Le projet d’interconnexion électrique, en partie sous-marine, devrait doubler les capacités d’échange entre l’Espagne et la France à l’horizon 2025. Pourtant, l’utilité d’un tel projet est questionnée par les associations de défense de l’environnement.
Téo Cazenaves|mediabask
Le projet d'Interconnexion par le Golfe de Gascogne porte sur 370 km, de Cubnezais, près de Bordeaux, à Gatika, commune proche de Bilbo. © Inelfe / RTE
Le projet d’électrification du Golfe de Gascogne se heurte aux interrogations de plusieurs observateurs : aux critiques formulées par les associations de défense de l’environnement (…) s’ajoutent celles de Loïc Prud’homme, député France Insoumise de la 3e circonscription de Gironde
C’est un défi d’ampleur et une épreuve technique. La ligne d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne doit doubler les capacités d’échange actuelles, pour les porter à 5 000 MW. Le chantier, dont la construction est prévue de juin 2020 à octobre 2024, afin d’être inauguré courant 2025, devrait à terme permettre d’alimenter 5 millions de foyers. Longue de 370 kilomètres, la ligne comprendrait 280 kilomètres de liaison sous-marine en courant continu et constituerait la première interconnexion en partie sous-marine entre les deux pays. Porté par INELFE, la société commune formée en octobre 2008 par RTE, la structure chargée de la gestion du réseau de transport d’électricité en France et son homologue espagnole REE, le projet, chiffré à 1,75 milliard d’euros, a obtenu le 26 janvier 2018 de la Commission Européenne la subvention la plus importante jamais octroyée à un projet d’interconnexion au sein de l’Union européenne : 578 millions d’euros, soit 30 % du coût total estimé.
Le tracé, aux deux extrémités de la liaison sous-marine, prévoit quatre-vingts kilomètres de liaison souterraine côté français et dix kilomètres en Espagne, pour atteindre les stations de conversion de Cubnezais, en Gironde, et de Gatika, au nord-est de Bilbo. Ces stations permettront de transformer le courant continu traversant les 370 kilomètres de l’interconnexion en courant alternatif, afin de relier le tout aux réseaux électriques des deux pays. 70 % du tracé serait ainsi situé en territoire français.
La capacité d’échange de 2 200 MW annoncée pour le projet du Golfe de Gascogne viendrait compléter les 1 400 MW de l’interconnexion Baixas-Santa Llogia, au budget de 700 millions d’euros, subventionné à hauteur de 225 millions d’euros par l’UE. La ligne de 64,5 kilomètres, inaugurée le 20 février 2015, traverse la frontière franco-espagnole par le massif pyrénéen des Albères. A l’époque, des associations de riverains s’étaient déjà montrées préoccupées par les risques sanitaires du champ électromagnétique.
Pour justifier l’intérêt d’un projet d’une telle ampleur, RTE met en avant plusieurs arguments. L’augmentation de la capacité d’échange permettrait tout d’abord de gérer les pics de consommation imprévus causés par les intempéries, la fluctuation météorologique ou divers incidents techniques. Le gestionnaire du réseau évoque notamment l’épisode de l’hiver 2016-2017, au cours duquel la France a bénéficié de 2 500 MW espagnols pour couvrir les pics de consommation liés aux basses températures observées et fournir en électricité deux millions de foyers.
En outre, la structure assure également une baisse probable du coût pour le consommateur, qui pourra disposer d’une “électricité au meilleur prix car la production des deux pays sera en partie mutualisée”. Enfin, l’intérêt écologique du projet résiderait dans la possibilité de transport élargi des énergies renouvelables en Europe, à l’instar de celle produite au sein du parc éolien espagnol. Selon RTE, “la nouvelle ligne électrique [contribuera] à la compétitivité des énergies renouvelables et [favorisera] la conversion écologique de notre production d’électricité. Un réseau électrique plus efficace réduira ses émissions de CO2”. RTE se félicite d’ailleurs que l’Union européenne ait qualifié l’électrification du Golfe de Gascogne comme Projet d’Intérêt Commun. L’organisme souligne l’inscription du projet dans les objectifs climatiques européens pour 2030 - la réduction de 40 % des émissions de CO2 par rapport à 1990 et l’augmentation de la part des énergies renouvelables à 27 % dans la consommation énergétique – sans que le rôle précis de l’interconnexion atlantique dans ces avancées écologiques ne soit précisément quantifié.
En définitive, l’objectif principal semble être le renforcement de la solidarité énergétique entre la France et l’Espagne : selon RTE, cette nouvelle interconnexion serait la garantie d’une électricité “plus sûre, moins chère et moins polluante”.
Pourtant, le projet d’électrification du Golfe de Gascogne se heurte aux interrogations de plusieurs observateurs : aux critiques formulées par les associations de défense de l’environnement - telles que le CADE, les Amis de la Terre des Landes, ou encore, côté espagnol, le Réseau de Soutien Mutuel en réponse aux Mégaprojets Énergétiques -, s’ajoutent celles de Loïc Prud’homme, le député France Insoumise de la 3e circonscription de Gironde. Plus surprenant, le projet est également soumis à caution par Philippe Ladoucette, l’ancien président de la Commission de Régulation de l’Énergie.
