MAJ le 13/12/2018
La responsabilité pénale des personnalités mises en cause dans le scandale de l'amiante pourra-t-elle faire l'objet d'un débat sur le fond ? Rien n'est moins sûr après la décision de la Haute juridiction confirmant les non-lieux prononcés en appel.
Risques | 12 décembre 2018 | Laurent Radisson
La décision était très attendue. Elle n'est pas favorable aux victimes de l'amiante. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, mardi 11 décembre, les pourvois des associations qui défendent les victimes de l'amiante du campus universitaire de Jussieu et celles du chantier naval Normed de Dunkerque.
Ces pourvois étaient dirigés contre l'annulation, en septembre 2017, par la Cour d'appel de Paris des mises en examen de neuf personnes impliquées au plan national dans le scandale sanitaire de l'amiante. Un scandale qui reste responsable de 3.000 morts par an. La mise en examen de ces décideurs datait de 2011-2012 après une instruction de quinze ans faisant suite aux deux plaintes déposées en 1996 par le Comité anti-amiante Jussieu et par l'Association régionale des victimes de l'amiante du Pas-de-Calais (Ardeva) qui représente les ouvriers du chantier naval Normed.
Les personnes mises en cause étaient presque toutes membres du Comité permanent amiante (CPA). Une structure créée en 1982 et qui rassemblait des industriels, des scientifiques et des hauts responsables publics en vue de défendre un "usage contrôlé" de l'amiante. "En réalité, un usage pur et simple sans contrôle aucun", dénonce l'avocat Guillaume Hannotin, qui défend les deux associations devant la Haute juridiction judiciaire.
"Permis de tuer aux empoisonneurs"
"Ce non lieu fut un (…) électrochoc. Les victimes et leurs proches le reçurent comme une blessure de plus. Et tous les observateurs sérieux y virent un déni judiciaire s'ajoutant au déni sanitaire qui avait rendu possible les ravages", rapporte le journaliste d'investigation Roger Lenglet dans son tout récent "Livre noir de l'amiante". Et ce, d'autant plus, que cette décision faisait suite à celle du parquet de Paris de juin 2017 qui a ouvert la voie à un non-lieu dans une vingtaine d'autres affaires.
Le ministère public avait en effet estimé que le diagnostic d'une pathologie liée à l'amiante ne permettait pas de dater l'exposition ni la contamination. "Après 21 ans d'instruction, dire qu'aucune responsabilité ne pourra « être imputée à quiconque » dès lors que la date de l'intoxication ne peut être fixée avec précision, c'est délivrer un permis de tuer aux empoisonneurs pour l'amiante et tous les produits cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction", avait réagi l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva).
Des faits nouveaux à juger tous les jours
La confirmation du non-lieu par la Cour de cassation est un nouveau coup dur pour les victimes. La Haute juridiction estime que la chambre de l'instruction "s'est déterminée pas des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction" pour conclure à l'absence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation des intéressés aux délits de blessures et d'homicides involontaires. La juridiction d'appel avait aussi conclu à l'absence de faute caractérisée pouvant être reprochée du fait des fonctions ou de la participation des personnes poursuivies aux activités du CPA, faute d'avoir pu "dans le contexte des données scientifiques de l'époque, mesurer le risque d'une particulière gravité auquel ils auraient exposé les victimes".
"Un acharnement est mis contre toute évidence à essayer de faire qu'il n'y ait pas de procès pénal", s'indigne Michel Parigot. Le président du Comité anti-amiante de Jussieu explique un tel acharnement par la volonté d'éviter à tout prix la mise en cause des personnes physiques après le "traumatisme" qu'a constitué l'affaire du sang contaminé pour les décideurs politiques alors inquiétés.
Guérilla judiciaire
Cette décision "met un terme définitif aux allégations de responsabilité pénale des membres du Comité permanent amiante", assure à l'AFP Jean-Philippe Duhamel, avocat du professeur de médecine du travail Patrick Brochard qui fût membre du CPA.
"Le dossier ne s'arrête pas avec cette décision qui ne peut stopper que l'instruction. Car il y a des morts tous les jours, donc des faits nouveaux à juger tous les jours", estime au contraire Guillaume Hannotin. De plus, "ces décisions posent trois questions de procédure qui mettent en jeu des droits fondamentaux", ajoute l'avocat qui annonce un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). En cause ? Les pouvoirs de la chambre d'instruction, une atteinte à l'exigence d'impartialité objective des magistrats et une réouverture des débats asymétriques durant l'instruction. "On sait la CEDH déjà intéressée par ce dernier point sur lequel elle est déjà appelée à se prononcer dans une autre affaire", précise l'avocat avec assurance.
Si la juridiction européenne acceptait de faire droit à ces demandes, elle pourrait toutefois ne rendre sa décision que plusieurs années après la requête. Un épisode supplémentaire dans cette affaire hors norme dont l'instruction a duré 22 ans, repose sur un dossier de 30.000 pages, et qui a donné lieu à pas moins de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et trois plaidoiries devant la plus haute juridiction judiciaire.