Victor Pachon, pour le Pays Basque nord, et Bernard Lembeye,
pour Actival, au Parlement de Strasbourg. Photo : EITB
Ramuntxo Garbisu - 20/05/2010 | eitb.com |
La rencontre mardi 19 mai avec des euro-députés au Parlement de Strasbourg aura permis au front européen anti-LGV d'exposer ses motivations communes contre les conséquences de ce type de projet.
Venus du Pays Basque Sud et Nord, rejoints par des collectifs du Centre, des Pyrénées centrales, de l'Ouest et de l'Est de la France, et par leurs homologues italiens du Val de Suse, les co-signataires de la Charte d'Hendaye ont exprimé ce mardi 18 mai au Parlement européen de Strasbourg leur opposition commune aux projets de Lignes à Grande Vitesse.
A l'initiative de Catherine Grèze (Europe Ecologie) et de Sonia Alfano, représentante italienne du groupe ALDE, cette rencontre a permis d'exposer en particulier deux thématiques totalement communes à cette plateforme européenne née en janvier dernier.
Loin de se cantonner à la défense de leurs territoires locaux respectifs, impactés par ces nouvelles voies ferroviaires, leurs représentants ont transmis en premier lieu au Parlement européen des demandes précises concernant des rapports et autres analyses commandités par l'Union Européenne que ni leurs gouvernements respectifs ni les acteurs de ces projets ne leur ont communiqués.
Dossiers à l'appui, ils ont également exprimé que la construction de telles infrastructures européennes ne pouvait pas occulter le débat citoyen sur l'inévitable transformation de son modèle social ou économique.
Après avoir remercié les organisateurs de la journée et la douzaine d'euro-députés présents, chacun s'en est reparti avec une certitude commune renforcée.
A l'opposé des déclarations à la Pangloss selon qui "tout va pour mieux dans le meilleur des mondes possibles", il est important aujourd'hui, plus encore qu'hier, de continuer à "préserver son jardin", qui a pris ce jour- là une nouvelle dimension européenne.
Si une demande écrite sur ce dossier de la LGV sera ainsi posée à la Commission des Transports, et 32.000 signatures de pétition déposées à Strasbourg, le travail local d'opposition dans chaque région concernée devrait rester la priorité, à même de fonder des échanges transfrontaliers et européens entre ces citoyens européens.
Une attitude saluée par l'euro-députée centriste Sonia Alfano : "Vous en êtes l'une des plus admirables expressions", a-t-elle conclu.
Une exigence de transparence des dossiers LGV
S'appuyant sur la Convention d'Aarhus (signée par l'Europe en 2003), qui garantit aux citoyens européens d'avoir accès à l'information sur tout projet touchant à l'environnement, et garantissant une réelle participation du public au processus décisionnel, les collectifs ont demandé à ce que des explications soient fournies par la France, l'Espagne et l'Italie sur leurs attitudes d'hostilité vis à vis de leurs demandes.
L'exigence qui en résulte, qu'aucun crédit européen ne soit alloué à ces projets tant que ne sera pas respectée cette convention internationale, a été plutôt bien accueillie par Isabelle Durant, vice-présidente du Parlement européen et ancienne ministre de la Mobilité et des Transports belges.
"Je ne peux pas vous garantir que cette Charte d'Hendaye que vous me remettez débouchera sur la satisfaction de votre demande", a-t-elle exprimé devant l'assemblée, "mais il est certain que vous apportez les preuves aujourd'hui que les hypothèses qui ont conduit aux votes européens sur ce dossier sont à reconsidérer, voire à mettre sérieusement en doute".
"Il n'est pas imaginable que le travail du Parlement Européen ait à s'appuyer sur des expertises qui s'avèreraient mensongères", a-t-elle conclu.
Ouvrir une réflexion plus large sur le modèle de société induit en Europe par ces LGV
Refusant de considérer que les projets européens pouvaient s'appuyer sur un passage en force contre ses citoyens, les porte-paroles des différents collectifs ont demandé au Parlement européen de réfléchir au modèle de société induit par ce type d'infrastructures ferroviaires, et en particulier de la très grande vitesse, en termes socio-économiques, mais également environnementaux.