Les associations de défense de l’environnement questionnent la pertinence d’un tel projet : le CADE relève que la capacité de production installée en France (129 MW) et en Espagne (103 GW) couvrent respectivement 1,6 fois et 2,6 fois les consommations nationales. Les Amis de la Terre des Landes soulignent quant à eux la stabilité de la consommation électrique sur les six dernières années : “une longue période de consommation et de production stables ne justifie pas la création de structures d’échanges supplémentaires”. Pour RTE, néanmoins, les potentiels aléas climatiques et risques techniques, ainsi que la faible prévisibilité de la consommation à venir justifient la construction de la nouvelle interconnexion.
Enfin, l’intérêt écologique du projet est vigoureusement contesté par le CADE. SI RTE affirme que l’interconnexion permettra “le renforcement de l’intégration des énergies renouvelables comme source de production d’énergie propre en réduisant la dépendance énergétique extérieure”, en facilitant notamment le transport de l’électricité produite par le parc éolien espagnol, le Collectif des associations de défense de l’environnement estime qu’elle constituera un obstacle à la production d’énergies propres en France, puisqu’elle pourra être importée d’Espagne. RTE, en tant que gestionnaire de réseau, conteste l’argument et explique que le réseau permettra d’échanger de l’électricité, “quel que soit le mode de production”.
Selon le député Loïc Prud’homme, “cette ligne va surtout permettre de vendre à l’Espagne le surplus de la centrale nucléaire de Blaye. C’est la seule solution que le lobby du nucléaire a trouvée pour essayer de se rendre indispensable au niveau européen alors que l’opinion publique française souhaite clairement une sortie de ce système dangereux pour nous et pour les générations futures”. Dans le même sens, le CADE évoque le risque de “pure spéculation” des opérateurs privés espagnols, qui pourront alors s’approvisionner en énergie d’origine nucléaire à bas coût et profiter d’une marge confortable.
Plus surprenant, la Commission de Régulation de l’Energie soulignait en juin 2016 son indécision : “En ce qui concerne le projet d’interconnexion électrique Golfe de Gascogne entre la France et l’Espagne, la levée des incertitudes techniques est un préalable indispensable avant de pouvoir se prononcer sur son opportunité au regard des bénéfices et des coûts qu’il génèrerait”. Son ancien président, Philippe Ladoucette, évoquait à l’époque dans le journal Les Echos un projet “totalement prématuré” : “il n'y a aucune visibilité de la faisabilité technique de l'opération, et il y a un emballement de la Commission européenne, avant même d'avoir un rapport coût-efficacité du projet”. En février 2017, l’ancien préfet de Paris, Jean-François Carenco, remplace Ladoucette à la tête de la CRE. Depuis, les doutes du régulateur semblent s’être dissipés : le 26 janvier 2018, la CRE s’est félicitée “du soutien financier européen historique accordé à cette nouvelle interconnexion électrique entre l’Espagne et la France”, qui “s’inscrit dans la construction de l’Europe de l’Energie”, selon Jean-François Carenco.
Garantie d’une électricité “plus sûre, abordable et durable” ou nouveau grand projet inutile et imposé ? La publication, le 7 février 2018, du bilan final de la concertation préalable devrait donner de nouveaux éléments aux partisans et aux détracteurs du projet d’interconnexion du Golfe de Gascogne.
Dix pourcent d’interconnexion : “fétiche” ou impératif écologique ?
L’objectif des 10 % d’interconnexion, entériné par la Conseil Européen en mars 2002, pose lui aussi question : puisqu’il est déjà atteint par la France, il ne constitue pas, pour le CADE, une justification valable de l’intérêt du projet. Le député France Insoumise de Gironde, Loïc Prud’homme, s’oppose dans un communiqué publié le 9 janvier 2018 à “un chiffre annoncé tel un fétiche, pour satisfaire l’Europe des Marchés”. “EDF dépense 1,75 milliards d’euros pour satisfaire le libéralisme forcené de l’échange de l’électricité au niveau continental”, poursuit-il. RTE met en avant la nécessaire solidarité énergétique : “la France est le plus proche voisin de l’Espagne et est donc le partenaire naturel de l’Espagne pour l’interconnecter avec le reste de l’Europe”.
Les étapes du projet
L’octroi par l’UE du qualificatif de Projet d’intérêt commun impose à l’INELFE, acronyme pour INterconnexion ELectrique France-Espagne, les missions d’information et de participation du public.
Du 4 octobre 2017 au 18 janvier 2018, lors de la phase de concertation préalable, douze ateliers et huit réunions publiques ont ainsi été organisés en Nouvelle-Aquitaine. Au Pays Basque Nord, c’est dans la ville de Saint-Jean-de-Luz que s’est tenue le 27 octobre dernier l’une de ces huit réunions publiques. Sur la même période, il était possible de transmettre ses interrogations via la plateforme numérique d’INELFE.
Le 2 février 2018, RTE a dévoilé sa proposition de “fuseau de moindre impact”, soit la zone la moins néfaste pour l’environnement et les activités humaines : selon le gestionnaire, la plage de la Cantine Nord, située sur la commune girondine du Porge, est le point d’atterrage idéal de la ligne. La seule difficulté relevée par RTE consiste en la présence d’une zone classée Natura 2000 à proximité du lieu envisagé. Le bilan final de la consultation publique devrait être publié le 7 février.
Enfin, en mars, la proposition de fuseau de moindre impact devra être validée par le préfet de Gironde et soumise au ministre en charge de la Transition énergétique, Nicolas Hulot.
A compter d’octobre 2018 – date de fin de la concertation -, le projet sera soumis à enquête publique. En cas de validation, les travaux devraient commencer en 2022.