La Commission des Pétitions du Parlement européen a auditionné le directeur général de l'environnement de la Commission européenne sur le projet d'aéroport : NDDL ne suscite pas pour le moment de procédure d'infraction, mais reste en observation.
Décryptage | Amenagement | 17 septembre 2013 | Actu-Environnement.com Agnès Sinaï
Suite au dépôt, fin 2012, de trois pétitions auprès de la Commission des Pétitions du Parlement européen, une procédure d'enquête européenne sur le projet d'aéroport du Grand Ouest a été lancée le 23 janvier 2013. Dite EU Pilot, cette procédure de pré-contentieux vise la résolution des conflits avant la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne. Les pétitionnaires – en l'occurrence trois collectifs d'élus, de citoyens, et d'associations de protection de l'environnement - entendaient ainsi attirer l'attention du Parlement européen sur le fait que ce projet enfreint un certain nombre de directives de l'Union européenne : directive relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, directive-cadre sur l'eau, directive sur les oiseaux sauvages et directive sur les habitats naturels. Suite à cette saisine, la Commission européenne a demandé à deux reprises des informations aux autorités françaises compétentes concernant le respect des exigences prévues par la législation environnementale européenne.
Un dossier juridiquement fragile
Le 17 septembre, la Commission des Pétitions du Parlement européen, en présence de l'ensemble des pétitionnaires et d'une importante délégation de représentants de l'Etat français et d'élus du Grand Ouest, a auditionné le directeur général de l'environnement de la Commission européenne, Karl Falkenberg, qui a statué sur le dossier, dans une atmosphère tendue : "Nous avons reçu une dernière série de réponses de la part de l'Etat français en juillet, que nous avons examinées. A ce stade, il ne nous semble pas indiqué d'ouvrir une procédure d'infraction formelle à l'encontre de la France. Ceci dit, le sujet est complexe par sa nature, par son histoire. Les premières implantations précèdent de beaucoup d'années la mise en place d'une réglementation environnementale qui ne peut pas s'appliquer de façon rétroactive. Nous devons donc tenir compte de cette évolution dans le temps. Il est vrai aussi que des décisions ont été prises après l'entrée en vigueur de certaines réglementations européennes. Il est clair pour nous que ce projet doit davantage se soumettre à l'évaluation des impacts environnementaux".
Une procédure d'infraction a été ouverte à l'encontre de la France en 2009 en raison de la non application de la directive relative à l'incidence de certains plans et programmes, qui prévoit qu'un tel projet d'infrastructure fasse l'objet d'un seul et même dossier pour assurer sa clarté, a rappelé le Directeur général de l'environnement de la Commission européenne. Or l'enquête publique a "saucissonné" les études d'impacts, sans que les conséquences du projet soient évaluées de manière globale et lisible. "La Commission suit de très près la manière dont les impacts cumulatifs du projet seront pris en compte. Elle n'émet pas de position définitive et, à ce stade, ne conclut pas à l'infraction, mais suit de très près l'évolution du dossier", résume M. Falkenberg.
Sur le respect de la directive Habitats, le directeur général cite les arguments de la France : "En matière de législation de protection de la nature, le site est en dehors de toute zone Natura 2000, la plus proche étant située à une dizaine de kilomètres. Il en ressort que le site héberge des espèces protégées, mais que la région bio-géographique atlantique française ne sera pas touchée". Il se trouve que la directive Natura 2000 n'existait pas dans les années 1970, au moment où a été lancé le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. "Or la zone est éligible aux critères de Natura 2000, mais l'Etat français, juge et partie en la circonstance, a fait en sorte que la directive ne s'applique pas sur le périmètre du futur aéroport", analyse Dorian Piette, professeur agrégé d'économie et de gestion à l'IUT de Nantes.
