57 kilomètres qui permettra le passage de la LGV.
La société chargée de la construction du tube d’exploration nous refuse l’accès au chantier. Nous approchons des lieux grâce au gardien du parc naturel alentour. Il fait partie des anti-LGV : les NO TAV en italien. “Les coûts énergétiques, environnementaux et financiers pour la construction du tunnel sont tellement élevés qu’on investit à perte, ce ne sera jamais rentable,” affirme Luca Giunti, “depuis vingt ans, le trafic passager, ainsi que le trafic fret entre la France et l’Italie baissent continuellement.”
La ligne historique située juste à côté suffit amplement, d’après les NO-TAV qui réclament que l’Union européenne renonce à cofinancer le projet. Les opposants s’inquiètent de l’amiante et des substances radioactives qui pourraient être présents dans les déblais, mais aussi d’une éventuelle pénurie d’eau potable quand de l’eau s‘échappera des nappes lors du creusement du tunnel. Selon un autre NO TAV : Marco Scibona, “il est prévu que le creusement du tunnel entraîne l‘écoulement de 1000 litres d’eau par seconde, c’est l‘équivalent des besoins en eau d’une ville d’un million d’habitants.”
Pourtant, la municipalité de Susa soutient le projet. Ses responsables estiment que les risques sont gérables et que le projet a des avantages du point de vue économique. On espère qu’une fois que les gouvernements se seront mis d’accord sur le projet,” lance la maire Gemma Amprino, “sa concrétisation par la création d’une gare internationale à Susa offrira une véritable chance de développement pour notre ville.”
Même son de cloche de l’autre côté des Alpes, à Modane où le maire lutte depuis des années, contre le trafic routier international. Pour lui, c’est simple : mieux vaut le train que le camion. Comme sa collègue italienne, il attend des retombées pour sortir sa région du marasme. “L’important,” souligne Jean-Claude Raffin, “c’est aussi de trouver du travail en cette période difficile et je pense qu’aujourd’hui, ce grand chantier serait pour Modane, comme pour l’ensemble de la vallée de la Maurienne et comme pour une grande partie de la vallée de Suse de l’autre côté, une bouffée d’oxygène pour les dix ou quinze prochaines années.”
Pour les défenseurs du projet, Lyon-Turin, c’est un maillon-clé du futur réseau transeuropéen, projet prioritaire pour l’Union Européenne qui reliera Lisbonne à Budapest puis Kiev à terme.
De leur côté, les opposants – dont le Français Emmanuel Coux qui tient un blog anti-tunnel – estiment que la faiblesse du trafic transfrontalier sur les rails et sur les routes rend la future LGV caduque d’autant plus que la ligne historique vient d‘être modernisée. “Quand on me parle d’infrastructure vétuste, cela me laisse sans voix,” indique Emmanuel Coux, “certains ouvrages d’art sont refaits à neuf et une nouvelle ligne va coûter énormément d’argent : 25 milliards d’euros, l‘équivalent de 500 hôpitaux neufs,” souligne-t-il avant de préciser : “la Cour des comptes a bien démontré que si on faisait la future ligne Lyon-Turin, elle ne serait pas rentable.”
Récemment, la Cour des comptes a épinglé l’explosion des coûts prévisionnels : en dix ans, ils sont passés de 12 à 26 milliards d’euros.
Malgré ce rapport cinglant, le président de la région Rhône-Alpes continue de défendre ardemment le projet. “Les échanges commerciaux vont s’accentuer non seulement entre la France et l’Italie, mais aussi entre l’Europe méditerranéenne et l’Europe danubienne,” affirme Jean-Jack Queyranne, “aujourd’hui en France, seuls 10% des transports passent par les rails en ce qui concerne la traversée des Alpes ; en Autriche, c’est 35% ; en Suisse, c’est 65% ; le rail, c’est l’avenir,“insiste-t-il, “c’est l’avenir pour des bons échanges sécurisés.”
Retournons en Italie par le tunnel de Fréjus pour rencontrer le Commissaire du gouvernement italien pour le projet Lyon-Turin. Mario Virano estime que les grands travaux pourraient commencer en 2014 si les derniers obstacles politiques et financiers sont surmontés. “Les trains sont compétitifs, économiques et rentables s’ils circulent dans la plaine,” explique-t-il, “mais s’il y a des montagnes, la seule façon de les faire rester au niveau de la plaine, c’est de trouer la montagne à sa base et de construire ce qu’on appelle un tunnel de base,” souligne-t-il, “aujourd’hui, dans le secteur de Bardonecchia, les trains doivent monter jusqu‘à 1300 mètres d’altitude ; pour y arriver, chaque train de fret a besoin de trois locomotives,” précise-t-il avant de conclure : “dans ces conditions, les trains ne peuvent pas être compétitifs.”
