Enedis a fait le dos rond, mais la pose des compteurs Linky a repris à Bayonne en dépit de l’opposition de certains de ses habitants : nous avons reçu des premiers témoignages en ce sens émanant du quartier Polo Beyris et Maracq”, relève, en ce premier mois de l’année, Patrick Pierart du collectif Stop Linky Bayonne. Ici, c’est une pose du compteur, accessible sur la voie publique, alors que la propriétaire de la maison a énoncé verbalement son opposition au prestataire de service. L’agent est revenu le jour suivant en son absence. Là, dans un immeuble alors que l’habitant avait apposé un autocollant et signalé son opposition à Enedis dans les règles de l’art. Ailleurs, l’agent chargé de la pause a respecté le non affiché sur l’autocollant de cet habitant d’une copropriété opposée au Linky.
Le gestionnaire du réseau de distribution de l'énergie en France et ses prestataires n’auront donc marqué qu’une courte pause à la pose de Linky à Bayonne. Le déploiement du compteur communicant dans la cité avait, comme ailleurs, suscité une levée de boucliers chez des usagers l’an dernier. Interpellés par cette vague d’opposition, la mairie et son maire, Jean-René Etchegaray, avaient réagi cet été et trouvé un accord avec Enedis par lequel ce dernier respecterait le refus exprimé.
Et la ville de préciser à ses habitants les démarches à suivre sur son portail Internet. Le pacte semble avoir pris du plomb dans l’aile. “Nous avons rencontré les élus d’opposition, Marie-Christine Aragon, Patricia Leuenberger et Jean-Claude Iriart la semaine dernière pour faire un point sur ce sujet, poursuit Patrick Pierart. Ils nous ont dit qu’ils l’évoqueraient lors du prochain conseil municipal.”
A ce jour, 13 718 compteurs Linky ont été posés à Bayonne depuis le lancement des opérations en juillet dernier selon la carte du déploiement Linky mise à jour par Enedis. 25 959 à Biarritz, 18 995 déjà à Anglet depuis janvier 2017, 1 386 à Hendaye depuis octobre dernier, 339 à Hasparren avec une pose à venir entre avril 2020 et mars 2021, deux à Uhart Mixe avec une pose à venir en mars et, entre avril 2021 et septembre 2021, 53 compteurs à Mauléon avec une pose d’octobre 2019 et mars 2020 et avril 2021 et septembre 2021. Si à Gabat, la pose est programmée en mai prochain, elle est terminée à Bassussarry où 1 482 Linky ont été posés et à Arbonne avec 375 compteurs, ou Saint-Pierre d’Irube avec 2 869 compteurs. Le déploiement des compteurs, acceptés par les uns, maudits par les autres, investit pas à pas le territoire basque. Commune par commune. Le gestionnaire du réseau électrique l’a dit : tôt ou tard, tous les foyers en seront équipés.
Au Pays Basque comme dans l’Hexagone, le compteur communicant Linky fait débat. Un débat dont certaines communes ont été et se sont saisies. Et quelques 861 d’entre elles, à ce jour, ont utilisé les armes dont elles disposent, qui une délibération, qui une motion, qui des échanges de courrier avec Enedis. Objectif affiché : le respect des décisions de leurs administrés. Si Bayonne prit sa plume, au Boucau, ce fut une motion que le conseil municipal adopta le 27 janvier 2017. Il précisait d’une part qu’elle ne souhaitait pas que les compteurs d’électricité des bâtiments municipaux soient remplacés par des compteurs communicants type Linky, et d’autre part qu’Enedis reconnaisse le droit des usagers à refuser une installation sans contrainte ni sanctions financières. Sur le territoire boucalais, 217 compteurs ont déjà été installés et Enedis a prévu de poursuivre la pose en février et juin 2019 et février 2021.
Les arrêtés des communes ont souvent été retoqués par les tribunaux administratifs saisis par les préfets, voire Enedis. Ainsi, la ville de Blagnac a dû revoir sa copie. L’arrêté qu’elle avait pris, relatif aux conditions d’implantation des compteurs Linky le 16 mai 2018, a été suspendu pour partie cet automne. Le tribunal a estimé que le maire n’était pas compétent pour demander à Enedis de garantir aux usagers la liberté de refuser ou accepter la pose d’un tel compteur par exemple.
C’est un tout autre cas qui a concerné Romilly-sur-Andelle en Normandie. Son édile avait écrit le 4 avril 2018 à Enedis lui demandant que ses administrés puissent avoir le choix d’opter pour l’installation d’un compteur Linky ou la conservation de l’ancien, sans contrepartie financière. Un courrier qui ne vaut pas décision, a jugé ce 14 janvier 2019 le tribunal administratif de Rouen saisi par Enedis. L’opérateur a donc été débouté et devra verser une somme de 1 000 euros à la commune au titre des frais engagés par celle-ci.
Faute d’être entendus individuellement, des usagers s’opposant à Linky se sont mobilisés au sein de collectifs et ont décidé de porter leur parole devant les tribunaux correctionnels. Et force du nombre, c’est collectivement qu’ils assignent Enedis en justice. A la clef, des frais de procédure partagées. C’est ainsi que 243 personnes du Pays Basque et du Béarn, des Landes et des Hautes-Pyrénées se sont réunies pour attaquer Enedis Tarbes, la direction régionale dont elles dépendent, au tribunal de grande instance de Tarbes. Une action collective à l’initiative de l’association angloy CALA, avec l’appui des collectifs anti-linky des Landes, du Béarn et des Hautes-Pyrénées.
