1- Le plan « école de la confiance » et le projet de loi Blanquer
Pour sa première rentrée scolaire 2017/2018 en tant que ministre fraîchement nommé, J.M. Blanquer a présenté le programme de “l’école de la confiance “ . Semblant se resserrer sur les fondamentaux et donc se voulant rassurant, ce programme initial introduit tout de même la « promotion de la culture d’innovation et les expérimentations » ainsi que la culture de l’évaluation aussi bien de la performance des élèves que du corps enseignant. Ils constituent par la même, des impératifs pour s’adapter à un monde qui bouge grâce aux nouvelles technologies numériques.
Cette injonction d’innovation dans les territoires et de leur mutualisation par plateformes numériques est un outil de management (e-gouvernance) de la décentralisation dans l’ensemble de la fonction publique. Il a pour corollaire inévitable de faire disparaître l’égalité sur l’ensemble du territoire français. Il constitue le vecteur de dérives locales telles que celle de Pole Emploi à Castres qui fait recruter les candidats comme dans « the voice ».(buzzers, jurys,…).
De même, concernant l’utilisation des objets connectés à l’école un badge NewSchool permet d’effectuer automatiquement l’appel par localisation en bluetooth d’un badge obligatoire et d’avertir en temps réel les parents par la plateforme “école directe” de l’absence de l’élève. Développé par une lycéenne, Philippine Dolbeau cette introduction déjà en test à l’académie de Versailles et adopté par une école privée, sous prétexte d’économiser les 2 minutes de temps d’appel en début de cours, nuit à la mémorisation par l’enseignant des noms de ses élèves et déshumanise la relation. D’autres fonctions comme le paiement de la cantine ou encore d’emprunt de livres sont déjà en projet. Cette radio identification individuelle (appelée RFID) est réglementée au niveau du code du travail (interdiction s’il existe un autre moyen possible) car elle fait rentrer dans l’univers terrifiant de “big brother”. Pourtant, à l’évidence, rien n’est réglementé au niveau scolaire pour protéger la vie privée et dignité des enfants.
Le projet de loi Blanquer – pour l’instant rejeté le 15 octobre dernier par le CSE– est connu sous le paravent médiatique de l’obligation de scolarité dès 3 ans. Cette dernière n’active pas, il est vrai, de réelle opposition car on annonce que 97% des enfants de cet âge le sont déjà. Pourtant, ce projet de modification du code de l’éducation inclus tout un arsenal législatif décisif passant inaperçu malheureusement pour une mise en application dans la précipitation (application prévue en 2019) :
- Instruction obligatoire à 3 ans (financement de maternelles privées par le contribuable)
- Des expérimentations et innovations aux contours très larges et locales
- Un nouveau Conseil d’évaluation de l’école (remplace le CNESCO)
- Formation des enseignants : la fin des ESPE avec reprise en main du ministère sur les référentiels de formation et la désignation des directeurs
- Renforcement des contrôles des enfants non scolarisés non plus sur l’acquisition de connaissances mais eux aussi, sur le socle commun de compétences de l’UE (cf infra)
- Les surveillants pourront enseigner et exercer des fonctions éducatives
- Autorisation de redécouper les territoires des rectorats (fusion des académies) par ordonnances
- Simplifier l’organisation et le fonctionnement des conseils de l’éducation Nationale en fonction des particularités des collectivités territoriales par ordonnances
- Des écoles publiques internationales financées par des entreprises
- Parallèlement, cette volonté politique instaure « l’entrée de l’école dans l’ère du big data » et de la 5G (objets connectés tels les bracelets, drones, lunettes,…) ; avec pour enjeu crucial, la collecte des données scolaires dans le cloud computing.
On voit bien ici se dessiner les priorités édictées par la commission européenne en 2012 pour l’économie numérique. Elles fixaient, pour rappel, de « tisser des liens enseignement-entreprises plus directs » et « promouvoir la certification des compétences afin de favoriser la mobilité professionnelle » sur le modèle de l’université américaine .Ainsi, dans la négation la plus absolue de débat (vote dans l’urgence, brouillard médiatique et des établissements ou syndicats,…), cette nouvelle modification du code de l’éducation continue à saper les fondements de l’école républicaine et son projet d’émancipation du peuple vis-à-vis des puissances d’argent et de l’élite érigé en France depuis 1789.
2 La place du numérique dans « l’école de la confiance »
L’école de la confiance annonce « l’entrée de l’école dans l’ère du big data » (sic). Elle prévoit :
- L’enseignement avec le numérique: I.A. (intelligence artificielle) pour l’apprentissage, l’évaluation et auto-évaluation régulière des performances et résultats, déploiement des objets connectés (drones, lunettes, bracelets,…), blockchain, dispositif « devoirs faits » par le CNED (enseignement à distance), plateforme « école, numérique, industrie »,…
- Compétences numériques des enseignants: tiers-lieux d’innovation avec acteur du privé, certification de compétences numériques,…
- Compétences numériques es élèves: programmation de robots dès l’école primaire, évaluation renforcée, certification PIX en 3°,…
- Nouveaux liens avec les acteurs et partenaires de l’école: dématérialisation des démarches avec les parents, aider les Start-ups de la EdTech (Education Technologique), plan communes rurales et implication des collectivités territoriales.
L’école devient donc incubateur et un terrain d’expérimentation pour les start-up de la EdTech (éducation technologique) et les objets connectés et le déploiement de la 5G déjà planifié par l’UE en 2016 mais aussi très controversé. Ce plan constitue donc une entrée massive du privé au cœur de l’école et par conséquent de l’utilisation des données extrêmement personnelles des parents, enseignants et des enfants surtout grâce à l’évaluation en continu de leurs performances.
Le prestataire privé choisi pour le traitement évaluations des élèves de CP et CE1 est basé au Luxembourg Open Assessment Technologies (OAT ) et le stockage de ces données chez Amazon le géant du commerce en ligne dont le cœur de métier est le marché du livre. Le ministère certifiant l’anonymisation des données, c’est en réalité de la pseudoanonimisation et dans l’opacité la plus absolue vis-à-vis des élèves, parents, enseignants et établissements.
« L’école de la confiance » a pour objectif de devenir le fournisseur officiel et institutionnalisé de data pour développer le marché numérique mondial de l’intelligence artificielle aujourd’hui aux mains de la Silicon Valley.
Chaque Etat souhaite devenir, en effet, une “start-up nation” sur le modèle des Etats-unis et d’Israël. En 2016, la French Tech a obtenu la 2° place après la Grande Bretagne avant même que notre ministre de l’économie à l’époque, E. Macron, ne poursuive aujourd’hui cet objectif en tant que Président avec 1.5 milliards d’investissements prévus pour le big data et l’intelligence artificielle (I.A) alors que l’austérité est de mise.