"Nous contestons ainsi le mode de calcul réel du bilan carbone des LGV, dont il est impossible aujourd'hui de nier la destruction environnementale liée à la phase des travaux, et qui ne doivent plus être présentées comme la panacée du développement durable" a rappelé pour le Pays Basque nord une membre du CADE, Martine Bouchet.
Une rhétorique peu goûtée par Jean Luc Benhamias, élu député européen en 2004 sous l'étiquette des Verts, mais qui, en 2007, a rejoint le Mouvement démocrate de François Bayrou.
"Il me faut vous rappeler que nous avons tranché depuis au moins 20 ans la question du comparatif carbone entre le train et l'avion, largement en faveur de ce premier", a-t-il souhaité préciser.
Victor Pachon, pour le CADE, prit alors la parole pour lui rappeler sans mâcher ses mots que cela faisait également 20 ans que les collectifs portaient le même constat, "il faudrait que vous relisiez vos fiches de temps en temps", mais que tous les collectifs présents demandaient à ce que soient réalisés des comparatifs entre les nouvelles voies et les voies actuelles, ce qui n'a jamais été accepté à ce jour.
L'Europe a-t-elle les moyens de ses envies de nouvelles infrastructures ?
La crise grecque, mais également espagnole ou portugaise, a également largement plané sur les débats de la journée, pour des projets publics dont les budgets d'investissement se chiffrent en dizaines de milliards d'euros.
"Nous demandons au Parlement européen d'arrêter ces dépenses publiques par un moratoire, dans un contexte où leur utilité ne peut pas être uniquement "stratégique" quand les finances européennes sont exsangues", a exprimé Sonia Alfano.
Pour les représentants du collectif Actival, qui s'oppose à la traversée centrale des Pyrénées, "l'Europe doit d'abord se relancer, avant de se laisser endetter de nouveau sur des projets pharaoniques notoirement non-rentables", a exprimé Bernard Lembeye à la tribune.
Pour Mikel Alvarez, du collectif AHT Gelditu en Pays Basque sud, "la crise industrielle et économique qui est arrivée en Europe se sent à l'aise dans ces projets LGV", rappelant que l'Espagne a multiplié ce type de projets par l'intermédiaire des fonds d'aides européens FEDER, pour se retrouver pourtant aujourd'hui en première ligne du marasme social et financier.
Pour Michael Kramer, euro-député allemand présent dans la salle, s'il semblait clair que "l'Europe ne peut pas envisager de redonner massivement du travail à des citoyens européens en imposant ces projets contre l'avis d'autres citoyens", la rencontre du jour permettait de remettre en lumière l'objectif premier de la construction européenne.
"Si les échanges transfrontaliers sont une priorité des pères fondateurs, depuis quand et qui a décidé que ces échanges devaient obligatoirement être accolés à cette notion de très grande vitesse ?", s'interrogea-t-il.
La mafia, pointée du doigt par les citoyens italiens opposés au projet LGV Lyon-Turin
L'exemple italien du Val de Sousa, aujourd'hui totalement militarisé afin de permettre de poursuivre un projet combattu depuis 20 ans par ses habitants et ses élus locaux, a permis aux euro-députés présents d'entendre une argumentation qui dépassait le simple refus de voir ce territoire meurtri par la LGV Turin-Lyon.
"Le besoin d'une nouvelle infrastructure ne s'appuie sur aucun constat fiable du volume de fret, et a refusé de prendre en compte la régénération des voies existantes", a déclaré Paolo Prieri, porte-parole du collectif NO TAV.
Nullement opposé au trafic ferroviaire, dont il a rappelé les bénéfices en termes de report de la route vers le rail, il a défendu l'ensemble des autres alternatives et aménagements sur les voies actuelles.
Des propositions non considérées depuis deux décennies par les promoteurs du projet, malgré la demande des collectifs de citoyens et des 23 maires du Val de Suse, écartées de tous les dispositifs de prises de décision.
Pour l'euro-député italien Luigi de Magistris Verts, "ces procédés anti-démocratiques de non-concertation avec les populations ne semblent pas porter effectivement pas la signature des pères fondateurs de l'Europe mais s'assimilent plutôt à ceux de la mafia, dont on connait l'habilité à se retrouver principale bénéficiaire de ce type de projets".
Une nouvelle intervention de Jean Luc Benhamias, qui n'a jamais perçu "la moindre collusion entre les projets français et des systèmes mafieux", fut l'un des rares moments de décontraction riante de la journée.