Un nouveau rapport révèle que vingt entreprises sont responsables de 55 % de la production de déchets plastiques à usage unique dans le monde, avec en tête ExxonMobil, Dow et Sinopec. Et 19 % de ces déchets auraient directement été rejetés dans l’environnement.
On sait désormais d’où proviennent les touillettes, gobelets, pailles et autres bouteilles d’eau qui polluent les océans et les cours d’eau, et empoisonnent humains et animaux. D’après un rapport intitulé « The Plastic Waste Makers Index », publié le 18 mai par la fondation australienne Minderoo, en collaboration avec des experts de la London School of Economics et le Stockholm Environment Institute, vingt fabricants de polymères ont, en 2019, à eux seuls, représenté 55 % de tous les déchets plastiques à usage unique générés dans le monde. Les cent premiers fabricants en ont représenté 90 %.
« Sur les quelque 300 producteurs de polymères dans le monde, une petite fraction tient entre ses mains le sort de la crise mondiale du plastique : leur choix de continuer à produire des polymères vierges, plutôt que des polymères recyclés, aura des répercussions massives sur la quantité de déchets collectés, gérés et rejetés dans l’environnement », indiquent les auteurs.
ExxonMobil remporte la première place de ce triste podium : la major pétrolière américaine est à l’origine de 5,9 millions de tonnes de déchets plastiques à usage unique chaque année. Dow, la plus grande société mondiale de produits chimiques, est le deuxième plus grand pollueur avec 5,6 millions de tonnes de déchets générés chaque année, suivie de près par le groupe gazier et pétrolier chinois Sinopec, avec 5,3 millions de tonnes.
Ceci se produit avec le soutien des plus grandes banques mondiales : vingt gestionnaires d’actifs institutionnels — au premier rang desquels les sociétés américaines Vanguard Group, BlackRock et Capital Group — détiennent pour plus de 300 milliards de dollars (environ 246 milliards d’euros) d’actions dans les sociétés mères de ces producteurs, dont environ 10 milliards de dollars (environ 8,2 milliards d’euros) proviennent de la production de polymères vierges pour les plastiques à usage unique. Vingt des plus grandes banques du monde, dont Barclays, HSBC et Bank of America, auraient prêté près de 30 milliards de dollars (près de 24,6 milliards d’euros) pour la production de ces polymères depuis 2011.
130 millions de tonnes de déchets plastiques en 2019
Selon le rapport, plus de 130 millions de tonnes de plastique à usage unique ont fini en déchets en 2019. « Notre dépendance au pétrole et au gaz alimente non seulement le changement climatique, mais, comme matière première utilisée dans la production de plastique à usage unique, elle dévaste également nos océans », déclare dans le rapport Sam Fankhauser, professeur d’économie et de politique du changement climatique à l’université d’Oxford.
Sans surprise, les pays développés contribuent le plus à la crise des plastiques jetables. L’étude révèle ainsi que Singapour est en tête des pays qui produisent le plus de déchets plastiques à usage unique par habitant, avec 76 kilogrammes (kg) par personne en 2019. Il devance entre autres l’Australie (deuxième sur les cent premiers pays), Oman (3e), les États-Unis (9e), la Corée du Sud (12e) et la Grande-Bretagne (13e). La France se classe 19e, avec 36 kg de déchets plastiques par habitant. À titre de comparaison, un individu en Chine (45e du classement) produit 18 kg de déchets plastiques à usage unique. En Inde (94e), ce chiffre descend à 4 kg.
Et la tendance n’est pas à la baisse. En examinant « l’ampleur de l’inaction », Minderoo montre que la capacité mondiale de production de polymères vierges pour les plastiques à usage unique pourrait augmenter de plus de 30 % au cours des cinq prochaines années. Cette croissance de la production entraînerait une augmentation de 3 000 milliards de nouveaux déchets plastiques jetables d’ici 2025. Et d’ici 2050, si rien ne change, le plastique pourrait ainsi être responsable de 5 à 10 % des émissions de gaz à effet de serre.
« Les objets en plastique sont partout dans notre vie quotidienne, et on ne les voit même plus », dit à Reporterre Nathalie Gontard, directrice de recherche en sciences de l’aliment et de l’emballage à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Joint par Reporterre, Henri Bourgeois Costa, porte-parole de la Fondation Tara Océan, alerte lui aussi sur « notre usage complètement compulsif et déraisonné du plastique ».
Bien trop peu de recyclage
Un problème d’autant plus important que très peu de ces plastiques sont recyclés : la quasi-totalité des déchets est brûlée ou enfouie dans des décharges. Selon le rapport, 19 % de ces déchets ont été rejetés directement dans l’environnement.
Pour inverser la tendance, la fondation recommande de stopper la production de nouveau plastique, en réaffectant les capitaux des producteurs de matières vierges vers ceux qui utilisent des matériaux recyclés, et surtout en repensant le plastique « pour qu’il soit recyclable ». Mais pour Nathalie Gontard, le recyclage est une « sorte d’illusion » : « Seuls 1 à 2 % des plastiques sont recyclés. Et ce n’est même pas du recyclage, mais du “décyclage”. L’objet n’est pas recréé à l’identique, le plastique est réutilisé pour un autre objet. On ne fait pas disparaître le déchet, il continue de polluer. » Henri Bourgeois Costa insiste pour sa part sur le besoin « d’améliorer la collecte », par exemple grâce à la de consigne. « Aujourd’hui, notre système de tri sur le volontariat avec la poubelle jaune est assez unique, mais ne marche pas. » Il appelle à plus de transparence et de traçabilité des filières du recyclage.
Pour réduire la pollution plastique, la fondation Minderoo demande que les entreprises pétrochimiques soient tenues de divulguer leur « empreinte de déchets plastiques » et s’engagent à effectuer une transition des combustibles fossiles vers des modèles circulaires de production de plastique. Henri Bourgeois Costa se félicite ainsi des « choix volontaires de certaines industries », à l’instar de Danone qui s’engage à arrêter la fabrication de pots de yaourt en polystyrène d’ici 2025. Nathalie Gontard, elle, insiste sur le rôle des industries : « Les États doivent fixer un objectif de réduction de plastique, et laisser les entreprises mettre en œuvre les solutions pour l’atteindre. Car chaque secteur a des besoins différents. »
Malgré tout, les deux experts s’accordent à dire que la véritable solution ne passe pas par le recyclage : « C’est impossible d’imaginer résoudre le problème de la pollution plastique par le recyclage. Il faut d’abord chercher à réduire la quantité de plastique utilisée », indique Henri Bourgeois Costa. Pour le porte-parole de la Fondation Tara Océan, cela passe d’abord par la mise en place de réglementations, qui se font attendre par « manque de courage et de volonté politique » : à l’heure actuelle, la matière recyclée coûte toujours plus cher que la matière vierge. « Une aberration qui discrimine les plus vertueux. »
C’est maintenant que tout se joue…
Précisions
Source : Margaux Otter pour Reporterre
Photos :
. Chapô : Bouteilles en plastique dans l’eau. Pixabay/CC/MonicaVolpin
. Un cours d’eau rempli de plastique à Madagascar. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Mouenthias
. Pollution plastique sur la plage d’Accra, au Ghana. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Muntaka Chasant
Source: https://reporterre.net/20-entreprises-produisent-55-des-dechets-plastiques-du-monde