Par Albert Ricchi (son site) jeudi 12 juin 2014
L’accord de partenariat transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis est en passe de s’imposer comme un sujet de premier plan dans le débat public mais la désinformation reste forte, les discussions tenues secrètes n’ayant été ébruitées que grâce à des fuites.
Normes de sécurité alimentaires, lois et régulations financières, politiques climatiques, protection de la confidentialité des données, autres politiques non commerciales, la grande majorité des citoyens continue d’être tenue dans l’ignorance de ce coup de force des lobbys, banques et autres multinationales avec la complicité des chefs d’états et de gouvernements européens…
Si l’on vous disait : « Un coup d’état est en cours en Europe », le croiriez- vous ?
Si l’on vous disait : « Les normes sanitaires, sociales, environnementales, techniques et phytosanitaires seront désormais imposées par les multinationales », le croiriez- vous ?
Si l’on vous disait : « Une commune, un département, une région, un état peuvent désormais être attaqués par une firme privée, sans contrôle public et sans procès démocratique », le croiriez- vous ?
Si l’on vous disait : « Un état se réclamant de la démocratie négocie en secret des accords portant sur la totalité des biens et services publics », le croiriez- vous ?
C’est pourtant ce que préparent les négociations secrètes en cours entre les Etats-Unis et l’UE, avec la bénédiction de la France !
Les déportés du libre échange
Le libre-échange est promu par pratiquement tous les gouvernements comme étant la panacée aux problèmes de l’économie car, selon le discours dominant, avec des échanges encore plus libres, moins de règlements, un État amaigri, etc., tout le monde serait gagnant…
Mais l’expérience de plus de vingt ans d’accords de libre-échange n’est pas reluisante : crise généralisée, taux de croissance anémiques, inégalités sociales accrues, dégradation de l’environnement, etc.
Le meilleur exemple est celui de l’Accord de Libre Echange Nord-américain (ALENA), entré en vigueur le 1er janvier 1994, entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique et promettant un développement sans précédent des échanges commerciaux entre les trois pays, par l’accroissement du volume des exportations, dont les bénéfices allaient irriguer toute l’économie mexicaine. Seize ans plus tard, le constat est amer. L’ALENA, promesse d’un « bien-être général », a littéralement laminé l’agriculture mexicaine, et notamment les petits paysans (21% de la population active).
Il convient de rappeler aussi d’autres accords antérieurs comme l’accord multilatéral sur les Investissements (AMI) négocié depuis 1995, en secret, au sein de l’OCDE et qui avait échoué dès que l’opinion publique en avait pris connaissance ou la directive services appelée « directive Bolkestein », votée une première fois en 2003, mais qui fit, elle aussi, l’objet de vives protestations.
Aujourd’hui, ce nouvel accord de libre-échange transatlantique est un projet de longue date du Transatlantic Business Dialogue (TABD), connu sous le nom de Transatlantic Business Council (TBC). Le TBC s’est réuni en 1995 pour établir un dialogue officiel de haut niveau entre les chefs d’entreprise, les secrétaires de cabinets aux États-Unis et les commissaires européens. Il s’agit en fait d’éliminer ce qu’ils appellent les « irritants commerciaux », qui limitent la capacité à échanger tout produit entre les États-Unis et l’UE ou à opérer selon les mêmes règles dans les deux zones sans intervention des gouvernements.
Sont visées les politiques considérées comme les politiques fondamentales sur la sécurité alimentaire, environnementale, sanitaire ainsi que toutes les autres politiques qui composent le pacte social. La « convergence réglementaire » est le terme aseptisé utilisé pour imposer aux gouvernements l’obligation d’autoriser les produits et les services qui ne satisfont pas aux normes domestiques, selon un processus appelé « équivalence » et « reconnaissance mutuelle ».
Le but est clair : il s’agit d’éliminer ce qu’il y a de meilleur en termes de protection de l’environnement, de la santé et des consommateurs des deux côtés de l’Atlantique et de diminuer les contraintes que la puissance publique peut mettre en place pour réguler leurs activités. Ce qui est promu comme des règles « de haut niveau du 21e siècle » pour l’économie mondiale est en réalité un régime qui ferait reculer beaucoup des progrès obtenus par les mouvements sociaux au cours du 20e siècle.
L’adoption de ce traité de libre-échange conduirait aussi à l’ouverture des marchés publics en Europe aux entreprises des Etats-Unis. Les lobbies d'affaires risquent de s'en prendre alors à toutes mesures visant à privilégier les entreprises locales : les collectivités locales devront se plier aux accords et ne pourront plus lancer les appels d’offre aux conditions qui leur conviennent…
Les règles de l’accord seraient contraignantes et leur non-respect pourrait entraîner des sanctions. Le pacte donnerait aux transnationales étrangères des possibilités nouvelles de remettre directement en cause, devant des tribunaux extrajudiciaires, des politiques d’intérêt public et de réclamer des compensations financières dont la charge reposerait sur les contribuables.
Face à la plus grande menace non militaire à laquelle la France n’ait jamais été confrontée, il convient aujourd’hui de mettre en place un encadrement beaucoup plus strict des activités des multinationales plutôt que se lancer dans une fuite en avant vers des accords de « libre-échange » visant à accroître la compétitivité mondiale et renforcer les libertés des firmes multinationales échappant au contrôle démocratique…
Et l’on croit rêver quand on sait que le Président de la République a assuré récemment à Washington, qu’il convenait d’aller encore plus vite pour mettre en œuvre le traité de libre-échange transatlantique. Une déclaration ahurissante qui montre une nouvelle fois que François Hollande n’a rien compris aux méfaits de la mondialisation libérale…
Lexique des différentes nominations du Grand Marché Transatlantique, voulues pour brouiller davantage la compréhension :
GMT : Grand Marché Transatlantique
TAFTA : Trans-Atlantic Free Trade Agreement
TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership
PTCI, Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement
APT, Accord de Partenariat Transatlantique
Photo Creative Commons par Yahoo Images
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Source : http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/traite-de-libre-echange-153170