Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 avril 2018 4 26 /04 /avril /2018 10:23

 

 

 

 Nicolas Casaux

 350.org et les énergies "renouvelables" : le greenwashing de la colonisation

Il y a quelques jours, j’ai regardé une vidéo [1] d’une discussion entre plusieurs jeunes figures de l’écologie relativement grand public, intitulée « Face à l’effondrement, continuer à se battre ? ». Parmi les intervenants qui prenaient part à cette discussion, on retrouvait Nicolas Haeringer, qui travaille pour la branche française de l’ONG internationale 350.org.

Ainsi que le suggère le titre de la vidéo, leur discussion tournait autour de l’effondrement à venir de la civilisation industrielle, sujet — relativement — popularisé par le livre Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens.

Dans cet ouvrage, les deux auteurs exposent en quoi la civilisation industrielle mondialisée, loin d’être une aventure pleine d’avenir, est vouée à s’autodétruire à court terme, dans les prochaines décennies. Et ce, pour de multiples raisons — pêle-mêle : la finitude des combustibles fossiles, des minerais et des métaux et des multiples ressources actuellement surexploitées par les nombreuses industries qui composent la société industrielle, les conséquences du réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre par l’industrie qui surexploite les énergies fossiles, les innombrables pollutions et destructions des milieux naturels liées au développement de la société industrielle, les instabilités politiques qui découlent et découleront des problèmes précédemment cités…

Le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens stipule que les énergies renouvelables ne sont en rien une solution, qu’elles reposent également sur un extractivisme insoutenable. On peut ajouter à cela le livre plus récent de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, qui expose en quoi leur développement précipite de nombreuses catastrophes écologiques à travers le globe (dont celles liées aux extractions de terres rares en Chine), et en quoi toutes les hautes technologies dépendent de catastrophes écologiques planétaires (extraction du coltan, du cobalt, etc., en Afrique et ailleurs). Et celui de Philippe Bihouix, L’âge des low tech, qui expose également le mythe de la croissance verte et ses conséquences écologiquement désastreuses. Ces trois livres proposent une critique partielle du mythe des énergies renouvelables comme solution aux problèmes auxquels la société industrielle est confrontée.

Une évaluation plus complète prendrait en compte le caractère antidémocratique des états modernes. Elle rappellerait que toutes les hautes technologies sont les produits de ces sociétés autoritaires (ou de cette société autoritaire mondialisée, puisque tous les États participent désormais d’un système économique global). Qu’il en va ainsi des technologies dites « renouvelables » (qui font partie des hautes technologies), qu’en plus de cela la production d’électricité (toutes origines confondues, soi-disant verte ou officiellement pas verte du tout) ne sert qu’à alimenter en énergie une société dont tous les autres aspects sont également anti-écologiques : même si l’énergie verte était vraiment verte, son utilisation, elle, ne l’est jamais : recharger un téléphone portable, regarder la télévision ou rouler dans une voiture grâce à une énergie hypothétiquement verte n’a rien d’écologique ; quid de la fabrication de la télévision, de la voiture, des routes, etc. ?

Mais revenons-en à la discussion précédemment mentionnée. Les différentes analyses des participants présentaient plusieurs points communs. Tout d’abord, leur critique sociale était très limitée. Les notions d’esclavage salarial ou d’esclavage moderne, le caractère antidémocratique de la société industrielle, son caractère intrinsèquement inégalitaire, coercitif, oppressif, ses dynamiques impérialistes et expansionnistes séculaires, etc., n’ont été que peu ou pas mentionnés. Par contre, ont été mentionnésle fait de faire son savon soi-même, de manger bio, de recycler, de ne pas manger de viande issue d’élevages industriels, et tous les autres avatars de l’écocitoyenneté.

L’ONG internationale 350.org, pour laquelle travaille Nicolas Haeringer, fait la promotion de toutes les énergies dites « vertes » et milite « pour un avenir 100% renouvelable ».

Cela explique sûrement pourquoi Nicolas Haeringer a évité de parler de la réalité des énergies vertes, quand bien même un autre participant, Mathieu Duméry (le « Professeur feuillage » de la web-série écolo éponyme), soulignait timidement leur caractère douteux. Cela explique aussi pourquoi Nicolas Haeringer ne s’est pas épanché sur le sujet de l’effondrement — ce concept basé sur le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui expose assez clairement le mythe des énergies renouvelables. Or, participer à une discussion sur le thème de l’effondrement, tandis qu’on travaille pour une ONG dont la principale activité consiste à promouvoir les illusions renouvelables dans le monde entier, une ONG qui ignore totalement le concept d’effondrement, la réalité de l’insoutenabilité complète de la société industrielle, c’est pour le moins étonnant.

