De gauche à droite: Victor Pachon, Didier Rouget, Pierre Récarte aux dernières Comices d'Urrugne
(photo ACE)
L'opinion - Tribune Libre
RFF tire le signal d'alarme pour éviter un déraillement annoncé
12/01/2011
Pierre Recarte / Nivelle Bidassoa Environnement, association d’Urrugne
Réseau ferré de France (RFF) s'alarme de l'état actuel du réseau ferroviaire français : «Le financement du renouvellement du réseau n'est pas assuré sur le long terme y compris celui emprunté par les TGV».
Ce constat fait par le gestionnaire public de notre réseau ferré est très préoccupant et nous invite à en savoir plus.
RFF : un objectif, une ambition
Entreprise publique à caractère industriel et commercial, Réseau ferré de France devient propriétaire et gestionnaire des infrastructures ferroviaires par la loi du 13 février 1997 mais hérite en contrepartie de la dette de la SNCF : 20,5 milliards d'euros.
«L'objectif de Réseau ferré de France : offrir un réseau performant, accessible et adapté à chacun, à la hauteur des défis économiques et environnementaux de nos sociétés.»
«Notre ambition est d'augmenter l'attractivité du transport ferroviaire au service de tous. Faciliter l'accès à un réseau performant, compétitif, durable et ouvert sur l'Europe dans un contexte d'ouverture du marché», peut-on lire sur son site Internet.
Une réalité tout autre
Récemment donc, RFF s'inquiète pour l'état des lignes classiques empruntées par les TGV :
«On risque de ne plus avoir un réseau en état pour accueillir les trains», souligne Alain Sauvant, directeur de la stratégie.
En effet, le coût de l'entretien des voies et de leur renouvellement (coût complet) est estimé à environ 6,5 milliards d'euros par an mais les revenus de RFF ne couvrent que 83 % de cette somme.
Pour assurer l'entretien courant, RFF a dû augmenter les péages, c'est-à-dire les droits de passage payés par les compagnies ferroviaires, comme la SNCF, pour faire circuler leurs trains. Ces péages sont encore amenés à augmenter considérablement à l'avenir, au grand dam de la SNCF qui devra majorer le prix du billet TGV car les péages représentent 30 à 40 % du prix du titre de transport.
Malgré cela, RFF ne peut faire face au renouvellement des voies, si bien qu'une partie du réseau est menacée d'obsolescence à plus ou moins long terme.
L'aide de l'Etat et de certaines régions ne suffit pas pour sauver des kilomètres de lignes, déjà proches du délabrement.
«Mais si dans les cinq ans qui viennent, on n'a pas atteint les 100 % de nos coûts complets, on aura peut-être, d'ici 2020, environ 20 % du réseau en difficulté», prévient Hubert du Mesnil le président de RFF.
De ce fait, les petites lignes sont menacées.
«Ce n'est pas à nous de dire qu'il faut fermer des lignes. Il faut que l'Etat nous dise quelle est la consistance du réseau qu'il veut», souligne Hubert du Mesnil, avant de conclure : «En France, on aime beaucoup les grands projets. Les projets que nous préférons, c'est la modernisation du réseau. Et ce que nous aimerions, c'est qu'il y ait davantage de trains !».
Une politique paradoxale
Malgré ses difficultés, RFF se lance dans des grands projets de lignes à grande vitesse, avec un aveuglement qui frise l'inconscience.
«Nos prévisions de trafic résultent autant d'un pari et d'un engagement politique en faveur du chemin de fer que d'une analyse raisonnée, en particulier pour le fret» confesse récemment RFF lors du débat public.
Dès 2008, la Cour des comptes dénonce ces projets de LGV : «Le lancement de nombreux projets dont la rentabilité socio-économique est insuffisante est d'autant plus inquiétant que les bilans a posteriori des lignes à grande vitesse mettent en évidence une rentabilité en général bien plus faible qu'espérée initialement en raison d'une sous-estimation des coûts et une surestimation du trafic assez systématiques. Les projets inscrits dans les contrats entre l'Etat et les régions ne font pas l'objet d'études préalables suffisantes et s'avèrent souvent eux aussi plus coûteux et moins rentables que prévus».
De son côté Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, estime, dans La vie du rail, qu'il vaut mieux faire une ligne à grande vitesse de moins et avoir un bon renouvellement du réseau existant !