Sur la ligne historique qui date de 1871, la pente est presque trois fois plus importante que celle du futur “tunnel de base” : c’est énergivore et 60% plus cher que le transport en ligne droite. Ces contraintes ne seront plus qu’un mauvais souvenir avec la nouvelle LGV d’après ses partisans.
Aujourd’hui, le coût d’accès de l’Italie ou de la France au marché de son voisin est le plus cher d’Europe. Patrick Mignol, entrepreneur à La Ravoire, importe ses carrelages d’Italie. Il est installé près d’une gare de ferroutage, mais il a renoncé à l’utiliser. “On a fait l’expérience il y a quelques années, d’utiliser le ferroutage mais le système n’est pas suffisamment organisé parce qu’on n’a pas suffisamment de volume d‘échanges entre l’Italie et la France pour qu’on ait un système fiable,” raconte-t-il avant d’ajouter : “donc, comme on n’a pas suffisamment de volume d‘échanges parce qu’on n’a pas le Lyon-Turin et qu’on n’a pas le tunnel de base, les systèmes de transport ne s’organisent pas en conséquence.”
Les défenseurs de la LGV reconnaissent que le trafic transfrontalier a baissé, en raison de la crise notamment, mais soulignent que la mise en service du tunnel est prévue en 2025. La croissance, espère-t-on, sera de retour d’ici-là.
Grâce au tunnel, les trains passagers gagneront eux aussi, du temps : dans vingt ans, Turin sera à 1h47 de Lyon contre 3h30 aujourd’hui. Les temps de trajet seront aussi divisés par deux de Paris à Venise et de Milan à Barcelone.
Passons une nouvelle fois, la frontière pour revenir dans la vallée de Susa, à Mattie. Nous rencontrons Alberto Efrem qui s’occupe de chambres d’hôtes et le président de la Communauté de Montagne du Val de Suse, Sandro Plano. Selon eux, en pleine crise, l’Italie ferait mieux d’investir dans les écoles et les hôpitaux ou dans la protection anti-sismique. “A l‘époque actuelle, ce serait comme si quelqu’un s’achetait une Ferrari pour aller plus vite à la boulangerie, mais qu’il n’avait pas d’argent pour acheter le pain,” plaisante Sandro Plano, “c’est l’une des choses qu’on doit critiquer dans ce projet.” “Je pense que notre économie ne peut pas avoir une croissance sans fin,” estime Alberto Efrem, “toujours plus d‘échanges, toujours plus vite, ça ne fonctionne pas.”
Côté français, des galeries d’exploration ont déjà été creusées. Tout est prêt pour passer à l‘étape suivante : se servir de ces tubes pour construire le tunnel de base.
Mais en Italie, le noyau dur des NO TAV poursuit la résistance. On peut s’interroger sur leur jusqu’au-boutisme. Pourquoi ne pas accepter la décision de gouvernements français et italien démocratiquement élus, de mener à bien ce projet ? “Quelle démocratie ?” lance une habitante de la vallée de Suse, Piera Gagnor, “ils ont pris une carte et avec une règle, ils ont fait trait en disant : ici, on construira un tunnel. C’est ça, la démocratie ?” répète-t-elle, “ceux d’en-haut décident et nous n’avons pas notre mot à dire ? C’est nous qui vivons ici.” D’après un autre opposant, Gianmarco Moschietto, “il y a plein de moyens de s’opposer à ce tunnel, on peut déranger, bloquer la circulation des poids lourds qui doivent sortir de ce chantier-bunker qu’ils ont construit !”
Faut-il renoncer à ce stade ? 800 millions d’euros ont déjà été investis dans les travaux préparatoires à la construction du tunnel. Les prochains mois nous diront si cette somme a été dépensée en pure perte.
Pour écouter l’interview de Mario Virano, Commissaire du gouvernement italien pour le projet Lyon-Turin, dans son intégralité (en italien), cliquez sur ce lien
http://it.euronews.com/2012/11/30/bonus-intervista-mario-virano
Antoine Fatiga, porte-parole du syndicat français CGT pour les transports, explique pourquoi il faut soutenir le projet de ligne Lyon-Turin (en français)
http://fr.euronews.com/2012/11/30/interview-bonus-antoine-fatiga-cgt-transports
Retrouvez l’interview du militant NO TAV Gianmarco Moschietto (en italien) en suivant ce lien
http://it.euronews.com/2012/11/30/bonus-intervista-gianmarco-moschietto
Source: http://fr.euronews.com/2012/11/30/la-future-lgv-lyon-turin-enflamme-toujours-les-esprits/