***

La colonisation du continent africain

Changement de sujet, mais pour mieux y revenir. On peut faire remonter le début de la colonisation de l’Afrique par les puissances européennes au XVe siècle, avec le début de la traite négrière à destination de l’Europe. Traite négrière qui a ensuite pris son essor avec la colonisation de l’Amérique par les Européens, le massacre des Amérindiens, et le besoin d’esclaves (de main d’œuvre) des colons qui s’y établissaient.

Depuis cette époque, les puissances européennes (ces « races supérieures ») n’ont eu de cesse de « civiliser » les « sauvages » et autres « barbares » d’Afrique (ces « races inférieures »), ainsi que l’expliquait Jules Ferry en 1885 : « […] il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »

C’est d’ailleurs en 1885, lors de la Conférence de Berlin, que l’Afrique a été découpée, politiquement, en différents États, selon les ambitions hégémoniques des puissances européennes et non pas selon les identités et les volontés des populations locales (ainsi que le souligne Tiken Jah Fakoly dans sa chanson « Ils ont partagé le monde »).

Main dans la main, les puissances étatiques et les corporations européennes se sont appropriées le continent africain. Les nombreux peuples autochtones et leurs différentes cultures ont graduellement été soit décimés soit incorporés dans les sociétés (ou la société) que les colons y implantaient. Et après que la plupart des sociétés traditionnelles ont été éradiquées, et que les Européens ont imposé un peu partout sur le continent les structures sociales et culturelles qu’ils voulaient, une parodie de décolonisation a pris place, principalement au cours du XXe siècle.

En réalité, une forme plus subtile et plus insidieuse de colonisation voyait le jour, le néocolonialisme dont parlait Kwame Nkrumah[2]. La France, tout particulièrement, continuait à garder la main sur ses anciennes colonies à travers les mécanismes de la Françafrique (détaillés dans les travaux de François-Xavier Verschave, de l’association Survie, etc.).

Aujourd’hui, l’Afrique est toujours contrôlée et pillée par des forces extérieures au continent, dont, bien sûr, les puissances européennes, auxquelles s’ajoutent aussi la Chine, les USA et d’autres États, mais aussi des multinationales d’un peu partout (mais encore et surtout des multinationales des pays riches comme Shell, BP, Total, et ArcellorMittal) qui dévalisent ses ressources minières, pétrolières, forestières, qui accaparent ses terres arables, et ainsi de suite. Le tout avec l’aide des institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI, et la complicité des régimes fantoches du continent. Ce que décrit Tom Burgis, journaliste du Financial Times, dans un assez bon livre[3] intitulé The Looting Machine. Warlords, Tycoons, Smugglers and the Systematic Theft of Africa’s Wealth (en français : La machine à piller. Chefs de guerre, magnats, trafiquants et le vol systématique des richesses de l’Afrique) paru en 2015.

Ainsi, l’Afrique se trouve aujourd’hui, et peut-être plus que jamais, au cœur des dynamiques expansionnistes de la civilisation industrielle et du capitalisme mondialisé. La colonisation ne s’est jamais arrêtée. La décolonisation est restée lettre morte. Elle n’est qu’un concept creux et mensonger que brandissent ceux qui cherchent à justifier et à rationaliser la situation actuelle du continent. Ceux qui trouvent tout à fait normal et juste que l’Afrique et tous les Africains aient adopté un modèle de développement occidental, qu’ils soient montés dans le merveilleux train du « progrès », qu’ils aient été « civilisés », divisés en États, et tout ce qui s’ensuit. Ceux qui se fichent pas mal que tout ceci soit le résultat non pas de la volonté des peuples d’Afrique mais de celle des puissances coloniales qui ont ravagé et découpé et pillé le continent — et qui continuent.

