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16 septembre 2014 2 16 /09 /septembre /2014 13:37

 

 

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  Algues vertes à Douarnenez (Finistère), en mai 2010. AFP

 

par Stéphane Foucart


Lorsqu'un enfant présente une forte fièvre, deux solutions s'offrent à ceux qui en ont la charge. La première consiste à consulter le personnel médical, à identifier le mal et, le cas échéant, à envisager un traitement. La seconde solution est bien plus séduisante : à chaque prise de température, il suffit, par convention, d'inscrire " 37 °C " à l'endroit où s'arrête le mercure. En changeant la graduation du thermomètre, les choses deviennent tout de suite beaucoup plus simples.


S'agissant de la qualité de l'eau, c'est à peu près cette stratégie – ignorer ou corrompre la mesure – qui est fidèlement suivie par les autorités françaises depuis de nombreuses années. Elle vient d'être à nouveau sanctionnée, début septembre, par la Cour de justice de l'Union européenne, qui a condamné Paris pour non-conformité avec la directive de 1991 visant à protéger la ressource en eau des nitrates d'origine agricole, issus de l'azote des fertilisants, des effluents des exploitations, etc.


La réaction du gouvernement a été immédiate. En déplacement à Saint-Jean-d'Illac (Gironde), Manuel Valls assistait, le 6 septembre, à un rassemblement européen organisé par le syndicat des Jeunes agriculteurs et c'est de là qu'il a réagi à l'arrêt de la Cour européenne, rendu deux jours plus tôt. " Nous travaillerons à une adaptation de cette directive Nitrates dont l'approche normative a clairement montré ses limites ", a-t-il déclaré sous les applaudissements.


La phrase, dont George Orwell se serait probablement délecté, procède d'un remarquable renversement de la réalité. Ce ne sont pas les taux excessifs de nitrates qui doivent être abaissés, mais la réglementation qui doit être " adaptée " ; ce ne sont pas les plans d'actions successifs mis en œuvre par la France qui sont en échec, c'est l'objectif fixé qui a " montré ses limites "… Des études scientifiques, rapporte l'AFP, seront conduites aux fins d'appuyer l'assouplissement espéré. Là encore, l'aveu est éclatant : pour une large part du monde politique, les " études scientifiques " ne sont pas tant des outils destinés à mettre en évidence des faits sur lesquels la réglementation doit se fonder que des instruments qui permettent de légitimer une décision prise d'avance.


La sortie de Manuel Valls n'a suscité que de rares protestations. A droite comme à gauche, on semble s'accommoder sans trop de peine de la stratégie d'évitement prônée par le premier ministre. Seul Europe Ecologie - Les Verts (EELV) a dénoncé la réponse de l'Etat sur le sujet, l'estimant " irresponsable tant d'un point de vue économique que de santé publique ", rappelant que " chaque année, les ménages français paient entre 1 et 1,5 milliard d'euros de dépollution de l'eau ".


Trente années de laxisme

Par une cruelle ironie, c'est Stéphane Le Foll, sans doute l'un des ministres de l'agriculture les plus intimement convaincus de la nécessité de faire évoluer le modèle agricole dominant, qui a dû s'expliquer, mercredi 10 septembre, dans l'Hémicycle. " Dans le projet d'agroécologie, plus on développera la matière organique des sols, plus on y développera les micro-organismes, plus on aura besoin d'azote pour les sols, a expliqué le porte-parole du gouvernement, dans une casuistique de haute voltige. Donc le sol absorbera mieux l'azote, et moins de nitrates ruisselleront dans les eaux de surface ou jusqu'aux nappes. " Ainsi, a-t-il poursuivi en substance, si l'agriculture française s'oriente vers l'agroécologie, les limites fixées voilà trente ans par la directive de 1991 " doivent être renégociées à l'échelle européenne ". CQFD.


Il y a cependant une probabilité raisonnablement forte pour que l'agroécologie reste de nombreuses années encore une pratique très marginale – la loi d'avenir sur l'agriculture, adoptée le 11 septembre, n'ayant sur le sujet aucun caractère contraignant. Il risque ainsi d'advenir du projet agroécologique cher à M. Le Foll ce qu'il est advenu du plan Ecophyto lancé en 2008. Ce dernier avait pour objectif de réduire de moitié l'utilisation des pesticides en dix ans mais, depuis son lancement, les quantités de matières actives épandues n'ont cessé d'augmenter…


L'argument du gouvernement, à propos de ces encombrants nitrates, peut donc se résumer ainsi : " Nous pouvons accroître nos dérives, car des vertus nouvelles viendront spontanément les corriger. " Il ressemble à s'y méprendre à celui selon lequel le creusement des déficits publics va relancer la croissance, donc la machine économique. Quoi qu'on pense de sa validité en sciences économiques, l'argument ne s'applique pas aux questions environnementales.


Les dettes que nous contractons à l'égard de l'environnement finissent toujours par être réglées. Nous pouvons discuter avec nos créanciers, pas avec les lois de la nature. Elles s'appliquent et s'appliqueront avec entêtement, quoi qu'il arrive.


Sur la question de la qualité de l'eau, nous sommes d'ailleurs, en réalité, déjà en train de payer la dette de trente années de laxisme réglementaire et d'accumulation forcenée d'azote dans l'environnement. " En passant de plus de 38 000 captages d'eau potable en 1998 à 33 500 aujourd'hui, ce sont ainsi près de 5 000 captages qui ont été abandonnés en quinze ans, explique un rapport interministériel rendu fin août. La principale cause, rencontrée dans 41 % des cas, est la mauvaise qualité de l'eau du fait des pollutions diffuses. " Alors que, ces dernières années, les concentrations baissent dans les cours d'eau bretons, les proliférations d'algues vertes – principalement causées par les nitrates – ne faiblissent pas réellement. Elles ont même commencé, cet été, à gagner la Normandie et la Vendée.


Renégocier la directive de 1991 ne changera rien au coût économique et au fardeau sanitaire de cette dégradation de l'environnement. Peut-être pourra-t-elle permettre, en revanche, d'éviter les fortes amendes européennes dont, à défaut, la France devra bientôt s'acquitter.

 

 

 

 

      Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/09/13/ces-nitrates-que-je-ne-saurais-voir_4486949_3232.html

 

 

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