Un champ de maïs OGM développé par la société Syngenta, en Allemagne. - © Sean Gallup/ Getty Images via AFP
Les lobbies de l’agro-industrie bataillent pour l’assouplissement des règles européennes sur les nouveaux OGM. Les militants écologistes peinent à contrer ce rouleau compresseur.
Vous lisez la deuxième partie de notre enquête sur les nouveaux OGM. La première est ici.
Pour la onzième année consécutive, l’association Combat Monsanto appelle à la mobilisation ce 20 mai « pour dénoncer le système agrochimique industriel et ses conséquences désastreuses sur la santé humaine et l’environnement en France et ailleurs dans le monde ». Un système riche en pesticides et en « nouveaux OGM ».
Le moment est en effet crucial pour la lutte anti-OGM car la Commission européenne va dévoiler, en juin, une proposition de réglementation. Elle pourrait abandonner les exigences de traçabilité, d’étiquetage et d’évaluation environnementale pour les plantes issues de ces techniques d’édition du génome.
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Une remise en cause du principe de précaution inscrit dans les traités européens, des droits des citoyens à l’information, de la possibilité pour les agriculteurs bio de développer leurs produits exempts d’OGM. Un telle réglementation reviendrait sur des dispositions européennes acquises grâce à des luttes emblématiques du mouvement écologique. Les défenseurs de l’environnement, bien décidés à ne pas laisser l’agro-business imposer ces technologies de manipulation du vivant, tentent d’alerter l’opinion publique. Mais en face, les lobbys sont bien armés et mènent une offensive tous azimuts : ils influent sur l’écriture des lois, surfent sur les flous juridiques et attaquent en justice les collectifs anti-OGM.
La Commission européenne prête une oreille attentive aux industriels
« Il y a trente ans, aucune société ne contrôlait plus de 1 % du marché mondial des semences », se rappelle Guy Kastler, de la Confédération paysanne. Aujourd’hui, les cinq plus grosses multinationales — BASF, Bayer, Corteva, Limagrain, Syngenta — contrôlent près de 60 % du marché. « À terme, on pourrait aller vers une mainmise totale du marché par ces grands semenciers, dénonce Patrick Rivolet, président du collectif Vigilance OGM et pesticides 16. Dire que la pression a monté d’un cran est un euphémisme : à l’époque, il y avait un adversaire identifié – Monsanto et la transgénèse. Aujourd’hui, nous sommes face à un front puissant, avec des moyens financiers importants et des armées d’avocats. »
Dans les rues de Bruxelles, les lobbyistes de l’industrie des semences, des pesticides et de l’agriculture industrielle sont partout. Leurs locaux parsèment les rues proches du Parlement et des Directions de la Commission européenne, Santé, Agriculture ou en Environnement qui se partagent ce dossier sensible : Euroseed, la Copa-Cogeca, l’European chemical industry council, Bayer-Monsanto, Syngenta, BASF, Dow chemical...
Une grande journée d’actions a été organisée le 5 mars 2022 à Lyon contre le géant de l’agro-industrie Bayer-Monsanto. © Moran Kerinec / Reporterre
La Commission prête une oreille attentive à ces industriels. Pour préparer sa proposition de réglementation, elle s’est basée sur les résultats d’une consultation publique menée en 2022. Problème : celle-ci a repris exactement l’échéancier et l’argumentaire du secteur semencier. « L’analyse d’impact qui en a découlé est très biaisée. Elle prétend que les nouveaux OGM vont contribuer au verdissement de l’agriculture. Cette étude a été vivement critiquée par les ONG », dit Cécile Barbière, de Pollinis, une association dédiée à la protection des abeilles. L’étude présente les nouveaux OGM comme étant aussi sûrs que les plantes conventionnelles, et ne nécessitant pas d’étiquetage informant les consommateurs. Elle suggère qu’ils permettent de réduire l’usage des pesticides, sans preuve à l’appui, alors même que les premiers OGM, des variétés rendues tolérantes aux herbicides, ont montré l’inverse. Ces arguments que l’on retrouve dans les discours... du secteur semencier. Le comité d’examen de la réglementation — un organisme indépendant qui veille à la qualité des travaux fournis à la Commission — a d’ailleurs émis un avis négatif sur cette étude et la médiatrice ordonné à la Commission de lui fournir des précisions avant le 24 juillet 2023. L’information du consommateur, l’agriculture biologique et l’environnement n’étaient pas suffisamment pris en compte, assuraient les ONG.