***

Énergies renouvelables, greenwashing et nouvelle colonisation « verte »

Ce qui nous ramène au sujet initial de cet article, car c’est ici que le développement des énergies renouvelables entre en scène. La colonisation toujours en cours de l’Afrique — l’implantation de la société industrielle de consommation sur le continent — est désormais facilitée par le déploiement des énergies dites renouvelables qui permettent de fournir du courant assez facilement, même à des villages perdus dans la brousse, et donc de les relier au marché, de transformer leurs habitants en consommateurs.

Et qui se charge d’encourager les Africains à réclamer le déploiement des technologies « vertes » sur leur territoire ? L’ONG internationale 350.org, à travers une campagne d’un cynisme répugnant, intitulée « DeCOALonise Africa[4] » (en français : « Décoloniser l’Afrique », sauf que l’expression anglaise joue sur le fait que « coal » en anglais signifie « charbon », c’est-à-dire qu’en plus de « Décoloniser l’Afrique », ils entendent « Décharboniser l’Afrique »).

À travers cette campagne, l’ONG 350.org suggère que le « développement » de l’Afrique (à la sauce occidentale, comme partout) doit continuer — ce n’est même pas discuté, il s’agit pour eux d’une évidence — mais qu’il doit dorénavant se baser sur nos chères illusions vertes, et non pas sur le vilain charbon et sur les énergies fossiles qui étaient polluantes, mauvaises pour l’environnement (ce qu’elles sont évidemment, mais ce que sont aussi les énergies dites « renouvelables », au même titre que tout ce qui constitue le « développement », cette « croyance occidentale » qui n’est pas « autre chose que l’extension planétaire du système de marché », comme l’explique Gilbert Rist[5]).

Sur le site officiel de la campagne, on peut lire :

« À la manière du ”Partage de l’Afrique”, le développement du charbon et des énergies fossiles en Afrique est une nouvelle vague de colonisation entrepreneuriale qui profite aux corporations et aux super-riches. Toute nouvelle centrale au charbon engendrera des coûts immenses : des destructions environnementales locales, des impacts sur la santé des habitants, et une intensification du rythme et des impacts du changement climatique. »

Ce qui est exact. Même si c’est un peu tard pour se soucier des impacts des industries fossiles sur l’Afrique étant donné que cela fait des décennies que les multinationales de ce secteur pillent et ravagent le continent. Mais mieux vaut tard que jamais, pourrait-on croire.

Seulement, cette lutte contre le développement du charbon et des énergies fossiles n’en est pas vraiment une, dans les faits, elle correspond plutôt à un soutien au développement des énergies dites « vertes » dans l’espoir (absurde) que l’Afrique atteigne le fameux « 100% renouvelables » que nous promettent tous les apôtres du verdissement de la civilisation industrielle.

350.org est une ONG internationale qui a été créée de toutes pièces grâce à l’argent des Rockefeller (plus précisément, grâce à l’argent du Rockefeller Brothers Fund), ces chers philanthropes. Son financement dépend aujourd’hui majoritairement de fondations privées[6], dont la ClimateWorks Foundation, une fondation qui regroupe, entre autres, la David and Lucile Packard Foundation, la William and Flora Hewlett Foundation (HP, ça vous dit quelque chose ? Hewlett-Packard, une des principales multinationales de l’informatique) et la Ford Foundation (Ford, tout le monde connaît) ; et le Clowes Fund, Inc., lié à la Eli Lilly and Company, une immense multinationale de l’industrie pharmaceutique (le Prozac, c’est elle), 10e groupe pharmaceutique mondial par son chiffre d’affaires ; et la Silicon Valley Community Foundation, dont les membres du conseil d’administration travaillent chez Microsoft, eBay, Electronic Arts, etc. ; et le New Venture Fund, une fondation financée, entre autres, par la Rockefeller Foundation, par la fondation de Bill & Melinda Gates, par la Ikea Foundation, etc. ; et la Overbrook Foundation, créée et encore dirigée par la famille Altschul, dont l’actuel président, Arthur Altschul Jr., a travaillé, comme son père avant lui, pour Goldman Sachs, et pour un paquet de multinationales américaines dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, de la banque, etc. ; et la Tides Foundation, qui reçoit de l’argent de Warren Buffett, un des hommes les plus riches du monde, qui possède des investissements dans à peu près toutes les industries du monde, et aussi de George Soros, un autre milliardaire américain ; et de bien d’autres fondations liées à bien d’autres industries et à bien d’autres magnats de la finance.

