230 dessertes de TGV en France, beaucoup trop selon la Cour des comptes - LES ECHOS
Lionel Steinmann / Journaliste | Le 24/10 à 06:00, mis à jour à 14:50
La Cour des comptes recommande de privilégier les dessertes des grandes villes au grand dam des élus et des usagers.
Emporté par sa réussite initiale, le TGV à la française a dérivé au-delà du raisonnable, et doit désormais être mis à la diète s’il ne veut pas foncer vers la faillite. C’est ce que préconise la Cour des comptes dans un rapport publié hier, une éventualité qui risque d’irriter les élus locaux comme les clients de la SNCF.
Les conclusions du document sur les projets de nouvelles lignes, lancés « parfois contre tout bon sens », selon le premier président de la Cour Didier Migaud, avaient déjà filtré il y a quelques jours (« Les Echos » du 19 octobre). Mais le constat vaut également pour le réseau existant, et notamment le nombre de gares desservies par le TGV.
« Pour rester cohérent en termes de gain de temps autorisé par la grande vitesse, les arrêts intermédiaires devraient être aussi peu nombreux que possible », rappelle le rapport. Et la Cour d’illustrer son propos avec l’exemple de la ligne Tokkaido du Shinkansen japonais, qui ne dessert que 17 gares mais transporte 50 % de passagers en plus que l’ensemble des TGV français.
Mais la France a peu à peu perdu de vue ce précepte de base. Les élus régionaux ont (quasiment) tous voulu dans leur gare ce symbole de modernité, avec l’appui de leurs administrés, qui en apprécient le confort. Résultat, les TGV circulent dans 40 % des cas, non pas à 320 kilomètres/heure, mais sur des lignes classiques. Surtout, le réseau ne compte pas moins de 230 dessertes ! Des destinations qui sont aussi bien des arrêts intermédiaires que des dessertes en bout de ligne. Dans ce dernier cas de figure, le TGV joue alors le rôle de train régional (TER) « de luxe ». « Le cas de la liaison sur voie classique entre Quimper et Rennes est édifiant à cet égard, avec des TGV effectuant plus d’arrêts intermédiaires et mettant plus de temps que des TER », déplore la Cour. Cette multiplication des arrêts pèse sur le gain de temps permis par la grande vitesse, mais dégrade également la rentabilité.
Des avis partagés
La Cour recommande donc de « restreindre progressivement le nombre d’arrêts », que ce soit sur les tronçons de ligne à grande vitesse, sur les voies classiques, ou en bout de ligne. « Ne doivent être conservées que les dessertes justifiées par un large bassin de population », appuie Didier Migaud. Pour se rendre à destination, les voyageurs devraient donc faire une correspondance, et finir le trajet en TER, voire en autocar.
Cette préconisation est accueillie de manière très prudente par la SNCF (lire ci-contre), même si la direction de la compagnie ferroviaire partage largement le diagnostic. Mais elle va surtout braquer les élus concernés, qui vivent déjà chaque suppression d’un arrêt de TGV dans leur gare comme un déclassement insupportable. Et ils pourront faire alliance sur ce point avec leurs administrés, qui ont pris goût aux trajets sans changer de train. La FNAUT, la principale fédération d’usagers des transports, a ainsi estimé hier dans un communiqué qu’une réduction du nombre de gares desservies pénaliserait les villes moyennes, mais aussi réduirait la fréquentation : « Une correspondance décourage les voyageurs autant qu’une heure supplémentaire de trajet », assure l’association.
Lionel Steinmann / Journaliste | Le 24/10 à 06:00, mis à jour à 08:16
Les collectivités locales participent de plus en plus au financement, mais en contrepartie d’engagement sur le nombre de dessertes.
En théorie, les projets de nouvelles lignes à grande vitesse à l’étude ou bien actuellement en construction devraient tirer les enseignements du rapport de la Cour des comptes et chercher à limiter autant que possible le nombre de gares desservies. Dans les faits, c’est l’inverse qui risque de se produire.
En effet, les collectivités territoriales sont amenées à participer de plus en plus au financement des nouvelles lignes. Mais « elles ne le font bien entendu que si elles y trouvent des contreparties », relève le rapport, contreparties qui tirent le plus souvent vers le bas la rentabilité.
