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24 septembre 2013 2 24 /09 /septembre /2013 18:01

 

 




Frédéric Leclerc-Imhoff | Rue89


Impossible de savoir si ce qu’on a dans notre assiette au resto a mijoté pendant des heures en cuisine ou sort d’un sachet en plastique réchauffé au micro-ondes.


Selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih principal syndicat du secteur), 80% des restaurateurs utilisent des produits industriels, semi-élaborés voire déjà cuisinés. Et cela concerne jusqu’aux œufs, que le grossiste Davigel, par exemple, propose en omelette, sous forme liquide ou durs :

« Cuisson à point, jaune savoureux et blanc ferme et souple. Conservé en saumure en seau. »

Pour mettre un peu de transparence dans nos assiettes, un amendement a été adopté à l’Assemblée nationale le 27 juin dernier, inspiré par quinze grands chefs. Il visait à rendre obligatoire, pour les restaurants, d’indiquer sur la carte si un plat était vraiment préparé sur place (ou non) à partir de produits bruts.

« Les andouillettes sont faites chez moi »

L’amendement n’a pas survécu à son passage au Sénat, dans la nuit de mercredi 11 à jeudi 12 septembre, face au front commun des sénateurs communistes, UMP et centristes (189 voix contre 157).

Philippe Adnot (sénateur non inscrit) a lancé :

« Les andouillettes de Troyes, elles sont faites chez moi. Le travail de ces ouvriers vaut largement ce que ferait maison un restaurateur quelconque. »


Derrière cela, une idée qui revient : il ne faut pas stigmatiser les produits industriels, parfois meilleurs que le fait maison. Et Mireille Schurch, sénatrice du groupe Communistes, républicains et citoyens, a avancé l’argument :

« On ne pourra jamais contrôler l’utilisation correcte du label dans les 200 000 restaurants de France. »

Pourquoi pas supprimer aussi les stops sur la route, a alors ironisé le sénateur socialiste Martial Bourquin...


L’astérisque qui aurait alourdi les menus

En 2011, déjà, après que la gastronomie française a été inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, un amendement du député UMP Fernand Siré est adopté en octobre. Il propose « d’informer » le client sur ce qu’il y a dans son assiette, mais il reste flou.


Dans la presse, il évoque la possibilité d’introduire sur les cartes des menus un astérisque pour « signaler que le professionnel a élaboré lui-même le plat et qu’il a été fait avec du frais et non pas avec du sous-vide ou de la nourriture en conserve, voire du surgelé ».


Et puis, il se rétracte. Interviewé dans le documentaire « Restauration française, un pavé dans l’assiette », réalisé en 2012 par Rémi Delescluse, il explique que cela aurait trop alourdi les menus dans les restaurants. Pendant qu’il parle, il tient une feuille dans ses mains, sur laquelle on peut lire en gros caractères :

« Attention à ne pas se mettre à dos les lobbyist [sic] de l’agro-alimentaire. »

Mais c’est promis, « il n’y a pas de lobbies dans cette affaire ! » a lancé le sénateur Christian Cambon (UMP), lors des débats récents, alors que Martial Bourquin demandait dans l’arène qui les élus voulaient défendre.

« Meilleure filière agroalimentaire d’Europe »

L’industrie veut en effet convaincre les élus que ses produits ne sont pas mauvais et surtout qu’ils génèrent de l’emploi. Sénateurs et députés sont invités à visiter les usines, comme Fernand Siré convié en 2011 par l’industrie des surgelés. Martial Bourquin commente :

« Concrètement, on vous dit que c’est inapplicable, que cela risque de causer du tort à la meilleure filière agroalimentaire d’Europe qui génère au moins 400 000 emplois... Et ça peut marcher dans tous les rangs politiques. »

Les syndicats pour un label « restaurateur »


Les deux grands syndicats regroupant des restaurateurs traditionnels ont eux aussi participé au débat :

  • le Synhorcat, qui défend l’obligation d’affichage du label « fait maison », propose un label « restaurant » que ne pourraient utiliser que ceux qui transforment des produits frais ;
  • l’Umih (également soutenu dans ce combat par des professionnels de la restauration rapide), propose un label « artisan-restaurateur » qui récompenserait les établissements qui font du 100% fait maison.

Il fait valoir que depuis que des chefs étoilés « apportent leur pierre à l’édifice » de l’industrie agroalimentaire, il y a des choses « pas si mauvaises que ça ». Parmi eux, Joël Robuchon et sa purée magique, ou Alain Ducasse, qui offre son savoir-faire à Sodexo ou à Brake.


Une question de transparence

Xavier Denamur est un adepte du « fait maison ». Lui aussi est un lobbyiste, mais assume. Il s’énerve :

« Le problème, c’est que les grands groupes sont en lien avec des sénateurs-maires au niveau local. Ce sont eux qui font les menus des cantines. Alors les maires voient d’un mauvais œil la transparence, ils se laissent convaincre par l’industrie. »


Et le restaurateur veut rappeler : « C’est une loi pour consommateurs, pas pour restaurateurs. Il ne s’agit pas de stigmatiser des plats, en affirmant que certains sont meilleurs. C’est une question d’information. La démocratie fonctionne comme ça. »


Le fait maison pas forcément mort

Et la démocratie est souvent surprenante. La nuit où les sénateurs ont supprimé l’obligation d’indication du label fait maison sur les menus, ils ont laissé passer un autre amendement. Il sauve l’honneur des combattants du fait maison (le label existe), tout en laissant prudemment le soin au gouvernement de préciser par décret ses « modalités de mise en œuvre ».


Les lobbies vont pouvoir continuer à travailler.

 


 

Source : http://www.rue89.com/2013/09/23/restos-comment-lobby-industriel-a-grignote-label-fait-maison-245889

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