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29 mars 2018 4 29 /03 /mars /2018 10:20

 

 

 

Publié le 21 mars 2018 par werdna01

Siné Mensuel – mars 2018 – Antoine Lopez –

Les normes, c’est comme le cholestérol, il y a les bonnes et les mauvaises. Les unes protègent le consommateur. Les autres sont utilisées par les lobbyistes de tout poil et peuvent menacer une profession, comme les agriculteurs.

La face sombre des normes

Normes pour voir le droit de s’installer paysan, normes pour la qualité du lait, pour la taille des fruits et légumes, pour les poulaillers, pour les taux d’azote, pour les buses de pulvérisation des pesticides, pour les vêtements, normes à remplir pour toucher les subventions… Chimiques, sanitaires, environnementales, commerciales, bien-être animal, les femmes et les hommes de la terre en ont plein le dos !Derrière chaque norme, il y a le contrôleur qui bien trop souvent tire un plaisir tyrannique à exiger une application pointilleuse des textes de loi. Car les normes découlent des lois et les lois des rapports de force sociaux. 

 

Celles qui protègent…

Certes, il y a les bonnes normes, celles gagnées de haute lutte par les scientifiques (sur les doses létales de certains produits), par les consommateurs (sur les dates limites de consommation des produits frais), par les politiques (sur ce qui délimite le bien public et le privé) mais aussi les normes imposées par les lobbies économiques ou les technocrates (le « façonné ici » masquant les ingrédients venus d’ailleurs). Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. Par exemple, en agriculture, les normes d’installation empêchent n’importe qui de faire n’importe quoi, mais le jeu des conditions d’accès aux subventions sert aussi à orienter le paysan vers l’agriculture industrielle.

 

…et celles qui tuent

La face sombre des normes

Aujourd’hui, cette avalanche de normes étrangle ce qui reste de petits paysans. Extermination économique de celles et ceux qui ne peuvent faire les investissements dans les « normes européennes » pour faire de la transformation fermière (fromages, charcuterie, confitures, conserves). Mort physique quand le suicide apparaît comme seule issue pour mettre un terme au harcèlement administratif. Mort sous les balles des gendarmes, comme Jérôme Laronze, éleveur bovin de Saône-et-Loire abattu le 20 mai 2017 pour s’être opposé à un énième contrôle sanitaire et avoir voulu forcer le barrage policier dressé pour l’arrêter. Il refusait le bouclage des animaux, les « bordereaux de circulation », la prophylaxie imposée, etc. Aucun syndicat agricole n’a pris sa défense, ni même protesté contre l’homicide par les forces de l’ordre. Selon la musique propre à chaque organisation, on a déploré la détresse de l’individu face à l’administration, le « drame de la solitude », l’humiliation d’être contrôlé, la « fragilité psychologique ». On a revendiqué d’être prévenu à l’avance des contrôles ou de se faire assister. Mais aucune contestation sur le fond.

 

La mort tragique de Jérôme Laronze, à 37 ans, a cependant fait bouger quelques paysans révoltés. Ils viennent de lancer un « collectif » qui appelle au refus du « système normatif » qui les élimine. Yannick Ogor (1)est l’un d’eux. Éleveur de brebis et maraîcher en Bretagne, ancien animateur de la Confédération paysanne, il a été contrôlé à « 100 % d’anomalie » : aucune de ses brebis ne porte de boucle d’identification, pas de cahier d’élevage ni d’agnelage, pas de bordereaux de circulation des animaux, pas de facture, rien qui ne puisse alimenter la traçabilité exigée par l’État. Une résistance qui va jusqu’à demander sa radiation administrative du grand registre des paysans « administrés ». pour lui et ses camarades, « la gestion des normes ne sert qu’à écrémer la population agricole pour concentrer la production et les profits. Si la dégradation de notre environnement et de notre santé est incontestable, les normes n’ont démontré ni leur nécessité, ni leu efficacité : aucune étude ne démontre le risque supposé des pratiques paysannes; aucun protocole industriel n’a empêché les crises : vache folle, algues vertes ou lasagnes de cheval. Bien au contraire, l’industrialisation de l’agriculture s’est accompagnée de l’usage massif de produits toxiques pour la nature en général et pour les humains en particulier. La dégradation de nos conditions ce vie est intimement liée au développement du modèle productiviste ».

 

Éradiquer les petits paysans

Ces normes et règles standardisent la production agricole comme on standardise celle des automobiles ou des brosse à dents. Elles exigent le respect des mêmes critères indépendamment de la diversité des terroirs, des conditions pédoclimatiques, des savoir-faire. Une ineptie qui, au-delà de la technocratie, révèle à Yannick Ogor « un système qui nous réduit à être de simples exécutant-e-s, dépossédé-e-s de nos cultures et outils de travail. Il nous asphyxie financièrement et administrativement et nous pousse à quitter nos fermes. Ainsi, la gestion par les normes est devenue le principal levier des politiques agricoles pour éradiquer les petites et moyennes fermes, au profit des grandes exploitations et des fermes-usines. Fort de ce constat, le collectif Hors normes se veut l’embryon d’un mouvement « établissant un rapport de force avec l’administration » en agissant par la désobéissance collective et l’action directe. Comme celle de ne pas laisser un paysan seul face à un contrôle.

 

(1) Yannick Ogor raconte son expérience et sa vision de paysan et de syndicaliste dans « Le Paysan impossible ».

 

La face sombre des normes

Paru le 22/06/2017 aux Éditions du bout de la ville – 250p. 12 €

 

Comment sortir de la confusion politique qui frappe le monde agricole ? Comment en révéler les antagonismes et y assumer le conflit de classes ? Yannick Ogor, ancien animateur de la Confédération paysanne, éleveur et maraîcher en Bretagne, retrace la contestation agricole en France depuis soixante ans, ses tentatives et ses impasses. Mêlant récit autobiographique et Histoire, il revient aux racines de la question agricole, éclaire les lieux de pouvoir et les faux-semblants qui structurent l’alimentation des masses. Pour qu’on puisse enfin se départir de l’immuable et mensongère figure du « paysan » qui ne sert qu’à justifier l’asservissement de l’agriculteur à la logique industrielle.

 

 

Source : https://resistanceinventerre.wordpress.com/2018/03/21/la-face-sombre-des-normes/

 

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