RFF reste sourd et continue même à investir, près de trois milliards d'euros, dans la construction de la LGV Tours-Bordeaux, alors que sa participation devait être «symbolique», pour respecter ses statuts. Sur les 7,8 milliards d'euros que coûte le projet, 1,95 milliard d'euros est apporté par Vinci qui percevra l'intégralité des péages pendant 45 ans d'exploitation ! Dans cette «arnaque», RFF investit trois milliards sans recettes en retour !
Le 3 janvier dernier, le député Hervé Mariton le «Monsieur SNCF» de l'UMP, demande, dans RTL Midi, aux pouvoirs publics et à la direction de RFF et de la SNCF d'investir sur la rénovation des lignes déjà existantes et de renouveler le matériel roulant plutôt que d'investir sur des nouveaux projets...
Des procédés indignes d'une entreprise publique
Pour justifier la construction d'une ligne nouvelle tout est bon : surestimations des trafics, sous estimations des coûts, chiffres falsifiés fournis à la «médiatrice», rejet sans argumentation de deux études qui montrent que la modernisation du réseau ferroviaire actuel, répondrait parfaitement aux besoins, fausse concertation avec les élus et la population...
Devant l'hostilité grandissante des populations, RFF cherche à gagner la bataille de l'opinion. Selon un sondage Ifop commandé par RFF, les nouvelles LGV recueillent l'adhésion de 89 % des habitants du Sud-Ouest ! Dans un communiqué de presse relayé par la région Aquitaine, RFF se félicite d'y lire «l'appréciation très majoritairement positive des habitants du Sud-Ouest» !!
En fait, ce sondage sonde l'opinion des sans opinion : 64 % des personnes interrogées déclarent ne pas savoir en quoi consiste le projet et 46 % des personnes interrogées pensent qu'il s'agit de «moderniser les voies existantes» !
Avec de tels procédés, RFF perd toute crédibilité.
RFF : un déraillement annoncé
Sur le site Internet de RFF, on peut lire : «Notre établissement ambitionne d'équilibrer ses dépenses de gestion et d'entretien courant et ses recettes.»
«Les projets de développement font, eux, l'objet de montages adéquats dans le souci d'équilibrer les comptes et de satisfaire l'intérêt général. Ainsi, avant toute recherche de financement nous soumettons chaque projet à une analyse financière critique.»
Pourtant, la SNCF et RFF font le même constat de fragilité de leurs modèles économiques respectifs, signe d'une crise de l'ensemble du système ferroviaire français. Alors que la SNCF songe à réviser sa stratégie, RFF s'interroge, lui, sur l'équilibre précaire de ses finances.
La vérité est que RFF n'est qu'un outil comptable visant à faire croire que la SNCF équilibre son exploitation.
«L'endettement de RFF, soit 27,9 milliards d'euros fin 2007, est considéré comme préoccupant, tant en ce qui concerne son niveau que son évolution : +30 % depuis 1997», note le député Hervé Mariton.
Ce constat alarmiste s'est depuis aggravé, la dette financière de RFF à la fin 2009 atteint 29,28 milliards d'euros.
Hubert du Mesnil, son PDG s'en inquiète désormais ouvertement en petit comité : «Le système dérive structurellement», explique-t-il en mai devant les députés de la commission des Finances.
Depuis l'année dernière, le gestionnaire du réseau bénéficie d'un arbitrage gouvernemental particulièrement favorable en autorisant une forte hausse des péages. Pour le seul TGV, la facture pourrait ainsi s'alourdir de 900 millions en cinq ans pour la SNCF.
Alors que l'Etat demande un plus grand effort financier à la SNCF, il vient de réduire son aide à RFF au motif que les péages augmentent !
Dès lors, l'objectif - déjà lointain - d'une stabilisation de la dette à l'horizon de 2022-2023 est remis en question.
«Si cet équilibre économique n'est plus possible [...], nous allons être obligés de déprécier à nouveau notre actif, en portant en résultat 10 milliards d'euros de pertes», assure Hubert du Mesnil, qui prévient : «Le système risque de s'écrouler» si cette trajectoire perdure. Auquel cas «l'entreprise RFF n'ira pas bien et l'Etat pas beaucoup mieux».
Dans ce contexte, Bruxelles serait en effet en droit de demander la requalification de la dette de RFF en dette publique.