Si tous ces admirables philanthropes — qui font partie des « super-riches » que dénonce la campagne de 350.org — financent directement ou indirectement cette ONG, c’est parce que son activité ne menace en rien leurs activités. En effet, nombre d’entre eux investissent d’ores et déjà dans les industries du solaire, de l’éolien, et dans toutes les industries des illusions vertes (en Afrique, de nombreuses centrales solaires sont construites par Vinci, Total, etc., les « renouvelables » sont une affaire juteuse pour les grands groupes industriels, ou pour de nouveaux groupes industriels), et tous tireront profit de la continuation du « développement » de l’Afrique — qui correspond, rappelons-le encore, à l’intégration de toute l’Afrique dans la civilisation industrielle planétaire, celle-là même qui est vouée à s’effondrer dans un futur relativement proche du fait de son insoutenabilité complète.

Mais en attendant, ce qui se déroule actuellement en Afrique, et ce que les énergies dites « renouvelables » servent désormais à appuyer — encore une fois, non pas à la place des énergies fossiles mais en plus — relève toujours de la colonisation, bien que la novlangue civilisée préfère parler de « développement[7] ».

C’est-à-dire que sous couvert d’un imaginaire de « décolonisation » mensonger, l’ONG 350.org encourage la continuation de la colonisation du continent africain. Une véritable décolonisation impliquerait le départ des multinationales de tous les secteurs (pas seulement de celles du secteur des industries fossiles), l’arrêt du pillage de l’Afrique par les puissances corporatistes et étatiques, la réappropriation par les Africains des terres qui sont les leurs afin qu’ils recouvrent leur autosuffisance, à travers une véritable souveraineté, individuelle et communautaire — ce que beaucoup réclament[8].

Mais, bien sûr, les ultra-riches capitalistes qui financent 350.org ne veulent pas de cette décolonisation-là. Celle qu’ils promeuvent, qui n’est en réalité qu’une continuation de la colonisation, mais défendue par de nouveaux arguments « renouvelables » et « verts », leur permet et leur permettra d’engranger toujours plus de profits. En apportant l’électricité ici et là en Afrique, grâce aux énergies pas vertes comme grâce aux technologies « vertes » (éoliennes, panneaux solaires, etc.), qui sont plus simples à implanter, ils permettent à des Africains d’acheter les appareils qui vont avec, smartphones, télévisions, lecteurs DVD, de développer des pratiques et toutes sortes d’activités industrielles et marchandes, etc[9] — « l’extension planétaire du système de marché » dont parle Gilbert Rist.

Dans sa série d’articles intitulée « Traversée d’une Afrique bientôt électrique », que j’examine dans cet autre article[10], le journal capitaliste le plus connu de France, Le Monde, expose cela de manière on ne peut plus significative. Par exemple, en rapportant les propos d’un certain William Kebet : « Quand nous connectons des clients au mini-réseau, nous leur proposons d’acheter des appareils ménagers : télé, frigo, micro-ondes, explique Anderson. Nous voulons qu’ils s’habituent à utiliser l’électricité avec des outils modernes. Plus ils en consomment, plus nous augmentons notre bénéfice. » Ou encore ces propos d’un autre protagoniste : « De plus en plus de gens veulent la lumière, la musique, les films. Ils découvrent les avantages de l’électricité, les rêves qu’elle porte. […] Désormais on peut regarder les nouvelles tous les jours à la télé. »

Dans un article de la BBC intitulé TV from the sun: « Now I am connected to the whole world » (en français : Télévision solaire : « Maintenant, je suis connecté au monde entier »), on apprend que des milliers de foyers africains, non connectés au réseau électrique, notamment au Kenya, peuvent désormais quand même regarder la télévision grâce à un kit solaire vendu par la marque Azuri, comprenant une antenne satellite qui leur permet d’accéder à un bouquet de 50 chaînes ! N’est-ce pas merveilleux ? C’est en cela que les panneaux solaires photovoltaïques permettent plus simplement de tous nous transformer en consommateurs de hautes technologies : pas besoin de réseau électrique et de toutes ses infrastructures (câbles, pylônes, etc.).

