C’est le coût colossal des nombreux chantiers qu’implique la construction d’une ligne à grande vitesse qui a mis un frein à leur multiplication. (photo thierry david / « S.O. »)
Publié le 20/10/2013 à 06h00
L’État semble donner raison aux opposants, mais les élus s’accrochent. Seule Bordeaux-Toulouse est sur de bons rails
Jean-Bernard Gilles
Le débat se tient au début du mois, dans le luxueux hôtel particulier de la Fédération nationale des travaux publics, à Paris. L’échange est vif entre la SNCF et les élus venus plaider pour les prolongements de la LGV Paris-Bordeaux vers Toulouse et Hendaye. Pierre Messulam, le directeur de la stratégie de l’entreprise nationale, affirme qu’il est raisonnable sur le plan économique et budgétaire de privilégier la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et d’attendre pour la liaison vers l’Espagne, moins rentable. Le président de la Région Aquitaine, Alain Rousset, lui répond volontarisme politique et connexion indispensable avec la péninsule Ibérique. Impossible dialogue, auquel ne participera pas le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, pourtant annoncé pour conclure les débats. « On a tout essayé pour le convaincre, en vain », se désole Valérie Cormier, la déléguée de l’association Eurosud Transport, organisatrice de la rencontre.
À vrai dire, le scénario prenait forme depuis plusieurs années déjà. D’études en rapports, les gouvernements successifs préparaient les esprits. En mai 2011, au nom de la commission des finances, le député Hervé Mariton (UMP, Drôme) met le premier en garde contre le caractère incontrôlable, sur le plan financier, des très nombreux projets ferroviaires. Il pointe que les recettes voyageurs du TGV sont toujours surestimées. Et, en décembre 2011, en conclusion des Assises du ferroviaire, la ministre Nathalie Kociusko-Morizet annonce une pause indispensable.
30 milliards de dette
Le système ferroviaire français apparaît exsangue avec plus de 30 milliards d’euros de dette. Il peine à financer la modernisation des lignes existantes, dont la vétusté est une nouvelle fois constatée par l’École polytechnique de Lausanne. Les propos de la ministre de l’Écologie et des Transports provoquent une nuée de contestations. Mais moins que le rapport que Philippe Duron (PS, Calvados) a remis le 27 juin dernier (lire en page 3).
Cette étude propose un tri sévère parmi les quelque 70 projets listés que la France, avec ses possibilités budgétaires actuelles, mettrait 125 ans à financer. Le 9 juillet, le Premier ministre sonne la fin du rêve. À quelques connexions près, il n’y aura plus de nouvelles LGV, excepté Bordeaux-Toulouse, à l’horizon 2025. Trop cher et pas en phase avec les besoins du plus grand nombre, c’est-à-dire les usagers des trains du quotidien. « On a changé d’époque, mais les élus s’entêtent avec leurs vieux schémas », dénonce Victor Pachon, le leader de la contestation au projet de LGV vers Hendaye. Il affirme, études à l’appui, que la ligne actuelle modernisée peut accueillir pour longtemps encore TGV, TER et ces transports de marchandises dont, au passage, il relève l’inexorable déclin depuis 1998.
Pris au piège
Les opposants assènent aussi que seuls 8 % des usagers empruntent le TGV, ce qui selon eux fait de la très grande vitesse un marché de niche. Le chiffre émane du récent rapport Auxiette, président PS du Conseil régional des Pays de la Loire. 10, 12 ou 15 milliards d’euros réservés à une France des cadres supérieurs, quand des millions d’usagers veulent une amélioration de leurs trains de tous les jours.
Les élus du Sud-Ouest se sentent pris au piège. Ils n’ont jamais autant investi dans le ferroviaire, tirant une belle épine du pied à la SNCF que la politique tout-TGV a fragilisée. Ils se sont aussi massivement engagés dans le financement de la ligne Tours-Bordeaux en cours de construction. Politique et budgétaire, la bataille touche aussi l’équilibre des territoires. La crainte existe qu’Agen, Bayonne ou Dax ne résistent pas aux puissantes métropoles bordelaise et toulousaine.
Le risque vient d’être pointé par le Conseil économique et social d’Aquitaine - pourtant favorable au GPSO (lire en page 3) - qui réclame des études plus précises sur l’impact économique réel de la LGV, une fois l’effet chantier terminé. Des villes sans TGV comme Limoges ou Rodez se maintiennent, quand d’autres, comme Vendôme ou Reims, pourtant desservies, n’ont pas capitalisé sur l’effet LGV. « La modernisation des lignes existantes répond à la demande des usagers qui porte sur la ponctualité et le confort plus que sur la vitesse », explique Charles d’Huyvetter, porte-parole des associations lot-et-garonnaises. Elles estiment que 2 milliards d’euros suffiraient amplement à fluidifier le trafic. Les opposants à la LGV ont le sentiment que leurs arguments sont aujourd’hui repris par le gouvernement. Au grand dam d’élus régionaux… qui n’ont pas dit leur dernier mot.
Source : http://www.sudouest.fr/2013/10/20/comment-la-realite-bu-dgetaire-a-tue-les-lgv-1205000-2780.php