Les agriculteurs représentent 6% des redevances annuelles des agences de l'eau
Le 11 février 2015 par Stéphanie Senet
Pollueurs non payeurs, exonérations de redevance non justifiées, conflits d’intérêts, manque de transparence et de représentativité… Les 6 agences de l’eau ne sont pas près d’oublier le rapport annuel que la Cour des Comptes a publié ce 11 février. Les magistrats étrillent leur gestion et plus largement la politique hexagonale de l'eau.
Chiffres à l’appui, les magistrats de la rue Cambon énumèrent les nombreux dysfonctionnements qu’ils ont constatés au sein de ces établissements publics, en charge de financer la politique de l’eau en France. Ce qui n’est pas une mince affaire puisque les 6 agences ont déboursé 14,9 milliards d’euros d’aides entre 2007 et 2012.
Des pollueurs non payeurs
Le premier problème provient des contributions. «Les redevances sont largement déconnectées du principe pollueur-payeur», regrette la Cour. Ce sont en effet les usagers domestiques qui sont les plus sollicités. Ils ont versé en moyenne 87% des redevances en 2013, mais les agriculteurs seulement 6%, et les industriels 7%. Pour l’Agence de l’eau Seine-Normandie, cette proportion s’élève même à 92% et dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) à 88%. Et le problème s’aggrave au fil du temps puisque les versements des citoyens ont augmenté de 25% entre 2007 et 2013. Si la hausse générale des contributions a pu se justifier par la mise aux normes des stations d’épuration, au début des années 2000, ce n’est plus le cas dans le cadre des 10e programmes (2013-2018). Pourtant, les rééquilibrages sont à peine perceptibles.
Des éleveurs chéris
La critique est d’autant plus fondée que la France risque une très lourde amende financière suite à sa condamnation, le 4 septembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne, pour manquement à la directive de 1991 contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Non seulement les redevances payées par les agriculteurs ne correspondent pas aux nuisances provoquées sur l’état des eaux, mais de surcroît elles ont baissé pour les éleveurs suite à la loi Lema[1] . Entre 2007 et 2013, leurs contributions ont ainsi diminué de 84% dans le bassin RMC et de 58% dans le bassin Loire-Bretagne. Sur le plan national, ils ont versé 3 M€ en 2013 alors que le coût annuel de nettoyage des algues vertes sur le littoral représente au minimum 30 M€ par an selon le CGDD[2] . Il est donc urgent de majorer le taux de leurs redevances, en particulier dans les zones vulnérables aux nitrates. Par ailleurs, la redevance pour pollutions diffuses ciblant les agriculteurs est seulement répercutée sur le prix de vente des produits phytosanitaires (de 5 à 6%) tandis que les engrais azotés n’y sont pas soumis.
Les redevances de l’industrie en baisse
Comme pour les agriculteurs, les redevances acquittées par les industriels se montrent insuffisantes. Elles ont diminué de 15% en moyenne entre 2007 et 2013 suite à leur réforme par la Lema car les montants sont désormais calculés sur la base des rejets dans les cours d’eau après traitement par les stations d’épuration, et non plus en fonction des rejets à la sortie des installations industrielles. De petits sites sont dès lors exonérés, ainsi que des activités saisonnières, comme le secteur viticole.
Une suite d’incohérences
Les magistrats relèvent aussi l’absence de suivi régulier des rejets, pourtant obligatoire, sur plusieurs sites industriels, comme les centrales nucléaires de Chooz et de Fessenheim ou la centrale thermique de Blénod. Ils conseillent aux agences de l’eau de les sanctionner par une taxation d’office majorée de 40%. Autre incohérence: l’usine Alteo de Gardanne, qui rejette des boues rouges en Méditerranée depuis 1966, a vu sa redevance annuelle pour «toxicité aigüe» diminuer de 13 M€ à 2,5 M€ en 2014 en raison d’un amendement parlementaire adopté dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et d’un faible taux décidé par l’Agence de l’eau RMC.
Problèmes de représentativité et de transparence
Faiblement contributeurs, les usagers professionnels (agriculteurs et industriels) s’avèrent au contraire sur-représentés dans les instances de décision. Selon les agences de l’eau, ils représentent de 55% à 73% des membres des conseils d’administration. Ce sont pourtant ces instances qui décident directement de l’attribution des aides financières ou de la représentativité des commissions créées ad hoc.
Qui touche quoi? Impossible de le savoir de façon exhaustive. Selon la Cour des comptes, seules trois agences diffusent des informations sur les bénéficiaires (Rhin-Meuse, Adour-Garonne et Artois-Picardie). Pour le reste, c’est le flou total, alors même que le dispositif d’attribution favorise les conflits d’intérêts. Il n’est pas rare qu’une entreprise, une association ou une collectivité siégeant au conseil d’administration bénéficie elle-même de subventions, parfois très élevées, de l’agence de l’eau. Pour clore le tableau, l’attribution de ces aides est rarement contrôlée. Il est également impossible de connaître ses effets sur l’état des milieux aquatiques.
En réaction à ce flot de critiques, la ministre de l’écologie lance la réalisation d’un état des lieux des versements selon le type d’acteurs et annonce que la liste des bénéficiaires des aides relevant des 10e programmes sera publiée sur internet. Elle promet aussi un décret, avant l’été, «pour prévenir les conflits d’intérêts».
[1] Loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006
[2] Commissariat général au développement durable