Et dans un récent article du Monde diplomatique intitulé « Batailles commerciales pour éclairer l’Afrique[11] », dont le sous-titre lit : « Fermes éoliennes, barrages, centrales solaires, géothermiques ou nucléaires… Le marché de l’énergie se développe sur tout le continent noir, suscitant la convoitise des géants mondiaux de l’électricité, mais aussi de certaines entreprises africaines », Aurélien Bernier écrit :

« On ne compte plus les initiatives destinées à alimenter l’Afrique en électricité. En 2012, les Nations unies inaugurent le dispositif Énergie durable pour tous, qui vise à fournir, d’ici à 2030, un accès universel aux sources modernes de courant, avec une priorité naturellement donnée à l’Afrique. En juillet 2013, c’est au tour du président américain Barack Obama de lancer, lors d’un voyage en Tanzanie, le plan Power Africa (Énergie pour l’Afrique), en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale. Ce programme piloté par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) propose une expertise technique et juridique, des prêts et des outils financiers pour développer des projets durables… par le biais d’entreprises américaines. En octobre 2015, à la veille de la conférence de Paris sur le climat (COP21), le groupe des Vingt (G20) organise sa toute première réunion des ministres concernés, qui annoncent un plan d’accès à l’énergie pour l’Afrique subsaharienne. La même année, l’ancien ministre de l’écologie français Jean-Louis Borloo a créé une fondation, Énergies pour l’Afrique, qui vise à « connecter 600 millions d’Africains à l’électricité d’ici à 2025 ». De prestigieux partenaires apparaissent sur son site Internet : Vivendi, Carrefour, JC Decaux, Bouygues, Électricité de France (EDF), Dassault, Eiffage, Engie, Orange, Schneider Electric, Total, Veolia, Vinci… »

Il rappelle ensuite que : « Grâce à la délocalisation des filières de production de panneaux solaires et d’éoliennes dans les pays où la main-d’œuvre est bon marché, leurs coûts d’installation sont de plus en plus faibles ». Et cite des propos tenus en 2015 par Thierno Bocar Tall, qui était alors président-directeur général de la Société africaine des biocarburants et des énergies renouvelables (Saber) : « Les capitaux internationaux ont enfin trouvé une porte à leur mesure pour entrer en Afrique : le développement des énergies renouvelables. »

Les Anglais parlent de greenwashing (en français, on parle d’écoblanchiment) lorsqu’une entreprise tente de se donner une image écologique et responsable. C’est en ce sens que les ONG comme 350.org participent au greenwashing de la colonisation (et du « développement » en général). La nouvelle colonisation (ou le nouveau « développement », ces expressions sont synonymes) est cool, « verte » et « durable », elle promet un avenir merveilleux « 100% renouvelable ».

Finalement, cette campagne africaine de l’ONG 350.org s’inscrit simplement dans l’entreprise médiatique mondiale de promotion des illusions vertes — en tant que solutions à tous nos problèmes, en tant que moyens pour que la civilisation industrielle perdure — et du mythe[12] du « développement durable » plus généralement.

En plus du désastre écologique qu’il constitue, le « développement » (durable ou pas, c’est exactement la même chose) est un ethnocide en expansion, un projet de destruction des (dernières) cultures humaines différentes de la monoculture dominante (celle des smartphones, des télévisions, des voitures, des MacDo, des avions, des anxiolytiques et des antidépresseurs, des « maladies de civilisation », des burn-out, des inégalités sociales colossales et qui ne cessent de croître, etc.).

En Afrique, les ONG comme 350.org ne sont que de nouveaux missionnaires « verts » (ou éco-missionnaires) qui continuent le travail de leurs prédécesseurs : civiliser les derniers sauvages, s’assurer que tous les Africains sont connectés à l’économie de marché mondialisée afin qu’ils deviennent eux aussi des consommateurs. D’aucuns diraient que c’est ce que veulent les Africains. Ce qui est probablement vrai, dans une certaine mesure. Dans la mesure où après des siècles de colonialisme, il est attendu que les colonisés aient les aspirations qu’on leur a inculquées, qu’ils soient habitués au système colonial. Comme nous le sommes en France. Combien sont ceux qui réalisent que le salariat n’est qu’une forme moderne d’esclavage ? Même chose dans tous les autres États — qui sont le résultat non pas de processus démocratiques et de volontés populaires, mais de l’imposition par la violence de la volonté d’une poignée au plus grand nombre (le produit d’une colonisation plus ou moins récente). Malheureusement, les voix des dernières populations qui ne veulent pas de ce « progrès » et de ce « développement » ne sont guère médiatisées. Qui s’intéresse à la volonté et au sort des Pygmées des forêts d’Afrique centrale, par exemple ?

