Mathias Fekl, le 28 janvier 2014 à l'Assemblée nationale à Paris. (AFP/MIGUEL MEDINA)
Maxime Vaudano 11 novembre 2014
Depuis son arrivée au poste de secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, en septembre, Matthias Fekl multiplie les interventions pour convaincre du bien-fondé des négociations du TTIP/Tafta et déminer les critiques qui pleuvent sur ce projet d'accord commercial entre l'Europe et les Etats-Unis.
La dernière étape en date de sa tournée médiatique l'a conduit, lundi 10 novembre, dans les colonnes de Marianne pour une interview à vocation rassurante… au prix de quelques inexactitudes.
1. La fin du protectionnisme ?
Matthias Fekl a balayé d'un revers de la main le risque que la France signe « définitivement la fin de sa capacité à mettre en place des politiques protectionnistes dans les secteurs qui seront visés par le traité ». « Aucun accord commercial n'interdit à un pays de mettre en œuvre des dispositifs pour défendre des secteurs stratégiques », a-t-il assuré, prenant l'exemple des Américains, qui sont « les premiers d'ailleurs à avoir des dispositifs hyper robustes pour protéger leur industrie ».
Pourquoi c'est faux
Le principe même des accords commerciaux du type TTIP/Tafta est de faire tomber les barrières protectionnistes. L'objectif des négociateurs est donc de limiter au maximum les secteurs où l'Etat détient des monopoles, ou empêche l'accès au marché des entreprises étrangères.
Certes, chaque traité ménage des exceptions pour pouvoir continuer à protéger certains secteurs. Mais il est totalement faux de généraliser ces exceptions à l'ensemble des secteurs « stratégiques ».
Dans le cas du traité transatlantique, seuls deux grands secteurs sont clairement exclus du mandat de négociation :
- Le secteur audiovisuel, exclu à la demande de la France pour protéger l'exception culturelle ;
- Les domaines régaliens (sécurité, armée, police, magistrature).
Tous les autres secteurs sont potentiellement ouverts à la négociation. Et s'il est concevable que la France mette en avant des « lignes rouges » à ne pas dépasser dans certains secteurs, rien ne garantit qu'elles seront suivies, pour la simple et bonne raison que ce ne sont pas des représentants du gouvernement français, mais de la Commission européenne, qui négocient l'accord avec les Américains. « Toute négociation fonctionne sur le donnant-donnant, observe une fine connaisseuse des négociations commerciales. Il y aura donc des concessions à faire pour obtenir d'autres avantages ; en somme, des gagnants et des perdants. »
Se pose donc la question de ce qu'entend Matthias Fekl par « secteurs stratégiques ». S'agit-il des « services publics », que Bruxelles promet sans cesse de protéger sans jamais les définir clairement ? De la transition énergétique, que le gouvernement a érigée en priorité, alors que le TTIP/Tafta renforcera sûrement l'interdiction de favoriser les producteurs locaux d'énergies renouvelables ? De l'agriculture, alors que Bruxelles vient récemment de multiplier par cent les quotas d'importation de bœuf canadien dans le cadre de son accord avec Ottawa (considéré comme le brouillon du traité transatlantique) ?
Enfin, en citant l'exemple des Américains qui sont « les premiers » à « protéger leur industrie », le secrétaire d'Etat au commerce extérieur touche à un point sensible : les Américains sont précisément très réticents à ouvrir aux entreprises européennes leurs marchés publics et à abandonner leur politique protectionniste du « Buy American », qui favorise les entreprises américaines… alors que cette ouverture est vivement réclamée par la Commission européenne… et Matthias Fekl lui-même.
2. Les progrès de la transparence
Talon d'Achille du TTIP/Tafta, critiqué pour son opacité, la transparence est le principal cheval de bataille du jeune secrétaire d'Etat. Matthias Fekl se félicite d'ailleurs dans son entretien à Marianne d'avoir « obtenu gain de cause » sur la publication, début octobre, du mandat de négociation européen, qui était resté confidentiel pendant un an et demi :
« Ce sont des gouvernements de droite qui avaient négocié cela dans le plus grand secret. Ce sont les gouvernements mis en place par François Hollande qui ont obtenu la transparence. »
Pourquoi c'est exagéré
La charge est lourde pour les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, au cours desquelles ont été posées les premières pierres de l'accord transatlantique. Tout au long des années 1990 et 2000, les préparatifs se résumaient à des discussions informelles, puis à la mise en place d'un groupe de travail préparatif. Les véritables négociations entre l'Europe et les Etats-Unis n'ont été annoncées qu'en février 2013, et ont démarré en juillet, plus d'un an après l'entrée en fonction de François Hollande. Difficile donc d'accuser la droite d'avoir « négocié dans le plus grand secret ».
En outre, M. Fekl tire un peu hâtivement la couverture à Paris sur le succès symbolique de la publication du mandat de négociation (qui avait déjà fuité dès l'été 2013 dans la presse). Ce geste d'ouverture, réclamé dès 2013 par sa prédécesseure Nicole Bricq, n'a été consenti par les 28 Etats membres européens qu'à l'issue de longues discussions, notamment sous l'impulsion italienne.
3. La fausse clarté sur les tribunaux d'arbitrage
Enfin, le secrétaire d'Etat au commerce extérieur vante sa prise de position sur la question très controversée des tribunaux d'arbitrage qui pourraient voir le jour avec le TTIP/Tafta :
« C'est un sujet fondamental sur lequel je me suis exprimé en disant devant l'Assemblée nationale que le débat était clairement sur la table. C'est la première fois que les choses sont dites de cette manière-là. »
Pourquoi c'est faux
Depuis sa prise de fonction, Matthias Fekl s'est toujours gardé de demander le retrait de ce chapitre des négociations, qui rassemble un nombre croissant de sceptiques contre lui – y compris les plus hauts responsables de la nouvelle Commission européenne et du gouvernement allemand.
Des positions bien plus offensives avaient été prises par Nicole Bricq, qui s'était publiquement opposée à l'arbitrage début 2014, peu de temps avant de quitter ses fonctions.
Le secrétaire d'Etat rappelle toutefois à raison qu'« au moins la moitié des Etats [...] de l'UE sont d'accord pour avoir ce mécanisme d'arbitrage dans les traités avec le Canada et les Etats-Unis », et insiste sur la nécessité de « construire des positions à plusieurs » :
« Je pourrais très bien aller demain devant les caméras et dire qu'on dénonce ce mécanisme et qu'on le refuse. Mais ça, c'est du spectacle ! Ce n'est pas ça la politique. »
Sigmar Gabriel, le ministre (social-démocrate) allemand de l'économie, qui s'y est publiquement opposé, appréciera.
Lire aussi : Les coupables hésitations françaises
Pour en savoir plus :
- Sur les tribunaux d'arbitrage privés : 14 pays européens (dont le Royaume-Uni et l'Espagne) ont écrit à la Commission pour soutenir ce mécanisme.
- Sur les services publics : la fédération européenne des syndicats de services publics (très critique du Tafta/TTIP) explique pourquoi, selon elle, les services publics ne seront pas entièrement protégés par l'accord.