Mercredi 26 novembre 2014
En Isère, le projet de Center Parcs de Roybon continue son passage en force. Avis défavorable de la commission d’enquête, opposition des habitants, scandale environnemental... rien n’y fait. Les travaux de défrichement de la forêt sont en cours. Les opposants ont déposé des recours juridiques et lancé des actions de désobéissance civile.
Grenoble, correspondance Andrea Barolini (Reporterre)
À Roybon, au cœur des Chambarans, l’une des plus grandes et des plus typiques forêts d’Isère, la société Pierre et Vacances a reçu en octobre le feu vert du préfet pour l’implantation d’un immense Center Parcs.
Quelques jours plus tard, le maire de Roybon, Serge Perraud, a signé le contrat qui établit la vente du terrain où devra être édifié le village-vacances : « C’est une formidable opportunité pour les chefs d’entreprises, je suis surtout content pour eux », avait-il déclaré.
Après la délibération du préfet de l’Isère, Pierre et Vacances a immédiatement commencé les travaux : dès le 20 octobre, une petite équipe d’ouvriers, munie d’un tracteur et de deux fourgons, arrachait la végétation au bord de la route qui mène aux bois.
Accès au chantier interdit
Un mois plus tard, l’entrée du site est surveillée par une société de police privée. Et depuis la route qui longe la forêt, on ne voit pas les travaux. Impossible de s’enfoncer dans le bois. « Pas de photos de l’intérieur du chantier, s’il vous plaît », dit l’un des vigiles.
Le va-et-vient des camions et le ronflement en continu des tronçonneuses confirment que les travaux se déroulent sans arrêt. « Mais on ne peut pas parler d’un vrai chantier pour l’instant, affirme à Reporterre Éric Magnier, directeur des grands projets de Pierre & Vacances, car on n’est que dans une première phase de défrichement, voire d’abattage d’arbres, qu’il faut achever en hiver, pour minimiser les risques pour la biodiversité ».
« Le mois de novembre a été très chaud, réplique Stéphane Péron, président de l’association des opposants Pour les Chambarans sans Center Parcs (PCSCP), et toute la faune était encore là. Pourtant, les travaux ont démarré, sans aucune réflexion sur les conséquences environnementales ».
- Zone Nord-Ouest. Le déboisement est largement entamé. -
Des photos prises par des militants le 19 novembre, depuis un ballon dirigeable, témoignent de la quantité d’arbres abattus : au mois une moitié de la zone Nord-Ouest a déjà été rasée. Des abattages sont aussi visibles dans la zone Nord-Est.
Les opposants ont indiqué l’avancement des travaux dans une carte : 28 hectares de bois ont déjà été abattus, soit 35 % du total prévu.
La commission d’enquête émet, à l’unanimité, un avis défavorable
À la place de la forêt, la multinationale touristique espère fonder une véritable ville de presque six mille habitants, déployée sur deux cents hectares. De fait, le projet prévoit la construction d’environ mille cottages, le défrichement de plus de quatre-vingt-dix hectares, l’imperméabilisation de trente-et-un hectares et la dégradation de soixante-deux hectares de zones humide.
Ce parc de vacances, déplorent les opposants, représente une menace pour de nombreuses espèces protégées, et aura une consommation en eau potable équivalente à celle d’une ville de plus de sept mille habitants (dans une zone où les épisodes de sécheresse ne sont pas rares).
Les arguments des militants avaient été confortés, en juillet, quand la commission d’enquête publique « Loi sur l’eau » expliquait qu’« à l’examen de toutes les observations, tant écrites qu’orales, du public [...] et après avoir auditionné des experts », elle n’avait pu qu’émettre, unanimement, « un avis défavorable au projet ».
« Nous avons bien réfléchi sur les problèmes soulignés par les trois commissaires, avec lesquels on a eu des échanges. On a écouté les remarques, on a répondu aux doutes, on a modifié et amélioré le projet », soutient Éric Magnier.
Mais selon Jean-Marie Brun, habitant de Roybon et membre de l’association PCSCP, « l’un des points majeurs remarqués lors de l’enquête publique n’a pas du tout été changé : soixante-seize hectares de zone humide seront détruits ou impactés. » « En tout cas, ils disent avoir amélioré le dossier : et bien s’ils ont vraiment apporté des changements importants, il faudrait une deuxième commission d’enquête publique pour évaluer le nouveau projet », ajoute M. Péron.
Sur ce point, comme sur la protection des espèces vulnérables, l’association PCSCP s’est engagée dans une bataille légale : deux recours sont en train d’être déposés auprès du tribunal administratif contre la décision du préfet de l’Isère.
Argent public et emplois précaires
Dans l’attente d’une réponse des juges, Pierre et Vacances et la mairie de Roybon accélèrent les travaux, en s’appuyant sur un soutien politique presque unanime.
« Ici, on est dans une zone économiquement en difficulté, avait expliqué lors d’une manifestation fin octobre, Myriam Laïdouni-Denis, porte-parole des Verts de l’Isère, le seul parti qui s’oppose au projet, et ils ont décidé de financer le parc aquatique avec quatre-vingt millions d’euros. Il s’agit d’argent public qui a été soustrait au tourisme local et qu’on aurait pu utiliser autrement ».
Les premiers sept millions ont déjà été débloqués par le Conseil général de l’Isère. « L’argent public, réponde Magnier, sera utilisé pour des ouvrages comme des réseaux de gaz, eau potable et électricité, qui sont externes au site. Ils desserviront bien évidemment le Center Parcs, mais pas uniquement. Et puis, par exemple, cela va permettre de moderniser le système hydrique, qui présente aujourd’hui des fuites importantes ».
Les partisans du parc misent sur des centaines de nouveaux emplois créés d’abord par le chantier et ensuite par le village-vacances. « Ils disent qu’ils vont apporter localement de la prospérité, ajoute Péron, mais la moitié des emplois proposés seront à 240 euros par mois pour neuf heures de travail par semaine. Est-ce le futur qu’on imagine pour nos enfants ? »
Au contraire, Magnier est convaincu que le Center Parcs donnera une bouffée d’oxygène à l’économie locale : « On va créer sept cents emplois, dont la plupart à durée indéterminée, car nous serons ouverts toute l’année. Au Center Parc, dans le département de la Moselle, 91 % des employés viennent de la région. Et pour le nouveau parc dans la Vienne, on a reçu mille candidatures. Ces emplois, évidemment, conviennent aux habitants ».
Désobéissance civile
Mais pour l’instant la réaction des Isérois n’a pas été aussi accueillante que le prétent Pierre et Vacance : une partie des opposants, dont plusieurs habitants des communes du plateau de Chambaran, s’est déjà lancée dans des actions de sabotage. Des piquets de balisage du chantier et des petits grillages ont été enlevés par des groupes, sur le terrain.
« On a tout essayé, a expliqué une militante interrogée par France 3, les gens ont suivi le processus démocratique et ils se sont rendus compte que cela n’a servi à rien. Maintenant il faut lutter avec d’autres moyens ».
Lire aussi : Center parcs 1- démocratie 0. Dans l’Isère, le béton veut détruire deux cents hectares de forêt
Source : http://www.reporterre.net/spip.php?article6615