Qui s’intéresse à ce que nous a dit Ati Quigua, membre du peuple des Arhuacos (qui vit sur le territoire que l’on appelle la Colombie), lors de la 15ème session du Forum permanent de l’ONU sur les questions autochtones, à New-York, en 2016 : « Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité — cette forme d’autodestruction qui est appelée “développement” c’est précisément ce que nous essayons d’éviter. »

Le continent africain, au contraire de l’Europe, abrite encore des populations qui savent vivre sans la machinerie commerciale internationale. Des populations qui n’ont pas encore été rendues — entièrement — dépendantes ni du système marchand ni des hautes technologies de la civilisation industrielle, qui savent vivre avec leur environnement immédiat, en tirer leur subsistance quotidienne, sans le détruire.

Ceux qui promeuvent le « développement » (« durable » ou pas, « vert » ou pas, c’est exactement le même) sont coupables de promouvoir la catastrophe sociale et écologique que l’on devrait tous être en mesure de constater.

 

***

P.S. : La même chose se produit un peu partout dans le monde. Et même en Polynésie. Dans un autre article, j’étudie l’exemple édifiant de l’archipel des Tokelau, qui fait partie de la Nouvelle-Zélande. Depuis qu’une centrale solaire y a été installée, ses habitants, qui vivaient encore il n’y a pas si longtemps de manière véritablement soutenable et saine, sont désormais accros à la bière importée, à la télévision, surfent sur internet à l’aide de leurs tablettes, de leurs smartphones ou de leurs ordinateurs portables, se déplacent en voiturettes de golf électriques, etc. — c’est-à-dire qu’ils ne vivent plus du tout de manière ni saine ni soutenable. Comme beaucoup, ils sont passés d’êtres humains à consommateurs. Voici leur histoire :

 

 

  1. https://youtu.be/AdkX0hQDs74
  2. http://re.ivoire-blog.com/archive/2015/05/19/definition-du-neo-colonialisme-par-nkrumah-kwame-460409.html
  3. https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015–3-page-153.htm
  4. https://decoalonise.africa/
  5. Voir ici : http://journals.openedition.org/lectures/11782 et là : https://youtu.be/1VOI3xs7b1c
  6. https://350.org/2016-annual-report/
  7. Pour comprendre la nature coloniale du « développement », vous pouvez lire cet excellent article de Joaquin Sabat publié sur le journal du Mauss, intitulé « Le développement est-il colonial ? » : http://www.journaldumauss.net/?Le-developpement-est-il-colonial, un article excellent mais trop timide ; il n’ose pas répondre franchement à la question alors qu’il démontre pourtant l’évidence de la réponse : le développement est évidemment colonial, au même titre que la « mission civilisatrice », et de ses autres appellations.
  8. Voir les nombreux articles en français publiés sur ce sujet par le World Rainforest Movement, le Mouvement mondial pour les forêts tropicales (une ONG internationale mais qui n’est pas financée par les super-riches), dont celui-ci, par exemple, intitulé « Des femmes africaines exigent que les entreprises de palmier à huile leur rendent leurs terres et que cesse la violence » : https://wrm.org.uy/fr/actions-et-campagnes/signer-le-petition-des-femmes-africaines-exigent-que-les-entreprises-de-palmier-a-huile-leur-rendent-leurs-terres-et-que-cesse-la-violence/
  9. Pour plus de détails sur ce sujet, voir cet article intitulé : « L’électrification ou l’expansion de la société industrielle de consommation : l’exemple de l’Afrique » : http://partage-le.com/2016/12/de-la-bible-a-lelectricite-loccidentalisation-du-monde-lexemple-de-lafrique/
  10. http://partage-le.com/2016/12/de-la-bible-a-lelectricite-loccidentalisation-du-monde-lexemple-de-lafrique/
  11. https://www.monde-diplomatique.fr/2018/02/BERNIER/58354
  12. Voir cet excellent article de Derrick Jensen intitulé « Le développement durable est un mensonge » : http://partage-le.com/2015/12/le-developpement-durable-est-un-mensonge-par-derrick-jensen/

 

 

 

Source : http://partage-le.com/2018/02/9019/

 

 

Partager cet article
Repost0