Parmi les raisons évoquées : violation de propriété privée, non-respect de la vie privée, modification unilatérale du contrat assortie de pratiques commerciales trompeuses et agressives, non-respect des normes de sécurité, manque de formation des poseurs pour une activité à risque, infraction au code de l’environnement..
“Enedis ne respecte pas les règles, dénonce Pascal Burgues du collectif CALA. L’entreprise invoque ainsi un règlement européen qui imposerait Linky. C’est faux : sept pays de l’Union ont dit non. Ces personnes veulent que leur choix soit reconnu et pour ceux chez qui Linky a déjà été installé, que ce compteur soit retiré. Nous espérons que cette action devant le tribunal de grande instance permettra un jugement sur le fond.”
Et Pascal Burgues d’évoquer des problèmes de sécurité lors de la pose des compteurs communicants. Des problèmes pour lesquels le collectif a saisi par courrier le Sdepa, Syndicat d’énergie des Pyrénées-Atlantiques, et le préfet du département. Enedis ne respecterait pas le règlement sanitaire départemental fixé par arrêté préfectoral.
Ainsi, de nombreux compteurs Linky sont posés sur des panneaux en bois. Un procédé qui “est non conforme aux normes électriques NFC 14 100 et 15 100 imposées dans le RSD. Nous demandons au SDEPA et à la préfecture de mettre Enedis et ses prestataires en demeure de respecter les normes en vigueur”. Pour l’heure, ces deux courriers sont restés lettres mortes.
“La procédure sera de longue haleine”, prévient maître Jean-Pierre Joseph, avocat militant au barreau de Grenoble qui défendra les droits des 243 personnes pyrénéennes. Les audiences de mise en état vont se succéder où les arguments de chacun seront déposés électroniquement et examinés. Ce n’est qu’après ces audiences que le tribunal fixera une date pour les plaidoiries. Voilà qui laisse encore un peu de temps à d’autres personnes qui voudraient intenter une action contre Enedis et se joindre au collectif de le faire. Après une première audience de mise en état le 8 janvier dernier, la prochaine se tiendra le 5 février prochain.
Parmi ces requérants, des personnes souffrant d’électro-sensibilité. Jean-Pierre Joseph connaît bien le sujet. Voilà quelques années, en 2016, le tribunal de grande instance de Grenoble avait statué en référé le retrait du compteur d’eau communiquant pour une de ses clientes, diagnostiquée électro sensible. Mais ces décisions restent exceptionnelles, reconnaît l’avocat.
“Cinq mille personnes en France ont déjà intenté une action de groupe, mais en référé”, ajoute l’avocat grenoblois. Une procédure différente que celle que nous avons engagée à Tarbes. Le tribunal examinera l’affaire sur le fond. Ce sera une première. D’ailleurs, nous allons être suivis à Perpignan sur une procédure similaire à la nôtre de 109 habitants des Pyrénées-Orientales, et à Bordeaux.” Là comme ici, les personnes veulent que leur droit à décider soit simplement reconnu. Et si le compteur Linky est déjà posé, qu’il soit remplacé par un compteur non communicant. “Dans le cas où Linky a déjà été installé, le recours judiciaire est la seule voie possible pour faire valoir son droit”, précise Jean-Pierre Joseph.
Les bâtiments publics n’échappent pas à la vague des compteurs communicants.
Si à Bayonne, les équipements publics n’en sont pas équipés, à Anglet ils sont en cours d’installation. Leur implantation suit le déploiement d’Enedis dans les différents quartiers et s’effectue au fur et à mesure de celui-ci. Même stratégie à Biarritz où le gestionnaire du réseau électrique va proposer à la commune de pousser plus loin et contrôler sa consommation. “Nous travaillons avec la ville, sur un outil informatique qui permet grâce à tous les compteurs communicants qui sont installés dans les bâtiments publics, de piloter leur consommation et donc de faire des économies”, explique François Tillous, directeur territorial Enedis Pyrénées-Atlantiques. L’objectif est à terme de le proposer aux autres communes.
Entre santé publique et libertés individuelles
“Nous sommes à la veille d’un désastre sanitaire”, argue maître Jean-Pierre Joseph qui veut rappeler que le corps humain est une antenne et certaines ondes peuvent être nocives. “Certaines personnes sont sensibles aux champs électromagnétiques. On espère que ce lien de causalité sera reconnu par le tribunal.” La question de la santé publique n’est pas la seule raison évoquée par les 243 personnes engagées dans la procédure contre Enedis Tarbes. D’autres avancent une atteinte à leur liberté individuelle. Ce sera au tribunal qui examinera l’affaire sur le fond de trancher.
Ce ne sont pas les seuls reproches lancés à Linky par ses détracteurs : durée de vie moindre que les compteurs anciennes générations, intrusion dans la vie privée. “Avec Linky, ce n’est pas uniquement votre index qui est transmis, mais une courbe de charge précise, qui informe sur toutes vos actions à la maison, et on ne vous demande pas votre avis”, dénonce Pascal Burgues qui craint à la clef des tarifs dissuasifs aux heures de pointe. Sans compter l’utilisation des données récoltées à des fins commerciales ou le coût du déploiement qui atteindra 5,39 milliards d’euros pour Enedis entre 2014 et 2024. Un coût qu’il répercutera plus tard sur les factures des consommateurs.
L’année dernière en février, la cour des comptes s’était penchée sur le déploiement de Linky. L’instance avait calculé qu’il allait permettre à Enedis de gagner près de 500 millions d’euros. En outre, “l’analyse bénéfices-coût au niveau de la distribution ne peut à elle seule justifier économiquement le projet et, en l’état actuel des travaux, le système n’apportera pas les bénéfices annoncés en ce qui concerne la maîtrise de la demande d’énergie” avait, entre autres, conclu la cour des comptes.