Intimidation des collectifs écologistes
Restent des garde-fous : face à ces lacunes, les États-membres sont montés au créneau. Mi-mars, la ministre autrichienne de l’Environnement, appuyée par huit autres États-membres, a demandé à ce que l’étude d’impact soit refaite. Le chancelier et le ministre allemand de l’Environnement se sont récemment positionnés contre cette nouvelle réglementation. Or, « l’Allemagne dispose d’un poids majeur sur ce dossier », analyse Clara Behr, de la Fédération biodynamique Demeter international — elle suit de près les débats européens sur le sujet.
La position de la France elle-même n’est pas encore tranchée, notent Guy Kastler et Clara Behr. Les études de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), du Conseil économique social et environnemental, et du Comité consultatif national d’éthique sont attendues d’ici fin mai. Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau semble, lui, déjà convaincu : il a appelé fin avril à « accélérer » le développement de ces technologies...
Mais les grands semenciers adeptes de ces techniques s’invitent dans les champs français depuis déjà une dizaine d’années. Le tout en profitant de flous juridiques… et du laxisme de l’État. Dès 2013, le colza Clearfeld de BASF, une variété rendue tolérante à un herbicide grâce à une technique de génie génétique, la mutagénèse, a été cultivé dans les champs français. La Cour de justice de l’Union européenne (en 2018) et le Conseil d’État français (en 2020) ont pourtant statué que ces variétés devaient être considérées comme des OGM, contrairement à ce qu’assure le semencier… et donc être interdites sur le sol français. En vain.
Autre levier utilisé par les grands semenciers : l’intimidation des collectifs écologistes. Depuis quelques années, les semenciers ont changé de stratégie juridique, note l’avocat des Faucheurs volontaires d’OGM Guillaume Tumerelle. Ils réclament des dommages et intérêts faramineux, jusqu’à huit millions d’euros lors du procès à Dijon. « Les Faucheurs ont obtenu des victoires importantes, notamment en contestant les vides juridiques de la réglementation européenne sur les nouveaux OGM. Les industriels tentent d’éteindre le mouvement », estime l’avocat. « Sur le plan financier, nous en sommes à plus d’un million d’euros dépensés en frais de justice » en vingt ans, explique Jacques Dandelot à Politis.
« On a un mal fou à vulgariser ce sujet »
Les agro-industriels peuvent compter sur le soutien de l’État et de ses institutions. Répression policière des militants antibassines, création d’une cellule antizad... Depuis plusieurs mois, le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur réclament un durcissement de la répression envers les écologistes. « À Toulouse en 2022, la juge n’a même pas laissé les prévenus s’exprimer. C’est la première fois que les Faucheurs sont autant méprisés dans un tribunal », dénonce Annick, faucheuse depuis 2004. Voilà vingt ans que ces activistes fauchent des plants d’OGM sur les parcelles d’essais des grands semenciers, percent des sacs de semences dans les usines de production, ou recouvrent de peinture des bidons de glyphosate auxquels certains OGM sont résistants.
Le 7 juin, vingt-sept d’entre eux sont attendus devant le tribunal correctionnel de Rodez, pour avoir détruit des sacs de semences qu’ils jugent illégales. L’entreprise RAGT pourrait réclamer des dommages et intérêts pour « la destruction de milliers de doses de semences de tournesol ». « Avant de faucher, nous multiplions les approches légales. Nous fauchons lorsque nous n’avons plus de moyens de nous faire entendre », dit Annick. « Nos actions sont illégales, mais pas illégitimes au regard du monde à venir. »
En Aveyron, les militants ont éventré des sacs de variétés rendues tolérantes aux herbicides (ou VRTH). Des semences obtenues en laboratoire par mutagenèse, via des procédés brevetés par les géants de la chimie. © Grégoire Souchay / Reporterre
Ces actions ont, aussi, le mérite de mettre le sujet sur la table et d’attirer l’attention médiatique. « On a un mal fou à vulgariser ce sujet parce qu’il mêle à la fois du scientifique, du réglementaire et du juridique », dit Patrick Rivolet président du collectif Vigilance OGM et pesticides 16. Reste que plus de neuf Européens interrogés sur dix (91 %) souhaitent le maintien de l’étiquetage des nouveaux OGM et près de huit sur dix (77 %) réclament une réglementation stricte, a révélé un sondage de Greenpeace.
En février, une cinquantaine d’associations environnementales ont porté à la Commission européenne une pétition signée par quelque 420 000 citoyens européens : ils demandent le maintien de la réglementation actuelle et de l’étiquetage. « Les nouveaux OGM perpétuent un modèle à bout de souffle qui s’appuie sur la chimie et la privatisation du vivant », dénonce Cécile Barbière. Ils menacent concrètement la filière bio, les labels de qualité et les petits semenciers.
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