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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 10:08

LE MONDE | 25.05.2015 à 15h51 • Mis à jour le 26.05.2015 à 20h55 | Par Stéphane Foucart

 

Les adversaires du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) prétendent que la signature du texte entraînera une révision à la baisse des réglementations sanitaires et environnementales européennes. Ils ont tort. Et leur erreur n’est pas de pécher par excès de suspicion, mais par excès de naïveté. C’est le sens de la déclaration au Guardian du député européen Bas Eickhout qui assure, dans l’édition du 22 mai du quotidien britannique, que « l’affaiblissement des standards européens en raison du TTIP n’est pas une perspective pour l’avenir, c’est une réalité aujourd’hui même, au moment où nous parlons ».

 

Que diable l’eurodéputé écologiste a-t-il bien pu vouloir dire ? Comment l’accord transatlantique, toujours en négociation, pourrait-il avoir déjà produit des effets ? Il faut, pour le savoir, lire les rapports rendus publics la semaine passée par deux organisations non gouvernementales (ONG), Corporate Europe Observatory (CEO) et Pesticide Action Network (PAN). Les deux ONG ont cherché à comprendre par quel tour de passe-passe la Commission européenne avait fait disparaître – fût-ce momentanément – son projet de réglementation des perturbateurs endocriniens (PE).

 

Lire aussi : Perturbateurs endocriniens : l’Europe irresponsable

 

Pour rappel, les PE sont des substances capables d’interférer avec le fonctionnement du système hormonal. Elles peuvent, de ce fait, produire des effets indésirables à des niveaux d’exposition très faibles, non pris en compte par la réglementation actuelle. On en trouve dans les meubles, contenants alimentaires, pesticides, cosmétiques, etc. Pour une grande part des chercheurs travaillant sur le sujet, ces substances contribuent à l’augmentation d’incidence de l’infertilité, de cancers hormono-dépendants (sein, prostate, etc.), de troubles du développement ou du métabolisme…

 

En 2009, après quinze ans d’innombrables publications scientifiques, Bruxelles a décidé d’établir des critères permettant d’identifier et de réglementer ces substances. La date butoir était fixée à décembre 2013. Mais en décembre 2013, il ne s’est rien passé. La publication des critères définissant ces PE a été renvoyée aux calendes grecques, suspendue à la conduite d’une étude d’impact économique…

 

Les documents mis au jour par les deux ONG montrent de manière convaincante comment ce travail de sape a été couronné de succès.

 

Que s’est-il passé entre début 2009 et fin 2013 ? Pour le savoir, CEO et PAN ont toutes deux formulé une demande d’accès aux documents internes de la Commission. Elles ont épluché des centaines de courriels, de mémos, et ont reconstruit, dans deux rapports distincts et indépendamment l’une de l’autre, la trame des événements. Le résultat, estime Bas Eickhout, est « incroyable ».

 

En 2009, la direction générale (DG) Environnement de la Commission est mandatée pour établir les fameux critères définissant les PE. Elle commet un groupe de scientifiques, conduit par le professeur Andreas Kortenkamp (Brunel University, Royaume-Uni), pour établir l’état de l’art sur le sujet. Le rapport, publié en janvier 2012, s’attire aussitôt les foudres des secteurs de la chimie et des pesticides, qui l’attaquent et inondent de leurs propres expertises d’autres services de la Commission.

 

Les documents mis au jour par les deux ONG montrent de manière convaincante comment ce travail de sape a été couronné de succès. La DG Environnement a vu son travail systématiquement entravé et court-circuité par d’autres services de l’exécutif européen. Et ce, quand bien même la publication, début 2013, d’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé et du Programme des Nations unies pour l’environnement, est venue confirmer la qualité scientifique de son travail. Les critères de définition des PE qu’elle avait préparés ont finalement été enterrés.

 

Implication de l’industrie américaine

Tout cela était déjà plus ou moins connu, mais sans un tel luxe de détails. Ce qui ne l’est pas, c’est l’implication de l’industrie américaine dans la démolition du projet européen. L’enquête de CEO – conduite par la journaliste Stéphane Horel, également auteure d’Endoc(t)rinement, un remarquable film d’investigation sur le sujet – montre que, dès mars 2013, d’intenses pressions sont venues, depuis l’autre côté de l’Atlantique, peser sur Bruxelles. Car la négociation du TTIP est aussi une discussion sur les normes et les standards : une nouvelle et ambitieuse réglementation européenne entraverait évidemment la circulation des biens de part et d’autre de l’Atlantique.

 

Début mars 2013, le lobby américain des pesticides (CropLife America) et celui de la chimie (l’American Chemistry Council) font passer au secrétariat général de la Commission, par le truchement de leurs consultants, le message selon lequel la réglementation escomptée « apparaît en contradiction avec les négociations américano-européennes en vue d’un TTIP ». Quelques jours plus tard, une délégation de CropLife America est reçue par le secrétariat général.

 

Tout au long de juin 2013, les contacts entre les lobbyistes de l’industrie américaine, leurs homologues européens et plusieurs services de la Commission s’enchaînent à un rythme inédit, abordant la question des PE : une réglementation stricte ruinerait la perspective du TTIP.

 

Déjà inondé de fausses controverses scientifiques et d’implorations de l’industrie européenne, le secrétariat général de la Commission finit par demander, début juillet, que la publication des critères « soit soutenue par une étude d’impact, incluant une consultation publique »,notamment en raison « des impacts potentiels sur l’industrie chimique et le commerce international ». Dès lors, la date butoir de décembre 2013 est abandonnée.

 

Et maintenant ? La Commission Juncker a enfoncé le clou. Elle a désinvesti la DG Environnement de son rôle moteur dans la construction de la réglementation, qui ne verra pas le jour avant 2017. Sous quelle forme ? Les paris sont ouverts.

 

Lire la synthèse : Traité transatlantique : Européens et Américains veulent « intensifier » les négociations


 

Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/25/l-europe-perturbee-par-les-hormones_4640121_3232.html

 

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