Réserves sur la compensation : mutisme de la Commission
Proposées par l'Etat et le concessionnaire Aéroport du Grand Ouest (AGO)-Vinci, les méthodes de compensation ont clairement été invalidées par la Commission d'experts scientifiques en avril dernier. Confronté à ces multiples réserves, l'Etat français a désigné le 28 août un comité scientifique chargé de juger des améliorations à apporter aux méthodes de compensation environnementale. "En nommant un nouveau comité, l'Etat chercherait-il à contourner l'analyse des experts qu'il avait pourtant lui-même nommés ?", interroge Françoise Verchère, porte-parole du collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (Cedpa) ? Sur ce point très controversé, le représentant de la Commission européenne n'a pas émis de commentaire. "Nulle part dans les éléments de réponse qu'elle a adressés à la Commission européenne, la France ne fait référence aux réserves sur la compensation émises par le Collège d'experts scientifiques. Sur ce point, les éléments qu'elle fournit restent lacunaires", estime Dorian Piette. Ceci expliquerait cela ?
Pourtant, dans son rapport daté d'avril 2013, le Collège d'experts affirmait que la méthode de compensation ne pouvait pas être validée en l'état, et émettait des réserves. Sur les principes de la méthode, le Collège soulignait "la non adéquation de la méthode de compensation avec la disposition 8B-2 du SDAGE du bassin Loire-Bretagne, et son excessive complexité, la rendant peu intelligible par les citoyens ; l'absence de prise en compte adéquate du risque d'échec des mesures de compensation proposées et de la durée nécessaire à la recréation ou à la restauration effective des fonctions impactées ; le choix et le calcul des coefficients de compensation non suffisamment justifiés ; l'incertitude sur les possibilités d'évaluer la mise en œuvre effective des mesures de compensation proposées."
Sur son application à Notre-Dame-des-Landes, le Collège concluait sur le constat d' "une caractérisation initiale insuffisante de la biodiversité, une analyse insuffisante du fonctionnement hydrologique quantitatif, avec une surestimation de la fonction soutien d'étiage et une sous-estimation de la fonction ralentissement des crues ; une analyse non pertinente de la qualité des eaux ; une insuffisance d'engagement formel des maîtres d'ouvrage quant à l'obligation de résultat ; une absence de méthode explicite de suivi à long terme des mesures de compensation ; une grande difficulté d'appréciation et de fortes incertitudes sur la faisabilité des mesures de génie écologique proposées." Le collège d'experts estimait que ces réserves devaient être levées pour que le projet puisse êre poursuivi sur une superficie aussi vaste, soulignant "la difficulté et l'ampleur du travail mené par les maîtres d'ouvrage dans un tel contexte, pour assurer la compensation écologique des zones humides qui seront détruites ou impactées par l'aéroport".
Contre-offensive de l'Etat français
Les tensions autour de cette consultation ont été sensibles ce mardi 17 septembre. Outre le fait que les documents de la Commission européenne n'étaient pas disponibles en ligne à la veille de l'audition, la Conférence des Présidents du Parlement européen a reporté sine die l'envoi d'une mission parlementaire d'enquête à Notre-Dame-Des-Landes, demandée par les parlementaires de la Commission des Pétitions. Pour Sandrine Bélier, députée européenne des Verts/ALE, en charge du dossier, ce report s'explique par la pression des élus socialistes et conservateurs de la région du Grand Ouest, qui cherchent à freiner la poursuite de l'enquête européenne. "Notre responsabilité est donc de garder ouvertes ces pétitions afin de permettre et de soutenir la poursuite de l'enquête. J'ai également réitéré ma demande d'envoi au plus vite d'une délégation de parlementaires sur le terrain. Nous devons aller au bout de notre démarche tripartite en réunissant les élus européens, la société civile et les autorités françaises. Cette visite de terrain est cruciale afin de permettre aux députés européens de se rendre compte de la réalité du dossier et de voir un site qui est parlant", poursuit l'eurodéputée.
Sur le fond, commente Sandrine Bélier, "la Commission européenne indique ne pas disposer de suffisamment d'éléments pour ouvrir aujourd'hui une procédure d'infraction formelle additionnelle. Pour autant elle ne l'exclut pas. La France est déjà sous le coup d'un contentieux européen concernant son application de la directive plans et programmes. Au terme de six mois d'enquête, les services de la Commission ont donc confirmé leur ferme intention de poursuivre leur investigation notamment quant aux nouvelles évaluations et mesures qui seront prises. Cependant, je regrette la timidité de leurs déclarations car attendre une infraction "immédiate", c'est risquer que soit imposée une situation de fait où, une fois la nature et le site détruits et bétonnés, nous n'aurions plus d'intérêt à statuer."