Publié le vendredi 01 octobre 2010 à 06H33
Dominique, le chef de bord, fait parfois la bise à certaines habituées du 7 h 45.
« Mais ce n'est pas pour autant que je ne les contrôle pas », prévient-il. C'est dit.
REIMS (Marne). Ils sont des centaines de Rémois à faire quotidiennement, en TGV, le trajet Reims-Paris. Hier, nous avons fait le voyage avec les habitués du 7 h 45. Le plus fréquenté.
7 h 45. Dominique, le chef de bord, casquette vissée sur la tête, 34 ans de métier, donne le signal du départ. 34 ans, c'est exactement l'âge de Pierric. Il porte cravate et veston. Il est déjà en pleine discussion avec sa pote de train, Mélanie, jeans, pull, 30 ans. Ils sont installés dans la voiture-bar. Il est cadre bancaire, elle fait de la recherche en biologie.
Comme des centaines de Rémois, ils prennent chaque matin le TGV pour aller travailler à Paris. Il a un abonnement à 380 € mensuel, elle débourse 305 € par mois. « On est devenus amis ici. On a un peu l'impression de se retrouver tous les matins au café. » Il ne manque que le petit noir car ils ont beau se retrouver dans la voiture-bar, ici, on ne sert pas à boire. Le rideau de fer du bar restera baissé tout le voyage. « S'il n'y avait pas le TGV, je me serais installée à Château-Thierry. C'est à mi-chemin entre Paris et Reims, car mon copain travaille à Reims », explique Mélanie. « Sans le TGV, pour moi, c'était injouable. Je me rends compte que même comme ça, c'est fatiguant », ajoute Pierric, père de deux enfants dont la compagne travaille à Reims. Parce qu'après le TGV, il a encore une demi-heure de métro. Alors un Reims-Paris en 1 h 35, comme il y a trois ans, ça aurait été impensable.
On peut aussi rester tranquille dans son coin. C'est ce qu'a choisi de faire Cathy, 48 ans. Cette ingénieure en infrastructure de transport bouquine. Elle a participé à la création de la ligne grande vitesse sur laquelle elle circule. Elle habite Reims, elle travaille à Paris. « Habiter la capitale ne m'intéresse pas. J'ai deux gros chiens. Ils ne seraient pas bien là-bas. »
Elle est plutôt fière de son bébé. « La ligne Est saute beaucoup moins que la Paris-Lyon. » Son budget : 457,40 € par mois plus 1,50 euro par réservation. Le tout remboursé pour moitié par son employeur.
Les visages du Reims-Paris de 7 h 45, on les retrouve le soir dans le Paris-Reims de 18 h 27, au rythme de cinq fois par semaine. Les amitiés se forment, presque forcément. Ils étaient environ 550 dans ce cas hier matin, comme Marie et Séverine. Ces dernières discutent les fesses sur le comptoir du bar.
Séverine, 34 ans, est une ancienne de la ligne. Elle fait le Reims-Paris depuis 2005. Elle a donc connu l'avant TGV. « En tout, j'ai gagné deux heures par jour. » Deux heures qui ont changé la vie de cette maman de deux enfants, assistante commerciale export sur les Champs-Élysées dans une société qui conçoit des parfums. « Moi, les 45 minutes, je ne les vois pas passer. Même si elles se transforment souvent en 50 minutes ou 55 minutes. »
Marie, sa copine de train, est une petite nouvelle. Elle fait quotidiennement le trajet depuis seulement trois mois. Cette mère de deux enfants âgée de 33 ans s'occupe des partenariats pour un site Internet installé à Paris. Son employeur prend en charge la totalité de l'abonnement : soit 525 € par mois.
« On fête les anniversaires »
« Le matin, on parle de tout et de rien, de l'actu, d'Ikea, d'Adeline Hazan, prévient Séverine, mais c'est le soir qu'on déconne le plus. Entre copains de train, on fait parfois des petits déj' avec thermos de café, croissants et jus d'orange. On fête aussi les anniversaires et les départs.» Elles désignent ceux qui les lâchent en allant s'installer à Paris.
Jean-Philippe, 28 ans, chercheur à l'Inserm à Paris, casse un peu l'ambiance : « Je regrette que les trains du matin soient très régulièrement en retard. Il manque aussi des trains tard le soir. Le dernier part à 20 h 57 en semaine et à 21 h 27 le week-end. Ce qui fait qu'envisager ne serait-ce qu'un resto à Paris devient impossible. »
A une minute de l'arrivée, les voyageurs commencent à se lever pour gagner l'avant du train. « On appelle ça la transhumance, plaisante Séverine, mais ces gens pressés, on les retrouve quand même sur le quai du métro ! »
Jean-Christophe n'a presque pas levé les yeux de son téléphone portable de tout le voyage, absorbé par la partie de poker qu'il a démarrée au départ de Reims. Ce contrôleur de gestion de 31 ans prend le 7 h 45 régulièrement depuis un an et demi et ne voudrait habiter Paris pour rien au monde. « Je tiens à rester à Reims pour la qualité de vie. »
8 h 32. Sur la voie 27 du quai de la gare de l'Est, Pierric, Séverine, Marie et les autres ont à peine le temps de se dire à tout à l'heure (la plupart prendront le 18 h 27) avant de se mêler aux grises mines des banlieusards pressés qui descendent du RER. Certains ont déjà 1 h 30 de transport dans les pattes. Eux n'ont pas le bonheur d'habiter en province.
Texte : Alexandre ROGER
Photos : Aurélien LAUDY
Source : http://www.lunion.presse.fr/article/marne/tgv-reims-paris-les-potes-du-7-h-45