La Cour cite ainsi en exemple la LGV Est, à laquelle 16 collectivités ont contribué. Conséquence, « des choix contestables : présence de deux gares TGV sans interconnexion avec le réseau de transport régional, création de dessertes coûteuses à la pérennité incertaine, multiplication des arrêts à partir de Reims ».
Convention de desserte
Autre illustration, le tronçon Tours-Bordeaux, qui doit être inauguré en 2017. Pas moins de 58 collectivités locales sont impliquées dans le financement pour un montant total de 1,3 milliard d’euros. Certaines d’entre elles ont négocié en contrepartie une convention de desserte, dans laquelle l’Etat s’engage à « maintenir un haut niveau de qualité pour la desserte ferroviaire des gares » de Châtellerault, du Futuroscope, de Poitiers, d’Angoulême et de Libourne.
Les dirigeants de la SNCF n’ont pas été associés à cet engagement, et ils peuvent s’arracher les cheveux : la multiplication des arrêts va, en effet, ronger le gain de temps de trajet procuré par la construction de la nouvelle ligne entre Paris et Bordeaux. Elle plombera également la rentabilité, en limitant la rotation des rames. Le tout avec des péages à acquitter qui vont grimper pour circuler sur la nouvelle ligne …
Pendant ce temps, le Lyon-Turin progresse malgré ses opposants
Lionel Steinmann / Journaliste | Le 24/10 à 06:00
Manuel Valls a apporté un soutien clair au dossier la semaine dernière. Côté italien, le chantier ressemble à un camp retranché.
Dans son rapport, la Cour des comptes souligne que l'Etat va devoir faire le tri dans ses projets de nouvelles lignes, faute de capacité à les financer. Sur ce plan, un projet semble avoir pris une longueur d'avance ces dernières semaines, après avoir été encalminé durant des années : Le Lyon-Turin. En déplacement à Chambéry la semaine dernière, le Premier ministre, Manuel Valls, a ainsi assuré que le projet était « bien sûr indispensable d'un point de vue économique ».
Pourtant, les opposants ne désarment pas. Ni en France, où ils mènent une guérilla juridique. Ni en Italie, où ils ont choisi la violence, comme le montre une visite sur le chantier côté transalpin. « Ici, il y a beaucoup plus de militaires que d'ouvriers », constate Enrico Fornare, maître d'œuvre pour la société Geodata de la galerie de reconnaissance de la Maddalena à Chiomonte. Les alentours ressemblent à un camp militaire. De hauts grillages ceints de barbelés ceinturent les 7 hectares du chantier et des dizaines d'hommes lourdement armés, militaires, carabiniers et policiers, en gardent l'entrée. D'autres arpentent le chantier, mitraillettes en bandoulière, et avec des jumelles observent le versant de la montagne en face. Là, juste au-dessus de l'ouverture du tunnel de la galerie de reconnaissance, se trouvent les « No-TAV» (« treno alta velocità »). Autrement dit les opposants au projet, qui sont là nuit et jour.
8,5 milliards d'euros
Dans ce camp retranché, 140 ouvriers s'activent ; 24 h sur 24, deux gardes du corps protègent Maurizio Bufalini, le directeur général de LTF, l'entreprise binationale Lyon-Turin Ferroviaire. « Pas un jour sans que la presse ne parle du Lyon-Turin », explique-t-il. Pour le maître d'oeuvre, la farouche opposition de cette vallée de Suze au projet « vient d'un problème d'information ». Les gens de cette vallée ont subi la construction de l'autoroute, puis celle de barrages hydroélectriques. Ce chantier fut la goutte d'eau qui fait déborder le vase, regrette-t-il.
Cela n'empêche pas le dossier de cheminer peu à peu. Etape décisive, la France et l'Italie doivent présenter le dossier à Bruxelles d'ici à fin février 2015. Estimé à 8,5 milliards d'euros, cet ouvrage doit bénéficier de financement communautaire à hauteur de 40 %, soit 3,4 milliards, l'Italie devant prendre en charge 2,9 milliards et la France 2,2 milliards.
Gabrielle Serraz, Les Echos Correspondante à Grenoble