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31 mai 2014 6 31 /05 /mai /2014 14:17

 

 

trop-larges-ter-scandale-sncf-rff.jpg

 

Par Jean-Baptiste Giraud , rédacteur en chef d'economiematin.fr


Mercredi 22 mai, les médias français et étrangers s'en sont donnés à cœur joie dans une opération de "SNCF bashing" mémorable, suscitée par un article du Canard Enchaîné. L'histoire ? Les nouvelles rames TER commandées par la SNCF et financées par les régions sont trop larges pour 1200 à 1500 quais de gare, qu'il va falloir "raboter". "Consternant et stupide" comme le déclare Ségolène Royal ? Avant de traverser les voies, il faut toujours regarder des deux côtés...

  

Reprenons : sur certaines lignes TER, notamment en Ile-de-France mais pas seulement, les trains sont bondés aux heures de pointe et les passagers voyagent debout, serrés comme des sardines. Qui plus est, comme le train est bondé, les opérations de montée et descente des passagers sont plus longues. Vu ainsi, on est tenté de se dire qu'il suffit de rajouter un train pour résoudre le problème. Sauf que ce n'est pas aussi simple ! Rajouter un train, c'est trouver un créneau horaire pour le faufiler entre les autres. C'est ensuite mobiliser une motrice et des wagons supplémentaires, ainsi qu'un conducteur.  Tout cela pour une fois le matin, une fois le soir ? Qui plus est, quand le train est parti dans un sens, il faut le faire revenir dans l'autre. Et encore faut-il que ce train, motrice, wagon et chauffeur, soient disponibles....

  

Bref, on l'aura compris, accueillir plus de passagers aux heures de pointe n'est pas simple comme "il suffit de rajouter un train". Cela, les élus dans les régions qui financent les TER et les chargés du trafic régional à la SNCF l'ont bien compris, et c'est ce qui les a motivés à commander de nouvelles rames TER pour remplacer les rames existantes, vieillissantes. De nouvelles rames plus grosses, pour accueillir plus de passagers. 

  

Qui imagine une seule seconde que lors du choix des nouvelles rames, personne ne s'est inquiété qu'elles passent dans les gares ? Ce serait prendre les cadres de la SNCF pour des billes. Je sais bien pour en avoir parlé à l'époque sur BFM où j'étais chroniqueur que des astronomes ont réussi à envoyer une sonde, Marc Climate Orbiter, s'écraser sur la planète rouge, parce que les mesures injectées dans son ordinateur de bord étaient formulées en miles (1852 mètres), quand le logiciel s'attendait à des mètres, mais enfin quand même. Là, que le train soit plus gros, c'est marqué sur le bon de commande, et à la SNCF, on sait depuis le début que ça ne passera pas et qu'il faudra faire des travaux.

  

Non, si j'ai titré "un scandale peut en cacher un autre", c'est que l'emballement médiatique du mercredi 22 mai est significatif du fonctionnement de notre métier. Quel est le vrai "scandale" si l'on peut s'exprimer ainsi, en restant modéré et objectif ? Que RFF, qui gère le réseau ferré et les gares, et la SNCF, qui gère les trains, se soient foutus dessus, pour rester polis, sur cette histoire de quais à adapter aux nouvelles rames. Manifestement, à lire ce qui sort un peu partout, aucun des deux n'a voulu prendre en charge la facture de l'adaptation des quais, estimée dans un premier temps à 50 millions pour la France entière, mais dont certains disent qu'elle est sous-évaluée. Sauf que ça, c'est moins sexy que de dire "la SNCF n'a pas pensé que ses quais seraient trop larges pour les nouvelles rames". Devoir raboter les quais pour que les trains puissent passer, c'est visuel, et ça fait bien rigoler. Dire que RFF et la SNCF n'arrivent pas à travailler ensemble, c'est moins fun.

  

Il ne faut pas avoir fait de bien grosses études pour comprendre pourtant à quel point il est plus rationnel d'adapter les quais aux rames, que les rames aux quais. Si les rames nouvelles normes permettent de transporter ne serait-ce que 10 % de passagers en plus à tous les voyages, tous les jours, on comprend pourquoi la mise aux normes des quais est un choix économique responsable ! Mieux encore : les quais en question, que vous connaissez tous pour les avoir foulés au pied, parfois pas plus tard que ce matin, sont pour certains franchement en mauvais état. On s'étonne toujours de voir que les quais du métro automatique ligne 14 laissent un espace de moins de cinq centimètres entre la rame et le bord du quai, quand pour monter dans certains TER il faut carrément faire une enjambée ! Mieux encore : non seulement certains quais sont vieillots et dangereux, mais... ils ne sont tout bonnement pas aux normes ! Certains ont parfois un demi-siècle, et n'ont fait l'objet que de quelques ravalements cosmétiques rapides. S'il faut les reconstruire, même entièrement, ce ne sont que quelques tonnes de béton en plus. Rien à voir avec le chantier pharaonique d'une nouvelle ligne TGV.

  

La suite du débat va porter sur le coût de ces travaux de mise à niveau / mise aux normes des voies. Si c'est 50 millions de travaux, cela représente 1,25 % du budget travaux annuel de RFF. On veut bien croire que cela pourrait être plus, mais encore une fois, combien de ces quais devaient de toute façon être refaits ? 

  

Non, s'il y a bien un vrai scandale, c'est d'avoir séparé le réseau, les gares, et la gestion des trains. RFF est un "machin" inventé pour contenter Bruxelles et ses lubies d'ouverture tous azimuts à la concurrence, tout comme l'on a créé un machin avec ERDF, en charge du transport d'électricité, pour permettre à d'autres producteurs d'électricité d'utiliser son réseau. Résultat, RFF et la SNCF qui devraient travailler de concert sont en fait en conflit permanent, car leurs intérêts sont divergents. La SNCF cherche à tout prix à payer le moins possible pour passer sur les voies de RFF, quand RFF cherche à augmenter les redevances pour pouvoir entretenir le réseau et construire de nouvelles lignes. Rappelons au passage que RFF traîne une dette de 33,7 milliards d'euros, qui s'accroît toujours. Et devinez d'où vient cette dette ? De sa séparation artificielle d'avec la SNCF, pour désendetter la compagnie ferroviaire !

  

C'est sûr que lorsque l'Europe a demandé à la France de libéraliser le secteur des transports, l'occasion était trop belle de refiler le bébé de la dette du transporteur ferroviaire public à RFF, libérant ainsi la SNCF de ce poids dans ses comptes. Attendez-vous d'ailleurs à apprendre que RFF va de plus en plus mal. Sa dette a gonflé de plus de 2 milliards l'an dernier, et pourrait atteindre 40 milliards à l'horizon 2020.

 

Alors à ce compte-là, 50 millions de travaux en plus ou en moins...  Au fait, pour la bonne bouche, le fail de Mars Climate Orbiter a couté la bagatelle de 250 millions d'euros ! 

 


 

Source : http://www.economiematin.fr/les-experts/item/10064-trop-larges-ter-scandale-sncf-rff

 

 

 

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