Dechets / Recyclage | 01 avril 2014 | Euractiv
Bruxelles ambitionne de porter le taux de recyclage des déchets à 50% d'ici 2020. Mais, selon de nombreux experts, la complexité de la chaîne de gestion des déchets au sein de l'Union Européenne rendrait le secteur vulnérable à la corruption.
Les systèmes de traitement des déchets sont gérés par une myriade d'entreprises et d'organisations. Qui fait quoi, comment, et quand, et pour combien d'argent ? Nombre d'acteurs du secteur se posent ces questions, que ce soit du secteur public ou privé. La Commission européenne doit rendre une évaluation sur la législation européenne en matière de gestion des déchets en mai prochain. Les législateurs européens réfléchissent de leur côté à la manière d'améliorer la transparence du système.
L'idée est qu'une meilleure transparence améliorera le fonctionnement d'un « modèle économique circulaire », dans lequel les entreprises chargées du traitement, ainsi que les municipalités ont la possibilité de baisser les coûts à la fois pour les consommateurs, mais aussi le coût environnemental. L'UE a fixé comme objectif d'ici 2020 un taux de recyclage de 50 % des déchets ménagers, ainsi que la fin de l'ensevelissement des déchets. De plus, la Commission projette d'ajouter des objectifs supplémentaires.
Olivier de Clercq, spécialiste de la gestion des déchets au sein de la DG environnement, a déclaré, lors d'une conférence organisée par EurActiv le 18 mars dernier, que les connaissances manquaient en la matière et que la transparence était un point crucial à régler. Par ailleurs, l'accessibilité des données varie énormément d'un pays à l'autre, a-t-il précisé. Le spécialiste faisait référence au principe de responsabilité élargie du producteur (REP), qui impose aux entreprises d'assumer le coût de tout le cycle de vie d'un produit, y compris son élimination.
Un secteur sujet à la corruption
À ce jour, dans nombre d'États membres, les entreprises qui mettent des produits sur le marché sous-traitent l'élimination de leurs produits à des organisations (Producer Responsability Organisation – PRO). Les PRO financent à leur tour les municipalités afin que celles-ci collectent les déchets produits par les consommateurs.
Dans un système REP fonctionnel, les coûts liés à la gestion des déchets municipaux sont presque entièrement couverts par les profits tirés de la vente des matériaux recyclés. Mais dans les pays où le système REP est dysfonctionnel, les citoyens payent des coûts supplémentaires ou bien le système de collecte ne marche pas efficacement. Dès lors, les objectifs européens en matière de recyclage ne peuvent être atteints, explique Vanya Veras, secrétaire générale de Municipal Waste Europe.
La complexité des contrats de marché public et les sources de financement entre les entreprises, les PRO, et les autorités publiques, ainsi que les citoyens représentent autant d'occasions de dévoiements des fonds. Dans certains pays, les PRO reçoivent de façon objective des financements du secteur industriel. Cependant, les citoyens doivent toujours contribuer au traitement des déchets en vue de couvrir quasiment l'intégralité des coûts, selon une source spécialiste du secteur.
Un rapport récent publié par l'UE relatif à la corruption souligne que le secteur de la gestion des déchets est l'un des plus enclins à la corruption. "Dans quelques États membres, les mécanismes de contrôle ont révélé des cas dans lesquels des agents publics utilisaient les budgets des administrations locales pour conclure des opérations avec des sociétés auxquelles ils étaient liés […]. La plupart de ces affaires concernaient des accusations ou allégations de financement illégal des partis, d'enrichissement personnel indu, de détournement de fonds nationaux ou européens, de favoritisme et de conflits d'intérêts".
Le rapport continue : "Dans quelques États membres, on a observé des cas dans lesquels certains chefs de la criminalité organisée à l'échelon municipal ont créé leur propre parti politique ou infiltré les conseils municipaux pour exercer une influence sur les autorités de police ou le pouvoir judiciaire locaux, et pour manipuler les marchés publics".
L'OLAF, l'office européen de lutte antifraude, a publié une étude fondée sur huit États membres qui estime que les coûts directs liés à la corruption au sein des marchés publics dans huit secteurs différents, dont la gestion des eaux et des déchets, s'échelonnent entre 1,4 et 2,2 milliards d'euros en 2010.
"Il est clair que sans une meilleure transparence, le secteur des déchets est extrêmement sensible à la corruption", a déclaré Jori Ringman-Beck, directeur de recyclage, des produits et de l'environnement à CEPI, confédération européenne des industries du papier. Selon d'autres spécialistes, la corruption liée au secteur de la gestion des déchets est un phénomène qui touche la plupart des États membres de l'Union européenne.
Les autorités publiques peuvent également truquer leurs statistiques de traitement des déchets en y ajoutant les produits importés destinés au recyclage. "Eurostat recommande de ne pas comptabiliser les déchets importés à des fins de recyclage. Cependant certains États membres, améliorent leurs performances en les comptabilisant […] Cela a pour effet de surévaluer les performances de recyclage, et de masquer les besoins d'élimination des tonnages résiduels non recyclables" a souligné l'eurodéputé français Gaston Franco (Parti populaire européen – PPE) dans une question écrite destinée à la Commission.
Les fonds perdus
Le déficit en matière de gestion des déchets signifie que dans nombre de régions européennes, l'ensevelissement des déchets et l'incinération sont encore des pratiques majoritaires, ce qui provoque rejets toxiques, contamination des nappes phréatiques et de l'atmosphère. Les citoyens et les industries se retrouvent en plus à payer des sommes colossales pour un système qui ne fonctionne pas.
Le coût moyen payé par les producteurs pour le traitement de leurs déchets va de 14 euros à 200 euros par tonne pour les mêmes types de déchets. Selon Olivier De Clercq, la Commission affirme que le surcoût est lié à l'inefficacité du système local mis en place et certifie que le système peut être la fois moins coûteux pour les consommateurs et plus efficace. "En termes d'instruments économiques [pour la gestion des déchets], nous voulons des directives destinées aux États membres plus claires et efficaces. Nous voulons un meilleur rapport qualité/prix, mais aussi une meilleure application des lois, une meilleure transparence, une meilleure surveillance du processus, afin de garantir un fonctionnement optimal du marché", a poursuivi Olivier De Clercq.
La DG environnement estime que l'UE pourrait créer environ 400 000 emplois d'ici 2020 dans le secteur de la gestion des déchets si les règles dans le domaine étaient mises en œuvre de façon appropriée. Selon ses estimations plusieurs dizaines de milliards d'euros pourraient être dégagés via des stratégies de réutilisation et de recyclage des déchets.
Karl Falkenberg, directeur général de la DG environnement, attire l'attention sur la nécessité d'instituer une concurrence plus forte à l'intérieur même de la chaîne de traitement des déchets. Lors de la conférence du 18 mars, il a appelé à un cadre législatif européen stable afin d'assurer une concurrence juste et non faussée, un contrôle efficace et les mêmes règles du jeu pour tous, grâce à une mise en œuvre réelle de mesures, y compris des sanctions.
Source : http://www.actu-environnement.com/ae/news/corruption-recyclage-dechets-europe-21252.php4#xtor=ES-6